Précieuse porte
de William Goyen

critiqué par Jlc, le 16 août 2010
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La lassitude du malheur
William Goyen appartient à cette catégorie des très grands écrivains américains qui, comme Faulkner, savent de livre en livre recréer leur univers.

« Précieuse porte » est un recueil de dix nouvelles dont l’argument essentiel est celui de la réconciliation, approché de façon fort différente d’un texte à l’autre, même si on y retrouve les thèmes majeurs de l’œuvre de Goyen. Bien sûr nous sommes au Texas, en un temps où la religion reste prégnante et la lecture des Ecritures fréquente, ou le racisme est lancinant – « un bon nègre sous la main vaut mieux que cinq qui courent »- et le Ku Klux Klan omniprésent par sa bêtise, sa perversité et sa terreur. L’auteur reprend aussi des thèmes plus intimes, l’alcool, les maisons, images d’enracinement que l’on quitte ou retrouve, les histoires de famille et surtout ses secrets, le désir avec ses joies et ses détresses, les tourments de l’âme et du corps, les anomalies physiques ou psychologiques qui font de certains personnages « des handicapés du présent ». Et tout ceci baigne dans une atmosphère de mystère et de surnaturel, de sensations et de solitude.

Je recommanderais de commencer la lecture par la nouvelle qui porte le nom du titre et des deux suivantes qui se trouvent au cœur du livre. En effet ces textes sont complémentaires, ils donnent leur tonalité à l’ouvrage et les autres nouvelles peuvent se lire ensuite au gré de votre souhait.
Cette histoire est une véritable tragédie autant antique que contemporaine, texane qu’universelle. Un ouragan qui « tourmente » une ferme et ses champs, la maison barricadée et pourtant un homme là-bas qu’il faut sauver. « Il ressemble à Jésus Christ ». Un frère assassin qui pénètre dans la ferme, la manifestation de Dieu et deux hommes réconciliés qui dérivent sur une porte dans la rivière en crue. Moment unique, « minute inouïe » aurait dit Simenon où le narrateur va découvrir le sens de sa vie. Puis deux cousins qui écoutent la tragédie amoureuse de leur grand oncle entre passion folle et damnation, racisme et son atroce imaginaire, plaintive obscurité des puits maudits où le malheur vous jette et « quand il ne vous reste plus que le cœur pour souffrir » le pardon, cette lassitude du malheur, qui seul permet de « retrouver la paix », « ce moment où l’être humain se dépasse et se transforme, au-delà de lui-même ». Les autres nouvelles n’ont pas la même intensité que les trois citées tout en étant d’excellente facture et d’un style très différent.

Il s’agit vraisemblablement de textes de la fin de la vie de William Goyen, après sa rencontre avec Jésus Christ et ils m’ont semblé écrits avec un style plus épuré que celui de « La maison d’haleine », comme si ce thème de réconciliation donnait à l’auteur une sérénité nouvelle, toujours aussi empreinte de poésie.

Vraiment un très beau recueil.

Le conteur de « Alfred Bond » dit à la fin : « Oh Seigneur, pourquoi tant de ténèbres dans cette vie avant qu’on voie la lumière des choses ? » La réponse se trouve peut-être dans l’Apocalypse : « J’ai mis devant toi une porte ouverte que personne ne peut fermer » Est-ce que ce ne serait pas l’espérance ?