Julien
de Gore Vidal

critiqué par Apos, le 25 juillet 2010
(Marseille - 58 ans)


La note:  étoiles
Plus qu'un passionnant roman historique, plusieurs leçons de vie, un très grand livre...
Tout d'abord c'est la première fois que je poste une critique, que je passe du côté de l'angoissante page blanche au lieu de simple visiteur de ce site inestimable pour la qualité de tous ces critiques bénévoles.
Mais ce livre fabuleux à plusieurs égards, m'a fait franchir ce cap. Et c'est la moindre des choses que je puisse lui rendre la pareille en le faisant découvrir par cet article.
J'en viens au fait, Julien raconte la courte vie de l'empereur romain Julien dit l'Apostat qui a régné très brièvement au quatrième siècle. Une période charnière dans l'histoire de l'empire romain, cela je l'ai appris grâce à ce livre. Car en ce milieu de quatrième siècle, la religion chrétienne a pris le dessus sur la religion des romains dans les classes dirigeantes et les autres de cet empire déclinant.
Et là l'histoire, la vraie, va amener le héros de ce livre à se poser des questions sur cette nouvelle religion (chrétienne), qui écrase, qui fait oublier les autres religions, en allant trop souvent parfois à l'encontre de ce qu'elle prône.
Mais ce qui fait la richesse de ce livre, son grand intérêt, c'est que l'auteur (Un auteur américain que j'ai pu connaitre grâce à ce site une fois encore, rendons à César ce qui...), présente, mélange, oppose ces trois points de vues très différents mais complémentaires. Celui de Julien, mais aussi ceux de deux philosophes(Libanios et Priscus) qu'il a croisés au cours de ses pérégrinations, à travers un destin incroyable, en restituant parfaitement une époque longtemps révolue.
Je vais bientôt arrêter là ma critique, mais ce livre m'a vraiment imprégné de par sa richesse d'écriture et son approche philosophique, pour moi se rapprochant un peu de celle de L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar.
Et pour son côté épique de Alamut de Vladimir Bartol.
Ce n'est qu'un roman, rien de plus ... 2 étoiles

Mémoires fictives de Flavius Claudius Julien (331/2 - 363), dernier Empereur de Rome de la dynastie des Constantiniens (361 - 363), annotées de la correspondance de Priscus et Libanios, philosophes grecs ayant vécu dans l'entourage de l'Empereur. Ces pseudo-mémoires retracent la vie de Julien, depuis son enfance en Bithynie jusqu'à sa mort en Mésopotamie, son passage aux armées en Gaule, son accession au titre de César, puis au trône, jusqu'à sa mort lors d'une campagne en Asie Mineure contre les Perses.
Julien est le dernier Empereur de la famille des Flaviens, neveu de Constantin Ier qui permit l'avènement des chrétiens, cousin de Constance son prédécesseur qui ordonna le meurtre du père de Julien. Julien fut captif des sbires de l'Empereur Constance, notamment l'évêque Mardonios, et élevé dans la religion chrétienne, mais très vite il se passionne pour la philosophie grecque, et de là à l'Hellénisme polythéiste. Dès son accession au pouvoir, il rétablit la liberté de culte et retire aux évêques chrétiens leurs prérogatives civiles, les renvoyant à la seule gestion de leur culte. Pour assurer la Pax Romana au Moyen-Orient, il conduit une campagne contre les Perses, campagne au cours de laquelle il sera assassiné par un de ses légionnaires chrétiens.

Comme toujours dans un "roman historique" (car c'est bien de cela qu'il s'agit ici, et non d'un roman d'époque situé dans une trame historique), il est difficile de faire la part des événements dûment documentés de ceux rêvés voire fantasmés par l'auteur. Le récit de ce roman suit linéairement ce qu'on sait de la vie de Julien ; mais dans le détail, dans l'anecdote, la véracité de certains faits reste contestable et à prouver ... N'oublions pas que Gore Vidal était un scénariste hollywoodien, et absolument ni latiniste, ni historien ! Bien que ce roman semble faire preuve d'un important travail de bibliographie, il est étonnant de remarquer que les références données en fin de version "Points poche" datent pour la plupart des années 90, quand le livre a été écrit entre 1959 et 1964 !!!! Il faut donc lire ce roman comme un roman, et avec beaucoup de prudence : ce n'est pas un essai !
Sur le fond, le fonctionnement de l'Empire romain de l'époque est assez bien décrit (pour plus de renseignements historiques, le lecteur pourra se pencher sur le très brillant "La fin du monde antique et le début du moyen âge" de l'historien Ferdinand Lot). Les réflexions sur l'arrivisme chrétien du 4ème siècle sont assurément fondées ; le réquisitoire contre la montée et l'installation de l'église chrétienne est vif et incisif. L'auteur rapporte les disputes et les querelles de clochers entre les différents courants chrétiens de l'époque, quand ce ne sont pas de véritables pugilats et tueries annonciateurs des grands autodafés de soi-disant hérétiques et des guerres de religions. Il décrit également les tueries à l'encontre des polythéistes, avec un grand souci du détail et de l'horreur.
Il en ressort des jugements assez lucides :
"Les chrétiens voudraient imposer un ultime mythe rigide à ce que nous savons être divers et étrange. [...] Avec le culte du Juif mort, la poésie a cessé. [...] Les chrétiens veulent remplacer nos belles légendes par des rapports de police concernant un rabbin épris de réformes."
"Nulle religion en dehors du christianisme n'a jamais estimé nécessaire d'anéantir tous ceux qui professaient des croyances différentes. [...] Nul fléau n'a jamais fait irruption dans le monde avec une telle violence, une telle ampleur que le christianisme*."
Vidal rappelle que les déboires de Jésus, puis des premiers chrétiens avec les autorités romaines n'étaient pas d'ordre religieux, mais politique (ce qui est parfaitement exact !). Il fustige l'attitude des premiers évêques qui prêchent l'amour du prochain et le pardon, mais qui tuent qui s'oppose à eux ; qui prônent la simplicité de vie, mais qui volent les biens des "païens", accumulent les richesses, et vivent dans l'opulence, etc. Sur le même sujet (la montée de l'église chrétienne dans l'Empire d'Orient), le lecteur pourra voir l'excellent "Agora", film de Alejandro Amenabar.
Dernier point, d'après l'éditeur (4ème de couverture), ce roman serait à comparer aux "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar… mais n'est pas Yourcenar qui veut ! Car, sur la forme, la plume est quelque peu défectueuse et bavarde, le style incertain, et des longueurs, des longueurs, des redondances et du rabâchage !
Sans parler d'une traduction dans un français approximatif… Encore un traducteur (Jean Rosenthal) qui ne fait pas la différence entre faire la guerre "contre" et "avec" (grands-parents collabos peut-être ?), qui ne connait pas le verbe "dire" ni sa conjugaison : les personnages ont une forte propension à toujours "faire". Pour ma part, on "fait pipi", on "fait caca", mais on DIT "bonjour", "bonsoir", etc. Dans la version originale, l'auteur utilise-t-il "to do" ou "to make" ? De quel mot anglais ces très nombreux verbes "faire" sont–ils la traduction ?

* Il est vrai qu'au 4ème siècle, Julien ne pouvait pas connaitre l'Islam ! Mais que dire du culte d'Aton imposé aux Egyptiens par Amenhotep IV et ses prêtres ? Que sait-on de l'arrivée des premiers monothéistes en Palestine et de l'implantation du judaïsme dans ces contrées ?

Homo.Libris - Paris - 58 ans - 27 février 2014