Trudi la naine
de Ursula Hegi

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 7 juillet 2010
(Montréal - 54 ans)


La note:  étoiles
Grande fresque d’une petite ville
Sélectionné par le populaire club de lecture d’Oprah Winfrey et nominé du prix Faulkner, le roman « Trudi la naine » raconte l’histoire d’une fillette peu commune qui grandit dans l’Allemagne nazie.

Née en 1915, elle perd sa mère à l’âge de quatre ans et est élevée par son père Leo Montag, propriétaire d’une librairie au premier étage de leur maison à Burgdorf. Puisque Trudi est naine, elle est rejetée par les autres enfants en raison de sa petite stature. Cette période de sa vie donne aussi lieu aux humiliations et à un événement dramatique.

Ses épreuves sont formatrices pour la personnalité de Trudi. Devenue adulte, elle devient une loyale confidente des gens de Burgdorf, absorbe les rumeurs, secrets et récits de vie. Sa compassion l’amène naturellement à défendre les Juifs persécutés.

À travers les yeux de Trudi, le lecteur est plongé dans la vie de gens ordinaires, lesquels doivent réagir à la montée d’Hitler au pouvoir et par la suite à la dévastation causée par le troisième Reich. Le contexte historique permet d’aborder les thèmes de l’identité au sein d’un groupe, le désir d’acceptation sociale et la peur de l’ostracisme. Mais aussi, sur une base plus personnelle, la trahison et la discrimination.

L’essentiel porte sur la manière dont le poison du nazisme s’est propagé dans la population allemande, même dans les villages, même lorsque la majorité voulait résister. Il s’agit un peu de la version ‘adulte’ de « La Voleuse de livres ». Mais, en dépit de sa complexité et de la quantité de personnages, on ne se perd jamais.

Une belle brique, remplie de moments de tension, cruels et bouleversants.
Agréable découverte... 9 étoiles

Merci au Palmares des prix des lecteurs CL (2010) pour cette suggestion à découvrir qui s’est avérée pour moi une lecture des plus heureuse…
J’avoue que l’emballement ne fut pas instantané, que le statisme du style narratif des deux cents premières pages m’a un peu inquiétée malgré la beauté du texte.
À mon insu, je me suis finalement intégrée à l’univers de Burgdorf, une bourgade imaginaire aux bords du Rhin qui a des allures de maisons de poupée, de modèle réduit où rien ne manque…
Une saga puissante à travers le regard profondément humain d’une toute petite héroïne, Trudi la naine, au cœur de la montée dévastatrice du nazisme hitlérien, de la partition imprévisible des êtres confrontés à l’assujettissement idéologique, à l’aliénation face à la peur et à la menace; ces forces du bien et du mal qui ont le pouvoir de s’insinuer en chacun de nous et de provoquer des réactions insoupçonnables…
Ce récit ambitieux nous révèle des pans entiers de l’histoire allemande grâce à une galerie de personnages d’une authenticité et d’une profondeur déconcertantes; grâce surtout à une qualité d’écriture exceptionnelle et par conséquent, d’une qualité de la traduction toute aussi remarquable!

FranBlan - Montréal, Québec - 81 ans - 13 novembre 2011


Trudi 5 étoiles

J'avoue avoir été un peu déçue en comparaison des critiques lues.

Dans l'ensemble c'est un bon livre tout public, facile à lire..
J'ai apprécié l'évocation de la vie des gens lambda dans l'Allemagne nazie. La peur continuelle, les condamnations pour une simple critique dite à voix haute et en public.
Mais il y a beaucoup de facilités, on n'est jamais vraiment surpris par les événements, on sait déjà que Trudi et son père vont résister, on se doute de l'arrestation d'Eva, de la "faute" d'Ingrid...
L'auteur ne va jamais réellement au fond des choses, elle survole un peu et nous noie dans une multitude de personnages.

Je conseillerais plutôt "Seul dans Berlin" de Hans Fallada, pour bien comprendre cette période.

Edouardine - - 55 ans - 18 septembre 2011


L'Allemagne vue d'en bas 8 étoiles

Le regard de "Trudi la naine" ne dépasse pas son village de Burgdorf, mais saisit tous les événements qui, de 1915 à 1952, se déroulent pourtant bien au-dessus de sa petite taille. Rien ne lui échappe. Elle s'interroge, avec une lucidité quelquefois cruelle, sur sa différence, elle qui ne grandira jamais, quels que soient ses efforts. Qui saura l'aimer, à part son père ? Comment oublier la maladie mentale de sa mère, tôt disparue ? Surdouée, Trudi analyse et comprend le monde avant tout le monde, petits et grands. Elle sait les faire parler. Elle les juge, les manipule aussi. Comme le sycophante de l'antiquité, elle répand histoires et rumeurs. Mais elle sait aussi écouter et aimer. La chronique villageoise, bousculée par la montée du nazisme et de la deuxième guerre mondiale devient insensiblement une histoire de l'Allemagne et de la persécution des juifs, vue de son bourg. Alors le roman d'Ursula Hegi, dont le style pouvait lasser par la minutie de ses descriptions de miniaturiste, prend son envol. La fresque est en place pour les drames qui s'y déroulent. Emporté dans ce tourbillon, le lecteur est saisi par les horreurs du temps, au fil d'un quotidien absurde et monstrueux, en même temps qu'il est conquis par l'humanité tranquille et la détermination de l'héroïne, qui, comme dans la chambre noire du photographe, se révèle tout comme elle révèle son époque, de manière saisissante.

Ce livre a obtenu le Prix des lecteurs du Livre de poche 2010 (Littérature)

http://diacritiques.blogspot.com/2010/04/…

Cécédille - - 78 ans - 20 octobre 2010


A lire absolument 10 étoiles

Un grand merci aux lecteurs de CL pour m'avoir permis de découvrir ce grand roman incontournable, cette grande fresque historique qui se déroule de 1915 à 1952, de passer un long et bon moment de lecture avec Trudi.
Un livre à offrir, à conseiller.

Dudule - Orléans - - ans - 10 octobre 2010


Une tranche d’Allemagne … 9 étoiles

« Le tambour », de Günther Grass, a été évoqué au sujet de ce roman et c’est vrai que le procédé, l’environnement, et puis l’origine des auteurs, permettent cette évocation. Ursula Hegi est peut-être maintenant américaine, écrit en anglais, n’empêche qu’elle est née allemande en Allemagne en 1946 et qu’elle y a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. Et cette filiation des auteurs allemands s’impose d’elle-même il me semble. Un climat, des préoccupations, communs, similaires. Ca évoque aussi furieusement « La voleuse de livres » de Zusak, sauf que … sauf que Zusak, s’il est de parents allemand et autrichien est né, lui, en Australie. N’empêche ! Il y a un ton commun …
S’agissant d’une tranche d’Allemagne, on ne s’étonnera pas que cette tranche soit celle de 1915 à 1952, une période qu’on pourrait qualifier « de tous les dangers » !
Trudi est naine comme nous la présente le titre. Je ne sais pas si Ursula Hegi est elle-même naine ou côtoie au quotidien des gens de petite taille mais elle nous fait parfaitement sentir le drame de la très jeune Trudi, à l’âge où elle prend conscience de sa nanité, la refuse et se débat avec cela. Se débat d’autant plus que sa mère va sombrer dans la folie et rapidement disparaître, que Trudi culpabilise, se sentant responsable de l’arrivée de cette folie … Cet aspect de la question : se rendre compte qu’on est naine, en souffrir, parvenir à surmonter ceci, voire en tirer un petit avantage, est psychologiquement très juste.
Mais en parallèle du développement de Trudi, c’est l’histoire de l’Allemagne lorsqu’elle commence à se nazifier, puis à commettre les horreurs qu’on connait, que nous déroule Ursula Hegi. Et elle ne traite pas ceci par-dessus la jambe. Ce sont quand même 730 pages denses (en livre de poche), qui ne lassent pas, qui ne sont pas redondantes, et dans lesquelles elle ne tombe pas dans le piège pourtant facile de la sentimentalité. Ursula Hegi nous décrit une vie en temps d’horreurs, des vies simples, plutôt des exercices de survie, comme ça devait l’être à ce moment de l’Histoire.
Une bien belle œuvre, pas barbante pour un sou, et qui fait appel à l’intelligence.

Tistou - - 67 ans - 8 octobre 2010


A découvrir 9 étoiles

Trudi naît en 1915 à Burgdorf, en Allemagne. Elle est la fille de Leo et Gertrude Montag. Celle-ci deviendra folle en voyant pour la première fois la petite Trudi. Cette petite fille perçoit l’âme des autres, elle sait lire dans leurs cœurs. Toute petite, elle recherche l’amour de sa mère, les amitiés de ses camarades puis elle se fait confidente. Malheureusement, à cause de sa différence, elle est aussi victime d’humiliations.

Ce n'est pas seulement la vie de Trudi qu'on suit dans ce roman mais tous les habitants de Burgdorf. Trudi Montag y a une place privilégiée, on découvre ses sentiments très forts d'amour et de haine.

La ville de Burgdorf est une petite ville comme tant d'autres. N'attendez pas de l'action, on observe ces gens, on suit pendant plus de trente ans les vies de gens ordinaires pendant des guerres dévastatrices. Il y a des forts, des lâches, des discrets, des fous...

Un roman foisonnant qui aborde de nombreux sujets : amour, amitié, haine, mort, mais un roman fort sur les différences. J’ai parfois eu du mal à m’y retrouver avec les nombreux personnages mais c’est un roman vivant avec des personnalités bien modelées.

Je suis contente d'avoir lu ce livre intense en émotions, intense en leçons de vies. Est-ce parce que je l'ai lu en plusieurs fois ? mais je ne l'ai jamais trouvé ennuyant ou répétitif. Je n'hésiterais pas à relire cette auteur, j'ai aimé l'histoire mais j'ai aussi aimé la plume.

(Le titre original est Stones from the river, rappelant une scène du livre, particulièrement marquante pour la jeune Trudi.)

Shan_Ze - Lyon - 40 ans - 7 octobre 2010


Quand l'intolérance se veut ouverture 9 étoiles

Quel personnage étrange et fort que cette Trudi ! Elle incarne à elle seule cette image d'intolérance et de persécution qu'on colle si souvent aux Allemands de la seconde guerre, tout en étant quelqu'un d'extrêmement solidaire et attentif aux souffrance d'autrui, à l'image d'une autre partie de ces Allemands de la guerre. Complexité et paradoxe d'un personnage qui représente toute une société à travers un village, la puissance des cancans et le pouvoir de l'entraide. Une entraide qui existe mais qui fut trop longtemps étouffée sous le poids d'un passé barbare dont on a abreuvé les uns et les autres pendant des années pour que plus jamais ça ne se reproduise. C'est salutaire qu'un roman ouvre d'autres portes, illustre ce pan de l'histoire en le vivant de l'autre côté, avec toutes les déchirures que l'on peut deviner, parfaitement incarnées par cette étonnante Trudi la naine.
L'un des tours de force de l'ouvrage est cette aisance avec laquelle Ursula Hegi nous plonge dans ces destinées, ces anecdotes, ces faits dramatiques, sans crier, sans militer mais en faisant glisser tout cela dans nos têtes avec facilité, douceur aussi, de manière imperceptible, presque invisible, jusqu'à ce que nous nous rendions compte que nous sommes passés de l'autre côté du miroir et que nous vivons nous aussi, dans nos esprits, ce qui arrive aux personnages du roman. Un bon moyen de s'approprier le texte et de se rendre compte de ses grandes qualités.

Sahkti - Genève - 49 ans - 30 septembre 2010


Une vie marquée par la différence 9 étoiles

L’histoire se situe dans une petite ville d’Allemagne et débute en 1915 pour se terminer après la guerre en 1952. Nous suivons la vie de Trudi, une naine dont le père tient une bibliothèque payante à Burgdorf. La mère de Trudi n’a jamais vraiment accepté cette difformité de sa fille unique et sombre de plus en plus dans une folie qui lui fait accomplir des actes extravagants et insensés. Le père de Trudi est un homme patient et bon qui prend soin de sa petite famille avec amour et dignité malgré les racontars et les ragots. Afin de survivre, Trudi développe une force de caractère peu commune et tout au long de sa vie, elle fera preuve de courage dans l’adversité, surtout pendant les dures années de la Deuxième Guerre mondiale. Sachant qu’elle ne pourra jamais vivre une vie de femme normale avec mari et enfants, Trudi se réfugie dans les rares amitiés qu’elle réussit à développer avec quelques membres de son entourage. Elle se pose en observatrice des événements et des drames qui jalonnent la vie de la petite communauté durement éprouvée par la Guerre, les dures années Hitlériennes et la folie qui s’empare parfois de certains de ses membres. Trudi devient une spécialiste des nouvelles fraîches et alimente la curiosité des abonnés de la bibliothèque qui se délectent de ses secrets vite dévoilés à tout venant. Ce n’est cependant pas de la méchanceté qui anime la naine mais une soif de vie insatiable qui la fait se tourner vers la vie des autres plutôt que de s’apitoyer constamment sur la sienne. Pourtant, Trudi connaîtra le bonheur dans les bras d’un homme mais le bonheur est-il vraiment fait pour elle ? Y a-t-elle droit au même titre que les autres ?

Très beau roman qui, bien que d’une écriture correcte sans plus, enrichit le lecteur sur le plan de la vie en communauté et des relations humaines. Bien sûr, nous avons droit aux mesquineries, aux ragots, aux méchancetés incontournables qui assaisonnent toute vie sociale un tant soit peu complexe mais, en contrepartie, il y a une belle solidarité qui s’établit entre certains citoyens et certaines familles, surtout pendant les années de guerre où la vie s’avère de plus en plus difficile et pénible. Le danger rôde et la moindre parole visant Hitler est aussitôt rapportée et son auteur arrêté. Mais la complicité et l’entraide réussissent à adoucir les souffrances de ceux que le malheur frappe. Il y a aussi « le bienfaiteur anonyme » que personne ne connaît et qui laisse sur le pas de la porte des cadeaux grandement appréciés des bénéficiaires ébahis.

Malgré sa longueur, le roman maintient l’intérêt du lecteur en raison du grand nombre de personnages et d’événements petits ou grands qui parsèment le récit et lui donnent une saveur particulière et souvent nostalgique. Les pensées et réflexions de Trudi sur le monde qui l’entoure sont extrêmement touchantes et d’une grande humanité. C’est aussi une fort belle analyse de la société allemande de l’époque, de ses mœurs, de sa culture et de sa mentalité.

« Ils vous entassaient dans des camps de concentration, comme des bêtes, avec un sac à farine entre le sol dur et vous, vous enlevaient votre dignité et vous faisaient ressembler à n’importe qui, et vice versa, d’une manière ignoble. Et si vous surviviez à tous leurs tourments et à tous les désagréments, aux excréments, à l’absence complète de vie privée et à cette faim qui devenait votre préoccupation majeure — plus forte encore que la peur —, alors vous ne faisiez que confirmer l’idée qu’ils s’étaient faite de vous : que vous n’étiez qu’un animal. »

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 26 septembre 2010


Autour de Trudi 9 étoiles

A travers le regard de Trudi la naine, Ursula Hegi décortique la société allemande de la première guerre mondiale jusqu'en 1952.
Trudi est tellement attachante, qu'il est difficile de la quitter à la fin du bouquin.
Un livre à lire absolument.

Koudoux - SART - 59 ans - 17 septembre 2010


Trudi la naine 9 étoiles

J’ai été particulièrement touchée par ce roman. Il est très riche en descriptions sur les sentiments et les préoccupations de l’époque, sur les idéaux et les craintes. Il laisse entrevoir la lente descente aux enfers d’une civilisation. Ou quand la barbarie devient quotidienne même infime. Roman de société émouvant et extrêmement bien écrit, sensible et copieux à la fois, vision profondément humaine d’une population perdue grâce au regard sans équivoque de Trudi, Trudi la Naine est un grand roman de mœurs tout simplement.

A lire absolument car il reste longtemps en tête. On a l’impression de vivre avec Trudi. Elle devient une compagne de lecture très plaisante. On a envie de la suivre encore plus. Très beau roman, beaux personnages, vrais et authentiques, Ursula Hegi excelle avec une histoire de la vie très bien décortiquée.

Yelle - - 68 ans - 23 août 2010


« Tu ne dois pas avoir honte d’être allemande » 8 étoiles

« C’était l’été 1915, et la ville appartenait aux femmes. » Leur mari se battait depuis un an sur le front oriental, et le couple Montag accueillait, à Burgdorf petite ville près de Düsseldorf, leur premier enfant, Trudi, qui hélas était naine. Ainsi Ursula Hegi crée un personnage, son "Tambour", qui lui permet de raconter l’histoire de l’Allemagne nazie depuis ses origines jusqu’à ses derniers soubresauts quand la chape de plomb vient tout écraser sous l’énorme poids de son silence. Comme Gunther Grass, elle a inventé un personnage hors norme qui lui permet de prendre suffisamment de distance avec les événements pour pouvoir les rapporter à sa façon et essayer de les comprendre.

Elle va ainsi enlacer l’histoire, bien réelle, de son pays d’origine avec celle, tout à fait fictive, de cette naine qu’elle a inventée pour les besoins de son projet littéraire. Pour compenser son handicap physique, Trudi a un réel don pour percevoir et comprendre ce que les adultes pensent et notamment sur ce qu’ils pensent d’elle. Elle est aussi capable d’apprendre très vite ce dont elle a besoin pour lutter contre les persécutions, le rejet, la condescendance, la pitié et les frustrations, même sentimentales, dont elle est la victime.

Son père est revenu blessé du front russe et sa mère est devenue folle quand elle constaté qu’elle avait mis au monde un enfant différent. Elle fait des fugues, se cachent et finit internée dans un asile où elle décède rapidement laissant Trudi seule avec son père qui loue des livres dans la petite ville. Aux obsèques de la mère, la foule réunie compose un bel échantillon de ce qu’est l’Allemagne nazie en gestation : les forts en gueule revanchards, les idéalistes, les catholiques intégristes, les nationalistes, les xénophobes, les faibles suiveurs, les juifs fatalistes ou optimistes, les communistes et ceux qui sont déjà des justes mais ne le savent pas encore et ne le sauront probablement jamais. Comme son père sage parmi les sages.

Trudi passe son enfance parmi les livres en essayant par tous les moyens de grandir pour être comme les autres qui la rejettent ou la terrorisent mais même ses prières, ses exercices et ses régimes n’y peuvent rien, elle grossit mais ne grandit point. Et, comme sur les bords du Bodensee où Martin Walser nous a montré, dans « Une source vive », comment le nazisme c’est insidieusement glissé dans les couches populaires avec son arsenal de démagogie et de brutalités, Burgdorf connait, elle aussi, la montée de ce nouveau fléau. Quand la situation devient de plus en plus difficile, que le les juifs sont persécutés puis emmenés, Trudi et son père résistent en silence mais non sans efficacité avec tous les risques que cela comporte.

Elle comprend mieux alors le problème da la différence auquel elle est confrontée et qui ne s’applique désormais plus à elle seule mais, avec plus de cruauté encore, à d’autres : les juifs, les homosexuels, les tziganes, les handicapés, … Et, quand le conflit éclate et que la solution finale touche les petites villes, c’est sur les traces d’Hans Fallada, et de « Seul dans Berlin », qu’Ursula Hegi emmène Trudi et son père, dans une résistance active et très risquée aux agissements cruels des nazis. Dans l’action, devant le danger, la naine oublie un peu son handicap et parvient à se prouver qu’elle peut, elle aussi, jouer un rôle dans la société.

Quand l’Allemagne écrasée, exsangue, châtiée, cessa les hostilités, les misères ne se dissipèrent point et les populations subirent encore longtemps la faim, le froid et les privations en tout genre. Et, «muets, écrasés par des secrets auxquels ils s’interdisaient eux-mêmes de penser, les hommes de Burgdorf revinrent. » Alors, il fallut affronter de nouveaux problèmes : les absents, les blessés, les détraqués, les coupables, l’épuration plus ou moins juste, le silence, l’oubli, l’ignorance du parcours de chacun. Et, sur les traces d’Ernst Wiechert cherchant le pardon et l’absolution dans « Missa sine domine », l’auteur cherche à comprendre comment est né ce régime, pourquoi il a pu s’implanter et comment il y a pu commettre de telles exactions dans un pays à la culture aussi riche.

A travers ce lourd pavé, Ursula Hegi semble, comme nombre d’Allemands de cette génération, chercher elle même à comprendre son passé, ou plutôt le passé de ses parents, dans cette période si trouble où « les familles retrouvèrent maris et fils sans oser leur poser de questions sur la guerre. » On pourrait penser qu’elle a écrit ce livre pour exorciser un vide dans sa propre histoire. « Pour ces enfants, … , le silence était une chose normale : ils grandissaient avec. « Normal » : le mot était terrible, quand on y pensait. La plupart d’entre eux connaissaient l’existence de la guerre, … , mais ils avaient très vite appris qu’il n’était pas bon d’en parler, …

Alors pour que cet exorcisme soit possible, il faut essayer de comprendre les origines de cette barbarie sans omettre le rôle prépondérant que l’auteur attribue à l’église catholique qu’il stigmatise fortement, l’accablant de bien des tares : suppôt du nazisme, pédophilie, intégrisme suicidaire. Il semble avoir un compte personnel à régler avec cette institution. Il faut aussi qu’il y ait des responsables mais ne pas, pour autant, rendre tout le monde coupable, «… nombre d’Américains considéraient tous les Allemands comme des nazis. Or, Trudi savait déjà ce que c’était que d’être perçu comme un ennemi dans son propre pays parce qu’on s’opposait aux nazis… » Et quand la culpabilité est établie et jugée, il faut encore marcher sur le chemin de la rédemption et pour cela il faut accepter mais tous ont-ils compris et accepté ?
« Tu ne dois pas avoir honte d’être allemande.
C’est pour moi un poids que d’être allemande. Comme pour nous tous.
….
Non, non, Trudi. Toute cette malchance est tombée sur nous à cause d’une personne, une seule, et c’est très regrettable. Mais ça n’a pas souillé toute la nation. »

Et maintenant, comme le fait Ursula Hegi avec ce livre, il faut lutter contre l’oubli car Trudi l’avait déjà bien senti : « Elle n’en revenait pas de cette capacité qu’avaient les gens d’oublier, du jour au lendemain, qu’ils avaient soutenu les nazis, de nier tout ce qui venait de se passer dans leur pays, … » « Leur allégeance à un chef puissant et unique devenait maintenant leur excuse : puisqu’ils n’avaient rien décidé mais simplement obéi aux ordres, rien ne pouvait leur être reproché. »

Ce livre, où les mots, du récit, de la narration, de l’invention, de l’affabulation, du mensonge, de l’imagination pour masquer la cruauté de la réalité et contourner tout ce qu’on ne peut pas dire et nommer, ont tellement d’importance, n’apporte rien de nouveau au débat, il permet seulement de mieux comprendre qu’une génération d’Allemands, principalement, cherche encore une partie de son histoire et qu’il faudra toujours remettre l’ouvrage sur le métier pour que la mémoire collective se souvienne.

Débézed - Besançon - 76 ans - 2 août 2010