Naufrages
de Akira Yoshimura

critiqué par BMR & MAM, le 11 juin 2010
(Paris - 64 ans)


La note:  étoiles
Pour quelques sacs de riz ...
On avait lu ce court roman d'Akira Yoshimura il y a un peu plus de quatre ans.
Ces Naufrages nous avaient laissé un fort souvenir, une trace indélébile. L'histoire était rude et puissante, l'envie d'y goûter à nouveau restait là.
À la relecture, ce petit conte philosophique a conservé toute sa force et l'écriture de Yoshimura gardé toute sa noblesse.
Le japonais nous fait partager la dure, très dure, vie des pêcheurs d'un petit village perdu le long de la côte.
Quelques habitants survivent là, isolés entre mer et montagne.
Lorsque la saison de pêche n'est guère fructueuse, les familles sont obligées de vendre un des leurs (fille aînée, femme, mari, ...) à quelque maquignon en échange de quelques sacs de pauvres céréales. Tous ne reviennent pas au village.

[...] Quand quelqu'un mourait au cours de sa période de travail, l'intermédiaire était obligé de dédommager l'employeur. C'est pourquoi il choisissait des gens en bonne santé et, considérant la perte que cela pouvait représenter, il prenait à l'employeur une somme plus importante que celle qui revenait à la famille. le village d'Isaku semblait constituer pour lui une bonne source de revenus quant à la qualité de ceux qui se vendaient pour travailler.

Alors au fil des siècles, les habitants du village ont pris coutume de se faire naufrageurs.
La récolte du sel (ils font bouillir de grandes bassines d'eau de mer) se fait désormais sur la plage : en cas de mauvais temps, ils escomptent bien que quelques bateaux apercevront les feux ainsi allumés sur la grève ...

[...] - Tu sais pourquoi on cuit le sel sur la plage ?
L'œil de Kichizo était tourné vers lui.
Isaku savait que la quantité de sel récoltée, nécessaire à la consommation du village pendant un an, était répartie équitablement entre les familles. Il pensa que si Kichizo lui posait cette question, c'était pour savoir s'il connaissait l'autre raison.
- C'est pour faire venir les bateaux, n'est-ce pas ? répondit-il en le regardant.

Après la saison de la pêche, vient la saison des tempêtes et si les vents ne leur sont pas "favorables", ils devront bientôt vendre la fille aînée, enfin la plus âgée qu'il leur reste, en échange de quelques sacs de riz ...
Ainsi dans le village du jeune Isaku dont le père est parti il y a près de trois ans se vendre sur quelque chantier, il faut savoir traverser plusieurs années sans naufrage "providentiel".
Mais lors d'un hiver enfin plus propice que les autres, c'est la fête !

[...] Des petits bateaux avaient quitté la plage et se dirigeaient vers le navire échoué sur les rochers. [...] Les petites embarcations progressaient, et bientôt elles vinrent entourer le navire naufragé. On aurait dit des fourmis à l'assaut d'un scarabée.

Malheur ensuite aux rares marins survivants ...

[...] Les maquereaux ne s'étaient pas vendus, la pêche au poulpe n'avait pas beaucoup donné, et ils n'avaient pas ramassé de grandes quantités de coquillages, aussi l'arrivée providentielle du bateau mettrait-elle les villageois à l'abri du besoin pour deux ou trois ans peut-être. Ils allaient pouvoir vivre quelque temps tranquilles, et personne ne serait obligé de se vendre.

La vie des habitants du village du jeune Isaku est assurément l'une des plus dures qui soient. Mais ce qui les attend à la fin du conte sera plus sévère encore.
L'écriture d'Akira Yoshimura est sobre et sèche comme il convient à cette cruelle histoire. Au fil des saisons, il fouille sans relâche, jusqu'au coeur de ces hommes.
Cet auteur maîtrise une rare puissance d'évocation : tout au long de ces quelques pages on reste collé au rivage, les pieds dans le sable aux côtés d'Isaku et de ses compatriotes.
Une très très belle occasion de découvrir la littérature japonaise.

Pour celles et ceux qui aiment les pêcheurs.
Fatalisme héroïque 9 étoiles

Un petit village de pêcheurs pauvres entre mer et montagne. La vie y est rude et austère. Elle est rythmée par les cycles de pêches et les saisons.
Isaku, 9 ans, apprend à devenir une homme. Il participe aux tâches collectives dont l'entretien du feu sur la plage en hiver pour favoriser l'échouage sur la côte rocheuse des bateaux en déperdition. Et ainsi récupérer leurs marchandises qui peuvent bouleverser la vie du village.

Avec un style épuré et clinique, Akira Yoshimura délivre un conte puissant. Il est saisissant de suivre ces villageois marqués par une condition misérable, dont les rares lueurs sont rapidement étouffées par une fatalité intraitable, et qui acceptent leur sort et se soumettent aux lois claniques. Malgré la sécheresse de l'écriture, il se dégage une forte émotion de ce roman, émotion qui nous accompagne longtemps.

Elko - Niort - 48 ans - 17 juin 2023


La cruauté du réel ! 9 étoiles

Un ouvrage facile à lire, difficile à assimiler !
Un monde cruel regardé à travers une imagerie d'enfant : cette peuplade pauvrissime, soumise à la cruauté d'un monde esclave du réel et du temps, plus ou moins clément. Et pour s'en sortir, l'espoir fou, le rêve fantasmatique d'un naufrage provoqué !
Pas de bien ou de mal, une société qui a besoin pour survivre et ne pas se vendre (littéralement) de cet apport fabuleux mais dangereux et combien aléatoire, de naufragés morts mais porteurs de ressources indispensables ...
Une société rude, sans tendresse, où la survie est le maître mot ! DUR !
Mais ô combien vrai et prenant.
Une oeuvre percutante

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 8 juillet 2012