La Grande Maison
de Michèle Sales

critiqué par Hibou, le 9 juin 2010
( - 50 ans)


La note:  étoiles
original
Michèle Sales est bibliothécaire. Ce métier elle l’exerce en prison. Elle arpente la région avec ses longues autoroutes entrecoupées de vastes plaines, parfois cultivées, jusqu’à destination finale : toujours un mur large et haut, dont la porte centrale, munie d’un drapeau abrite des courettes et des bâtiments aux minuscules fenêtres. Architecture inclassable. Architecture immuable. C’est dans des cellules transformées en bibliothèque qu’elle côtoie les détenus, trop peu nombreux, désireux de lire et les cartons de livres qui s’empilent, toujours en perpétuel déménagement. Elle pose un regard critique sur les ateliers d’écriture en prison et ses activités littéraires, tant ils semblent malmenés et de peu d’importance pour le personnel administratif. Mais sa vision est toujours juste et optimiste. Les mots humanisent et rendent humains les plus récalcitrants. Le pouvoir des mots ouvre un monde ineffable à celui qui s’en approche.
Michèle Sales nous témoigne comme volés et pris sur le vif des fragments de vie carcérale. On côtoie dans les longs et mornes couloirs après le énième portique de sécurité, le surveillant, l’assistante sociale, l’éducateur, le comédien parfois et bien sûr le bibliothécaire et les détenus. C’est la visite de plusieurs centres de détention avec toujours le même centre de gravité : la bibliothèque dont le nom évocateur renferme trop souvent encore une salle obscure au sens fort du terme : obscure pour le visiteur extérieur comme pour le prisonnier. J’ai beaucoup aimé ce livre. Malgré en certains endroits de trop longues digressions à mon goût sur la topographie des lieux, l’écriture est très belle. On sent l’univers pénitentiaire pénétrer jusqu’à l’air qu’on respire. C’est d’autant plus touchant qu’elle sait créer un lien intime avec le lecteur comme avec les personnages de son récit. Elle nous parle d’elle par la troisième personne du singulier comme si l’espace d’un instant nous étions unis par le même regard. Elle parle de la vie intérieure des personnages comme si elle vivait avec eux leurs propres souffrances et espoirs. Sans jamais d’effet d’intrusion ni de pathos. Tout cela reste très sobre et élégant. Ce récit original mi roman mi autobiographie est saisissant. A découvrir.