Hunter S. Thompson : Journaliste & hors-la-loi
de William McKeen

critiqué par Numanuma, le 6 juin 2010
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
Rattrapé par la dead line
Passons sur la laideur de la couverture, ce doit être un concept chez Tristram. J’ai quatre livres de chez eux, à chaque fois c’est moche ! Me dire qu’il y a des mecs qui ont réfléchi, cogité, pesé le pour et le contre et qui à la fin ont pris la décision de mettre cette photo pas terrible en couverture me laisse dubitatif… Par contre, il faut l’admettre, au-delà de l’aspect purement esthétique, la photo a le grand mérite de résumer une bonne partie du personnage : porte cigarette à la main, alcool, cigarette, magnéto, short et lunettes de soleil sur les yeux, une tête d’inspecteur de la brigade des stup… Ne manque qu’une arme à feu. Ca ne parle pas forcément de la personnalité de Hunter S. Thompson, ça n’évoque pas forcément la vérité mais plutôt la légende, or, comme chacun sait, quand la légende est plus belle que la vérité, il faut écrire la légende.
Préfacé par Philippe Manœuvre, grand fan du bonhomme, cette biographie, écrite par un journaliste qui l’a bien connu, explore la vie et le mythe Hunter S. Thompson, LE journaliste gonzo à jamais piégé par ce « label » qu’il a toujours renié et qui l’a définitivement enfermé dans une image de journaliste hors la loi abreuvé de whisky et gorgé de pilules par franchement légales.
La partie sur l’enfance et la jeunesse de Thompson laisse l’impression d’un sale con, le genre de gamin hyper charismatique et intelligent avec qui il vaut mieux être pote histoire de ne pas devenir la cible de ses farces qui ne font rire que lui. Et encore, même être en bons termes n’est pas un bouclier absolu. Thompson gardera toujours cet humour bizarre et finalement assez désagréable qui lui fait vider sur la tête de quelqu’un le contenu d’un extincteur… En creux, il faut comprendre qu’il s’agit d’une façon comme une autre d’exprimer un sentiment pas forcément mauvais. Bon.
L’incroyable qualité de cette bio est qu’elle fait toujours la part entre l’image de Thompson et son œuvre, deux choses très éloignées. Hunter S. Thompson considère ses textes comme des choses très sérieuses, des œuvres et non comme les élucubrations déglinguées d’un type défoncé subitement pris d’une inspiration. Problème, Thompson est vraiment un type défoncé. Ou bourré. Mais jamais suffisamment pour lui faire perdre ses moyens. Son style journalistique est probablement l’inverse du journalisme. Gonzo.
Le mot est lâché. Il est difficile de savoir avec précision quelle réalité il recouvre puisqu’aujourd’hui, il désigne le porno au Japon. Rien à voir donc avec les récits hallucinés/hallucinant de Thompson qui ne parlaient parfois pas du sujet sur lequel il était supposé écrire ! Le Gonzo met le journaliste au cœur du sujet, chez Hunter S. Thompson sous la forme du Docteur Duke, journaliste qui cherche son sujet. Las Vegas Parano est un reportage sur une course dans le désert à la base. Voyez ce que Thompson en fait. Digressions, formules choc, humour particulier et corrosif, Thompson est un genre à lui seul bien éloigné des écrivains qu’il admire le plus : Hemingway, Fitzgerald et Henri Miller.
En fait, je pense que seul son premier livre, Hell’s Angels, sorti en France il y a une dizaine d’années, est véritablement du journalisme. Hunter suit les Hells’ Angels, partage leur quotidien, rencontre le désormais mythique Sonny Barger, leur chef, et parvient à expliquer le phénomène des bandes de motards.
Le problème est que le public assimile Thompson et Duke ; l’un doit correspondre à l’autre même si la réalité de Hunter est pleine de cognac, de cigarette, de cocaïne, elle est aussi pleine de longues et nombreuses nuits de travail intense à la machine à écrire à la recherche du mot juste. Il travaillait par jet, par inspiration qu’il tenait jusqu’à ce qu’elle le lâche. Il faisait copie de chaque lettre qu’il envoyait, de chaque document, laissait des notes partout sur des supports variés qui lui servaient ensuite d’amorce pour ses textes. Ca et la musique, Dylan et les Stones en tête. Il laissera sa machine à écrire à Dylan en remerciement de quarante années de « carburant ».
Hunter S. Thompson s’est suicidé en février 2005, chez lui à Aspen. Le journaliste vedette de Rolling Stone magazine, la Bible officielle de la contre-culture américaine n’a jamais écrit sur la musique. Il a écrit sur le sport et la politique. Surtout sur la politique. Ses admirateurs le considèrent comme l’un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. Son ex-épouse Sandy a un avis intéressant : Hunter savait qu’il n’était pas le grand écrivain qu’il aurait pu, qu’il aurait dû devenir avec le talent qu’il possédait et cela le rongeait, le poussait mais d’une certaine façon le détruisait. Il a choisi d’en finir avec tout ça. Il a décidé. Iggy Pop dit qu’il a choisi la voie du samouraï. Pourquoi pas. Mais cela revient à accorder du crédit au suicide.
Son nom n’apparaît plus dans « l’ours » de Rolling Stone magazine, comme il le demandait depuis de nombreuses années pourtant, dans le numéro de ce mois de Mai 2010, le nom de Raoul Duke (sport) est bien là, dans la catégorie Contributing Editors, hommage éternel au dernier représentant du rêve américain.