Maîtres et complices
de Gabriel Matzneff

critiqué par Dirlandaise, le 6 juin 2010
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
D'une grande richesse littéraire
Quand je pense à Gabriel Matzneff, les mots qui me viennent à l’esprit sont : classe, érudition, générosité, sensibilité, prévenance, tendresse et beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ici. J’ai beaucoup aimé lorsque l’écrivain a confié son amour de Paris à ses lecteurs en les entraînant dans une véritable visite guidée par le truchement de son livre « Boulevard Saint-Germain ». Il s'agit ici d'une autre visite guidée, cette fois purement littéraire. En effet, le cher homme a la générosité de nous entretenir des écrivains qui ont marqué sa vie, formé son esprit d’adolescent et de jeune adulte, des écrivains qui sont parfois devenus de véritables amis et confidents alors que d’autres sont demeurés des compagnons livresques. Chacun des trente chapitres de cet essai est consacré à un auteur en particulier parfois à plusieurs mais plus rarement. Il serait fastidieux de tous les énumérer mais permettez-moi d’en nommer quelques-uns qui ont joué un rôle décisif dans la vie de monsieur Matzneff : Schopenhauer, l’abbé de Saint-Cyran, Léon Chestov, Dostoïevski, Rozanov, Berdiaeff, La Rochefoucauld, Sade, Mirabeau, Joseph de Maistre, Byron, Baudelaire, Flaubert, Nietzsche, Weininger, Oscar Wilde, Constantin Léontieff, Hergé, Henry de Montherlant et Cioran. Il y en d’autres mais j’ai nommé les plus importants. Bien sûr, il ne faut pas oublier les grands philosophes tels Épicure, Sénèque, Caton, Pythagore, Lucrèce, Cicéron, Lactance, Plaute, Pétrone etc..

C’est sur le ton de la confidence que Gabriel Matzneff s’adresse à ses lecteurs. J’aime bien sa façon de prendre soin de ceux qui le lisent. Il fait preuve de beaucoup de prévenance et de reconnaissance envers son lectorat et contrairement à beaucoup d’autres écrivains, il n’oublie jamais son lecteur et s’adresse souvent directement à lui ce que j’aime au plus haut point. Il est très attentionné et respectueux. Ce livre est d’une grande richesse littéraire et il est essentiel de le lire afin de bien comprendre l’homme qu’est Gabriel Matzneff dont la formidable érudition n’a de cesse de m’impressionner.

J’ai particulièrement aimé le chapitre consacré à Dostoïevski dans lequel monsieur Matzneff explique bien succinctement hélas la pensée du grand écrivain russe. Le chapitre sur Montherlant est très émouvant et j’ai perçu une douleur profonde non encore complètement cicatrisée. Celui sur Hergé m’a semblé bien court et je suis restée un peu sur ma faim malgré son intérêt certain. Les chapitres sur La Rochefoucauld, Byron et Sade sont plus étoffés. Le chapitre sur Sade est tout à fait remarquable et m’a donné le goût de lire sur la vie étonnante de cet homme hors du commun. Je veux aussi mentionner le charmant chapitre sur Le Littré qui est le livre de chevet de monsieur Matzneff et qui lui tient compagnie lors de ses insomnies.

Une adorable conclusion vient mettre un terme à ce document et je reconnais bien là l’humour cabotin et un tantinet enfantin du cher homme.

Je voudrais tant que ma critique soit à la hauteur de cet ouvrage exceptionnel et avant tout, je voudrais tant que cet auteur soit apprécié à sa juste valeur malgré l’ostracisme et la haine que ses mœurs ont suscité chez beaucoup de gens. Un livre incontournable dans l’œuvre de cet homme remarquable et d’une gentillesse surannée qui m’enchante.

« Berdiaeff divise l’humanité en deux camps : les dostoïevskiens et ceux à qui l’esprit de Dostoïevski est étranger. Cette division est juste, à condition de ne pas confondre les dostoïevskiens avec les spécialistes de Dostoïevski : on peut tout savoir sur Dostoïevski, décortiquer les moindres aspects de son œuvre au cours de savants colloques, et néanmoins ne pas appartenir à sa famille spirituelle ; être condamné à ne jamais pouvoir le lire de l’intérieur. »

« Du vivant d’Oscar Wilde, fors une petite troupe de jeunes lectrices et lecteurs passionnés, personne ne le prenait au sérieux. Les journalistes littéraires et le public le tenaient pour un provocateur, un pervers, un comédien, un narcisse infatué de soi, un dandy, un satyre, mais assurément pas pour un des plus grands écrivains de sa génération. »