L'Engrenage : Mémoires d'un trader
de Jérôme Kerviel

critiqué par B1p, le 24 mai 2010
( - 51 ans)


La note:  étoiles
pile je gagne, face tu perds
Tout le monde connaît le cas Kerviel. Trader à la Société Générale, il lui fait, dit-on, perdre 6,4 milliards d'euros au début 2008 alors qu'il lui en a fait gagner 1,5 à la fin 2007 (solde = 4,9 milliards d'euros de perte), alors que la situation boursière et le bilan de la Société Générale se sont déjà fortement dégradés. Ce sera l'un des scandales bancaires les plus retentissants de ces dernières années, en dehors, bien sûr, du scandale des subprimes.

Quelques jours avant le début de son procès, Kerviel expose ici sa vision du dossier. Il est clair que deux points de vue sur réalité vont s'affronter. La Société Générale n'aura de cesse de vouloir faire le procès d'une homme tandis que cet homme voudra faire le procès du système bancaire.

Oui, Kerviel a joué sur des sommes astronomiques à l'aide du système informatique de la banque qui l'employait. Oui, des sommes pareilles n'auraient jamais dû être engagées sur des situations financières. A-t-il détourné le système informatique, a-t-il berné la banque ? Kerviel soutient que non : toutes les positions qu'il a prises sur les marchés laissaient selon lui une trace dans le système, quelque chose qui pouvait être suivi par ses supérieurs ou les différents services de contrôle de la banque. Non, il n'a pas profité de mots de passe autres que le sien*. Si ces positions n'ont pas généré de réactions de la banque malgré les divers signaux "danger" qui se sont allumés pendant l'année 2007 (dont notamment une réaction du régulateur de la bourse allemande), c'est soit parce que ses supérieurs l'ont couvert, soit parce qu'ils étaient incompétents. Signalons, au passage, que chacune de ces deux possibilités est plutôt inquiétante quant à la façon dont les actions des traders étaient encadrées en salle des marchés...

Jérôme Kerviel propose sa vision des choses, dans un style extrêmement lisible. Cela frise parfois le roman tant toute cette histoire est ahurissante et qu'on a du mal à croire qu'elle a pu être vraie : comment peut-on jouer des milliards sans que personne ne s'en rende compte ? De quoi donner le vertige ! Et c'est effectivement une sensation qu'on ressent à la lecture de certains passages.

Dans quelle disposition d'esprit était Kerviel pour en arriver là ? Il soutient ne pas avoir l'âme d'un joueur invétéré et se sentir blessé par les supposées déficiences que certains journaux à scandales ont inventées de toute pièce. L'engrenage, vraiment ? Le fait de gagner entraînant une spirale où l'on veut toujours gagner plus ?

Le procès nous le dira peut-être. Encore que l'instruction de celui-ci soit déjà sous le feu des critiques de Kerviel. Bien que le juge d'instruction soit réputé intègre, Kerviel critique comment l'enquête a été menée. Selon lui, les techniques de trading, la nature des produits dérivés sur lesquels il jouait ont grandement échappé au juge d'instruction, celui-ci n'étant donc pas capable de décider des devoirs d'enquête à ordonner en connaissance de cause. Pire : pour décider des actions à mener, il se serait largement basé sur les dires des experts... de la Société Générale, autrement dit de la partie adverse. Autant dire que cela jette un doute sérieux sur l'impartialité avec laquelle l'enquête a été menée.

Heureusement, plus que quelques jours à attendre avant de connaître, espère-t-on, le fin mot de l'histoire...

* Toute cette chronique est écrite avec le point de vue de Kerviel puisque c'est celui qui est exposé dans le bouquin.
Le lampiste bouc émissaire 8 étoiles

Du 24 décembre 2007 au 24 janvier 2008, l’affaire Kerviel a fait éclater au grand jour la fragilité et les mensonges du monde de la finance. Quelques mois auparavant, le trader de la Société Générale Jérôme Kerviel avait fait gagner la bagatelle de 1,4 milliard d’euros à sa société grâce à des prises de risques assez insensées, mais encouragées par ses supérieurs tant que la banque ramassait la mise. C’est même le principe premier du bon trader : « Savoir prendre le maximum de risques pour faire gagner à la banque le maximum d’argent. » Comme son bilan de fin d’année a très largement dépassé le quota autorisé, il en reporte environ la moitié sur l’année suivante, espérant tout régulariser en quelques jours. Mais les marchés partent à la baisse et ne semblent plus vouloir remonter. Kerviel reste calme. Tant qu’il ne vend pas, il ne perd rien. Mais c’est à ce moment que les dirigeants se réveillent, le mettent en accusation, le licencient, portent plainte pour détournement de fonds, intrusion dans les systèmes informatiques et mise en danger de l’établissement bancaire. La Société Générale l’accuse de lui avoir fait perdre 4,9 milliards d’euros alors que toutes les ventes à perte pratiquées dans la hâte sur trois jours ont été le fait de ses collègues sur ordre de la direction. Et c’est le début d’un véritable chemin de croix pour le trader qui se retrouve en garde à vue puis en prison alors qu’il n’a pas détourné un seul centime à son profit…
« L’engrenage, sous-titré Mémoires d’un trader » est le témoignage sincère et touchant d’un homme honnête qui s’estime injustement accusé de malversations qui ne sont d’après lui que pratiques courantes dans le milieu bancaire. « Pas vu, pas pris » étant le principe premier du banquier. Il tente par cet ouvrage de se réhabiliter, de donner une image différente de celle des médias acharnés à sa perte. Il bossait de 7 heures du matin à 22 heures quasiment non-stop pour suivre l’évolution des marchés asiatiques, européens et américains. Il n’avait plus de vie personnelle, passionné qu’il était par son métier. Il était pris dans « l’enfer de la bonne gagneuse ». Pris dans un engrenage qui le dépassait, il fut traité comme une sorte de bouc émissaire et même de fusible au moment où la banque se trouvait dans de grandes difficultés. L’affaire tombait à point nommé pour faire oublier le scandale bien plus énorme des « subprimes ». Même si ce témoignage n’est plus d’actualité, il reste pertinent, vu qu’il permet de mieux comprendre ce qui se passe à l’intérieur des salles de marchés, comment les banques jouent au casino avec de l’argent qui n’existe pas (et même avec le nôtre, bien réel lui) et comment cette spéculation effrénée filant à la vitesse des octets peut créer des bulles, des krachs et de la misère et de la désolation partout dans le monde pour que Big Money et ses « banskters » s’en mettent plein les poches. Dans cet ensemble, le pauvre petit Kerviel ne fut qu’un lampiste qui le paya très cher quand même, 3 ans de prison ferme et 2 avec sursis (aménagés au bout de cinq mois) et surtout 1 million d’euros de dommages et intérêts toujours dus à la Société Générale. Comme le casino, la banque est toujours gagnante…

CC.RIDER - - 66 ans - 19 janvier 2023


De quoi dégoûter de la finance en général et de la Société Générale en particulier 6 étoiles

Présentation de l'éditeur :

Ce livre rompt le silence auquel je me suis astreint pendant plus de deux ans ; deux ans pendant lesquels mon nom a été traîné dans la boue par de trop nombreux journalistes, banquiers, hommes politiques ou avocats.
Aujourd’hui j’estime qu’il est temps d’établir la vérité.
À l’approche d’un procès décisif pour mon avenir, mais aussi pour le système bancaire, j’évoque tels que je les ai vécus les événements qui ont conduit à ma chute.
Je refais le chemin qui transforma le simple employé que j’étais en trader.
Je raconte dans le détail l’incroyable année 2007 où je fis gagner un milliard et demi à la Société Générale avant que la situation ne se retourne dès les premiers jours de 2008.
Je décris de l’intérieur la réalité des salles de marchés et du monde des traders, et le cynisme d’un système qui tire profit de ceux qui travaillent pour lui, quitte à les lâcher en cas de défaillance.
Lorsque je pénétrai dans la célèbre tour de La Défense en août 2000, je ne me doutais pas que, loin de passer la porte du paradis, j’entrai en enfer. Comme je ne me doutais pas qu’en franchissant le seuil du cabinet des juges d’instruction, la vérité n’éclaterait pas.
Je souhaite que ce livre interpelle l’opinion publique sur la réalité des pratiques bancaires. Qu’elle y découvre le témoignage d’un homme qui reconnaît ses fautes mais refuse de payer pour un système financier devenu fou.

Mon avis :

Etant moi-même financier depuis plus de 10 ans (pas en finance de marché mais plutôt en Corporate Finance et M&A, mais ces deux mondes se ressemblent) et fan inconditionnel de ces livres "documents" (j'ai énormément lu sur les subprimes, les crises financières, Madoff et sa pyramide de Ponzi etc...) je me suis mis à la lecture de ce livre avec la volonté farouche de ne pas me mettre directement en faveur du trader pour taper inconditionnellement sur la SoGé. C'est donc avec un œil objectif que j'ai essayé de lire ce livre mais cette tentative fut rapidement vaine.
En effet, à la lecture de ces "aveux" de la part de Jérôme Kerviel, au vu de l'ensemble des détails, des précisions qu'il donne, des dates, des entretiens qu'il a eus et surtout de la période sur laquelle tout cela s'est passé, il est tout simplement impossible que ce mastodonte qu'est la SG ait pu se faire berner ainsi. Comment serait-il possible qu'une institution telle que celle-ci, forte de centaines de salariés dédiés à la déontologie, aux contrôles internes, à la lutte anti-blanchiment, aux back-offices, etc.... aient pu passer à côté des milliards et milliards d'euros qui étaient investis par un simple trader de la banque. Car en effet, Kerviel nous prouve qu'il prenait des positions démesurées depuis des mois si ce n'est des années. Son P&L (comprenez ses gains et ses pertes) qu'il soit latent ou effectif, fluctuait de plusieurs dizaines de milliards d'euros d'un mois sur l'autre. Autrement dit il n'était tout simplement pas possible que personne ne le sache en interne. D'ailleurs de nombreuses personnes étaient au courant mais tant que les managers pouvaient "tondre la bête" pour en récupérer eux-mêmes les lauriers (comprenez des bonus dépassant le million d'euros annuel) pourquoi allaient-ils cafter ou éventrer la poule aux œufs d'or. Dans son livre, Kerviel nous retranscrit à merveille les ambiances de travail que l'on retrouve en finance et je vous assure que pour y avoir travaillé tout est véridique : les vrais amis n'existent pas. Des gens avec qui vous allez boire un verre le soir et vous tapent sur l'épaule ne rêvent en réalité qu'à vous piquer votre business ou vous mettre des bâtons dans les roues car si vous ne progressez pas en interne c'est que quelqu'un d'autre le fera....Commandement numéro 1 : tu ne te feras point d'amis, ou du moins "t'en méfier tu devras".

La Société Générale, aux dires de JK et je veux bien le croire, dès qu'elle a senti le vent tourner et dès que ses profits se sont transformés en pertes, s'est complètement retournée contre JK pour en faire une sorte de "terroriste financier", disant qu'elle n'était pas au courant de ses agissements, ce qui est bien évidemment impossible. Aucun manager, aucun contrôleur interne n'aurait découvert de telles spéculations?? Juste impossible.

Je ressors donc de ma lecture convaincu qu'une fois de plus l'énorme machine judiciaire tourne à deux vitesses : celle des méga structures telles que la SG, qui paient leurs avocats à coups de millions pour bien préserver leur jolie réputation et d'un autre côté celle des boucs émissaires, de ceux qui ne peuvent même pas se payer un petit avocat sans s'endetter à vie....

Bref, il m'a semblé revivre quelques-uns des épisodes que j'ai moi-même vécus en banque d'affaires, quand les dirigeants te soutiennent quand tu fais du bon boulot mais n'hésitent pas à balancer ton nom à la première erreur qui apparaît sur un dossier. Un monde de requins qu'on vous dit Messieurs, Dames....

Clubber14 - Paris - 44 ans - 18 décembre 2015


Confession 8 étoiles

On a tout dit, et son contraire, sur cette « affaire Kerviel ». Celui qui en a été le centre a choisi d'expliquer comment il en est arrivé là.
Embauché par la Société Générale, il deviendra trader, c'est à dire intervenant en Bourse. Ce métier va le passionner, mais lui faire perdre tout sens de la mesure. Au cœur de la « centrale à fabriquer du fric » (sic), J. Kerviel prend des positions très spéculatives, et augmente jusqu'à atteindre des niveaux totalement déraisonnables les montants engagés. Il écrit « j'outrepassais à la fois les fonctions qu'on m'avait officiellement attribuées et les pseudo-limites financières qu'on m'avait fixées ; mais tout cela restait virtuel, sans connexion avec la réalité de mon travail dont on me félicitait lorsque les résultats étaient bons ». En d'autres termes, les procédures de la banque limitaient officiellement les risques encourus, mais dans la pratique la hiérarchie fermait les yeux, et même encourageait celui qui, allant au-delà des autorisations, obtenait des résultats largement positifs. Pour contourner les procédures, le trader faisait comme ses collègues et ses supérieurs : il passait des ordres fictifs pour contrebalancer les résultats réels obtenus : soit pour dissimuler des pertes en attendant de pouvoir se refaire, soit pour dissimuler des gains, et ainsi se constituer une réserve ou présenter une position moins florissante que la réalité afin d'échapper à un impôt trop pénalisant.
Mais tout a basculé lorsque les mauvais choix de placements se sont additionnés et que les pertes sont devenues abyssales. On connaît la suite.
Jérôme Kerviel donnait tout à la banque et n'avait pratiquement plus de temps pour sa vie privée. Il écrit en avoir pris conscience, et ne pas regretter, indépendamment des circonstances, d'avoir quitté ce monde qui n'a rien d'humain. Il nous explique l'ambiance des salles de marché, les relations entre collègues, amicales en apparence, hypocrites en réalité. Et il explique comment la Société Générale a agi à son encontre, essayant de dissimuler des pratiques peu avouables mais en fait acceptées et même encouragées. A condition que les résultats soient au rendez-vous. Sinon...
Ce livre étant tout public, Jérôme Kerviel a évité de noyer le lecteur sous des termes trop techniques, et a expliqué de manière simple la nature des opérations qu'il engageait pour le compte de la banque. Reste à savoir si on peut croire à ce qu'il écrit. Il fournit des documents à l'appui de ses affirmations, il donne des détails difficiles à inventer, et il ne cache pas les énormes erreurs qu'il a commises. On peut logiquement penser qu'on est, avec ce livre, très proche de la réalité.

Bernard2 - DAX - 75 ans - 14 décembre 2014


TRADING MUST GO ON… 5 étoiles

Voici donc la biographie de l’homme qui a été condamné à payer 5 milliards d’Euros à son ancien employeur…
Jérôme KERVIEL nous raconte ici sa jeunesse, ses études, ses stages, son premier travail, son ascension au sein de la Société Générale jusqu’au poste de Trader…

La suite est ensuite connue, la révélation des pertes colossales de son employeur qui lui seront ensuite reprochées… l’instruction, la prison, le procès, la condamnation…

Le style de l’écriture est simple, basique, très direct, simple, sans fioritures, M. KERVIEL s’en tient à son dossier, il raconte les faits, rien que les faits…

Difficile donc de dire ce que j'ai ressenti en lisant cette biographie, j'ai constamment oscillé entre la compassion pour ce pauvre garçon, prisonnier d'un système... et mon envie de lui donner des baffes tellement il se fait manipuler par ce même système…
Jouant et se moquant des règles mêmes les plus élementaires, marchant sans cesse sur la corde raide entre les vides juridiques, et les règles imposés par ses supérieurs, même si ceux-ci semblaient fermer les yeux sur ses "dérapages" plus que souvent...

M. KERVIEL pensait-il vraiment que ses supérieurs hiérarchiques, ses anciens collègues de travail, ses anciens amis, le défendraient ou témoigneraient en sa faveur, en cas de problèmes, même s’il avait fait gagner des sommes colossales à ce même employeur?
Des fois on a vraiment l’impression que ce jeune homme est vraiment très ingénu et croit vivre dans le monde des «Bisounours»…
Difficile à croire pour quelqu'un qui est censé être un "requin" de la finance et manipuler des milliards d'Euros...

Reste, qu’on peut aisément comprendre qu’il se soit laissé aller jusqu’à transgresser toutes les règles, écrites et non écrites de son travail, avec ou sans le consentement tacite de son employeur…
Qui ne l’aurait pas fait? Quel jeune homme de 28 ans ne se serait pas laissé "griser", par ce semblant, cette illusion de pouvoir absolu, quand vous vous retrouvez à manipuler des sommes telles qu’on en arrive à influencer le cours de la bourse Allemande…
Pas de doute à avoir, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde de la finance actuelle, quand des jeunes hommes aussi inexpérimentés, influençables et ingenus que lui, se retrouvent à prendre des décisions impliquant des milliards d'Euros en un quart de seconde!...

Une question persiste toutefois à la fin de la lecture de cette autobiographie : Jérôme KERVIEL lampiste ou pas?..

Septularisen - - - ans - 20 mars 2011