La couleur de la guerre
de Arkadij Arkadʹevič Babčenko

critiqué par Dirlandaise, le 14 mai 2010
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
La sale guerre vue par un Russe
Il y a différentes façons d’aborder la guerre russo-tchétchène. Beaucoup d’ouvrages ont été écrits sur le sujet souvent par des journalistes qui ont travaillé sur le terrain. Arkadi Babtchenko a servi pendant les deux guerres de Tchétchénie et nous livre ici un témoignage exceptionnel sur son expérience lors de la première guerre de 1996. Le livre est un recueil de treize nouvelles qui pourraient être plutôt qualifiées de chapitres car ce sont les mêmes personnages qui reviennent dans chacune. Sa publication a suscité à Moscou une vive émotion et lui a valu le prix Début en 2005. Arkadi était un jeune homme de dix-huit ans qui travaillait au service des communications durant la guerre. Il raconte dans son livre tout ce qu’il a vécu comme recrue et comme combattant. La première nouvelle intitulée « Alkhan-Iourt » nous plonge directement dans l’action alors que l’unité d’Arkadi manœuvre dans la boue et pilonne un village tchétchène pour ne laisser que ruines et désolations. Cela pourrait être une histoire banale de guerre sans l’écriture remarquable de l’auteur. Les conditions terribles auxquelles les soldats russes ont dû faire face sont décrites avec force détails. En fait, le livre couvre tous les aspects de cette guerre terrible, les combats, les massacres de civils, la vie de caserne en attendant d’être expédiés au cœur de l’enfer tchétchène, les brutalités incroyables que les jeunes subissent de la part des plus âgés, les atrocités commises par les « Tchèques » sur les soldats russes et la vengeance de ces derniers, la haine profonde entre les deux camps, les mères russes à la recherche du cadavre de leur fils sur les champs de bataille et qui se font mitrailler par erreur quand ce n’est pas les tchétchènes qui les enlèvent pour les violer et les étriper, la camaraderie entre soldats, les magouilles, les pillages de maisons abandonnées.

C’est un livre terrible, réaliste et qui me donne un aperçu nouveau de cette sale guerre. Car avec Arkadi, nous sommes du côté des Russes. Les « Tchétchins » comme ils disent sont qualifiés de sauvages, d’illuminés, de fous et de gens qu’il faut absolument anéantir. Les jeunes soldats comme Arkadi ne comprennent pas très bien ce qu’ils sont venus faire dans cet enfer et ne pensent qu’à le quitter et être ailleurs. En plus de se faire régulièrement tabasser par leurs camarades plus vieux et aguerris, ils doivent combattre un peuple qu’ils connaissent mal et dont les motivations profondes leur échappent totalement. Ce ne sont que des gosses pris dans une tourmente infernale qui les dépasse. Il faut sauver sa peau à tout prix, voilà presque leur seule et unique préoccupation.

L’écriture sert à merveille les thèmes. Elle est d’une qualité irréprochable. Les scènes de combat sont remarquables et je dois dire que je suis fort impressionnée par le talent d’écrivain de cet homme qui nous livre un véritable journal de guerre en quelque sorte. Un document unique et de grande valeur qu’il faut lire absolument. Certains passages sont très durs et peuvent marquer les âmes un tant soit peu sensibles.

Je n’enlève pas d’étoiles malgré le fait que j’ai trouvé les scènes de passage à tabac un peu redondantes.

« Le soleil brille, les oiseaux chantent. La steppe nous assourdit de sa musique, elle nous enivre du parfum de ses herbes savoureuses, de ses abricots. La vie est là, à portée de main, lumineuse, ensoleillée, chantante, nous venons à peine de nous réveiller, tout doit bien se passer pour nous, tout doit être parfait. Comment imaginer que par une journée si belle et exquise ces maudits hélicoptères puissent atterrir sur la piste, que des gens puissent décharger des cadavres et les aligner au soleil ? »

« Dans ce régiment, tout le monde hait tout le monde, la haine et la folie planent au-dessus de la place d’armes tel un nuage, un lourd nuage puant de terreur dans lequel les jeunes recrues macèrent comme dans un jus de citron acide. Et nous devons mariner dans cette terreur et cette haine comme de la viande crue avant d’être envoyés au carnage. On n’en crèvera que plus facilement. »