Sur le théâtre de marionnettes
de Heinrich von Kleist

critiqué par Smokey, le 13 mai 2010
(Zone 51, Lille - 38 ans)


La note:  étoiles
"Un morceau de philosophie étincelant de raison et de grâce"
Cette citation d'Hofmannsthal décrit parfaitement ce que je peux considérer comme ma découverte littéraire de l'année...

Écrit en 1810, Kleist développe au sein de ce court palimpseste, la théorie de la chute originelle sur le plan esthétique, philosophique et religieux.

La trame est simple: le protagoniste, un danseur, soutient que les marionnettes surpassent l'homme car elles sont exemptes d'affectation. L'homme est un être d'affectation car son âme est faussée, elle "se trouve en tout point autre que le centre de gravité de mouvement". Notre conscience serait donc responsable de notre séparation avec l'état de nature.


Le concept de la grâce est largement développé par Kleist par le biais de ce qu'il considère comme ses équivalences: l'absence totale de conscience et la conscience infinie. L'auteur les considère comme concomitantes. Pour illustrer cette idée, il met en avant le fonctionnement des marionnettes. En effet, soit elles sont soumises aux lois de la pesanteur, soit elles y échappent totalement. Leur grâce provient du fait qu'elles sont en même temps soumises et non soumises aux lois.

Par le biais de la chorégraphie des marionnettes, Kleist met en valeur l'écriture comme trace éphémère de la disparition. C'est ce qui permet au lecteur d'entrevoir l'absence (illustrée dans le texte par le lien -le fil de fer quasiment invisible- unissant la marionnette et son marionnettiste).

La grâce serait donc devant ou derrière l'homme. Elle ne peut appartenir qu'à la matière ou à Dieu et c'est pour cela que nous sommes condamnés à la gesticulation éternelle et inutile de l'entre-deux.


La seconde notion développée par Kleist réside dans l'idée qu'il existe "un point où les deux extrémités du monde circulaire se raccordent". L'une de ces extrémités est la matière, l'autre Dieu, cette circularité est « comme l’image du miroir concave, après s’être éloignée à l’infini, revient soudain juste devant nous : de même la grâce, quand la connaissance est pour ainsi dire passée par un infini, est de nouveau là ; de sorte qu’elle apparaît en sa plus grande pureté dans cette conformation humaine du corps qui, ou bien n’a aucune conscience, ou bien a une conscience infinie, c’est-à-dire dans le mannequin ou dans Dieu ».

Les deux extrémités chercheraient donc constamment à trouver ce point qui comblerait le vide qui les sépare permettant ainsi au cercle d'être bouclé.

C'est donc le mouvement perpétuel des extrémités dans le but de clore l'infini du cercle qui illustre le mouvement de la connaissance, par le biais de la création qui tend à atteindre la grâce au sein même de l'écriture.

Ce livre est un véritable bijou, d'un grande finesse, il apporte de nombreuses clefs de compréhension pour l'ensemble de l'œuvre de Kleist.
La nature de l'art à jamais mystérieuse 10 étoiles

"Sur le théâtre marionnettes", est un essai des plus déroutants qui soient. Il ouvre un nombre de pistes énormes, au bout du compte, sans prendre jamais totalement position. Face à la chute universelle qui hante l'auteur, c'est une prise de position pour l'innocence en art, un retour vers l'état de nature chère aux romantiques. C'est ainsi qu'on voit à la fin un ours, degré zéro de la réflexion mais aboutissement naturel de l'instinct, battre un escrimeur des plus habiles, ne réagissant à aucune de ses feintes. Une des phrases-clefs du texte me semble être: "Dans le monde organique, nous constatons que plus la réflexion est obscure et faible, plus la grâce qui en surgit est souveraine et rayonnante."

Mario-Le-Sot - - 52 ans - 2 février 2013


Inattendu 9 étoiles

Ce livre est effectivement un petit bijou inattendu. Le propos de départ est étonnant au départ, car il affirme la prééminence de la marionnette sur le danseur le chevronné. Le point de vue est brillant, assuré, et pose de nombreuses à son lecteur. Bref opuscule publié l'année de son suicide en 1811, il apporte un éclairage surprenant sur l'oeuvre de l'auteur dramatique qu'il fut.
Les éditions Sillage proposent en complément un autre opuscule "Sur l'éloboration progressive des idées par la parole". Publié en 1806, cet essai rappelle les études philosophiques de Kleist, et le lecteur de Kant qu'il fut. Brillant également, et surprenant.

Perlimplim - Paris - 47 ans - 3 novembre 2011