Dictionnaire amoureux du cinéma
de Jean Tulard

critiqué par Jlc, le 11 mai 2010
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Vagabondage amoureux
On pourrait dire du dictionnaire ce que l’on dit du football : des règles du jeu extrêmement précises n’empêchent pas l’expression du talent des joueurs. Un dictionnaire est un outil très défini de connaissances qui laisse au lecteur utilisateur la liberté de l’ouvrir où il veut, de l’abandonner pour y revenir ailleurs, de participer ainsi à sa propre définition et par là d’affirmer son talent de lecteur.

La collection des dictionnaires amoureux est une très agréable fantaisie sentimentale où un auteur dit, souvent joliment, l’amour voire la passion qu’il porte à tel ou tel sujet. Cette collection n’a rien de la structure rigoureuse de l’essai, rien d’une compilation fastidieuse, rien d’une dissertation désordonnée parce que sentimentale. Elle sait, en revanche, allier la subjectivité d’un auteur au principe du dictionnaire pour épeler un vagabondage amoureux.

Le cinéma devait avoir un tel outil tant il provoque enthousiasme ou polémique, émotion ou critique impitoyable, tant il a suscité la passion d’un peuple cinéphile, tant on l’a si souvent enterré alors qu’il est certes différent mais toujours jeune.
Le paradoxe pourrait venir de l’auteur de ce dictionnaire, Jean Tulard. Ce personnage officiel, membre de l’Institut, à l’allure quelque peu austère, universitaire grand spécialiste de Napoléon, n’a pas le profil immédiat du cinéphile qui hante les salles obscures à des heures indues pour voir absolument un film inconnu, maudit, rare. Il faut ouvrir son ouvrage pour comprendre que ce portrait ne serait qu’un montage de stéréotypes alors qu’il est amant passionné du cinéma. C’est cette passion qui donne à son livre tant de charme, de jeunesse, et de vie. Tulard a tort sur un point : il n’est pas le vieux cinéphile qu’il dit être. Un cinéphile n’est jamais vieux tant le cinéma reste l’instantané d’un regard, la poésie d’un sourire, la violence d’un sentiment, l’image subjective d’une misère, le mouvement d’une révolte, le reflet du monde tel qu’il va, le rire pétillant d’un spectateur heureux le temps d’une évasion du monde réel, le souvenir d’un tendre moment clandestin dont une salle obscure ne fut que l’alibi et l’abri.

J’aime beaucoup ce dictionnaire car il n’est ni un recueil de films, ni un recensement de réalisateurs. Si la part belle en revient évidemment aux films , aux metteurs en scène – « Je donnerais tout Rossellini et tout Antonioni pour un film de Visconti et plus encore pour Senso »,- aux actrices - Scarlett Johanson « nouvelle Marilyn sans sa fragilité, sa vulnérabilité, l’éclair d’angoisse dans le regard »- et comédiens –« Vittorio Gassman est au septième art ce que Raimondi est à l’opéra, un phénomène »- , il nous parle aussi bien des ouvreuses (aujourd’hui disparues par manque de compétitivité probablement !!!), que des affiches « suggestion souvent infidèle d’un film », du festival de Cannes ou des anachronismes, des gangsters « figures de proue du cinéma américain », au montage. Bien sûr chacun ne partagera pas tous ses avis, trouvera ici ou là un mot qui manque. C’est ainsi que se nourrit l’agréable et souvent intense polémique intimement liée à la cinéphilie.

Mais la cinéphilie existe-t-elle encore, se demande Tulard. Cette réflexion donne à son dictionnaire un caractère un peu nostalgique mais le monde aura toujours besoin de la magie du cinéma pour rêver, s’enthousiasmer, s’émouvoir, en un mot vivre.