Après guerre : Une histoire de l'Europe depuis 1945
de Tony Judt

critiqué par Béatrice, le 27 avril 2010
(Paris - - ans)


La note:  étoiles
Une vision personnelle
Voilà une histoire de l’Europe de 1945 à 2005 sur 900 pages. Si on jette un coup d’œil à la bio de Judt, auteur britannique, on voit qu’il est un type engagé. Cela se sent dans les pages de son bouquin. Cette histoire n’est pas un froid exposé, c’est une vision personnelle. Elle me touche car elle parle de mon histoire et celle de mes parents.

Judt éclaire les interdépendances, analyse les alternatives, met en perspective. Il intègre des brefs passages synthétiques où il identifie la tendance lourde sur une décennie.

A mon sens, une des sources d’inspiration de Judt a été « L’âge des extrêmes » d’Hobsbawm, sorti onze ans plus tôt ; d’ailleurs il le mentionne en début de sa préface. Il y a chez les deux historiens des interprétations qui se ressemblent et d’autres qui divergent.

Quelques sujets que j’ai suivis avec intérêt :
- Le sort des pays de l’ancien bloc communiste
- Le rôle des intellectuels : le débat idéologique autour de Sartre et Les Temps modernes ; les intellos dissidents à l’Est
- La construction européenne ; Judt dit sa confiance dans la vocation de l’UE

Des regrets

La deuxième moitié n’est pas à la hauteur de la première. Le bel esprit de synthèse présent dans la première moitié s’amenuise dans la deuxième. Est-ce le manque de recul historique ?

L’idée de centrer l’épilogue sur la Shoah ne m’a pas séduite

L’écriture manque parfois de netteté (voir à la fin un exemple)

Des flous, des lacunes, des inexactitudes et des coquilles

L’absence de sources dans le corps du texte ; il y a une longue bibliographie à la fin

Quelques citations :
« Les intellectuels français acquirent une dimension internationale particulière en tant que porte-parole de l’époque, tandis que la teneur des débats politiques français illustrait la déchirure idéologique à l’échelle du monde. Une fois de plus, et pour la dernière fois, Paris fut la capitale de l’Europe ». p256 (Sartre, Les Temps Modernes…)

« [La] domination américaine du cinéma européen de l’après-guerre ne fut pas simplement l’effet des goûts populaires. Il existait un contexte politique [] : le département d’Etat encouragea Paramount à ressortir Ninotchka (1939) cette année-là [1948] pour semer le trouble dans l’électorat communiste. Inversement, Washington demanda que Les Raisins de la colère de John Ford (1940) ne fût pas distribué en France : le PCF risquait d’exploiter son portrait peu flatteur de l’Amérique de la Crise. » p281

« Après novembre 1956 [révolte à Budapest] cependant, les Etats communistes d’Europe de l’Est, comme l’Union soviétique elle-même, amorcèrent leur enfoncement dans un crépuscule pluri-décennal de stagnation, de corruption et de cynisme ». p387

« Avec le recul, notre plus grave erreur fut de loin d’avoir autorisé la tenue d’élections. C’est à cela qu’on peut faire remonter notre chute » - dixit le général de brigade portugais Otelo Saraiva de Carvalho cité en p594

« Ce qui lie les Européens, même quand ils sont profondément critiques envers tel ou tel aspect des rouages de l’UE, c’est ce qu’il est devenu courant d’appeler – dans un contraste disjonctif mais révélateur avec « le mode de vie américain » - le « modèle social européen ». p 870

« Si la Turquie entrait dans l’UE, l’union aurait eu une frontière extérieure avec la Géorgie, l’Arménie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. La question de savoir si, géographiquement, il y avait du sens à transporter « l’Europe » à quelques centaines de kilomètres de Mossoul était légitime. » p891

La citation ci-dessous pour illustrer le manque de netteté de la phrase, je ne sais pas si c’est la version originale ou la traduction qui est en cause :
« Derrière le moment « social-démocrate» en Europe occidentale, se trouvaient non seulement une foi pragmatique dans le secteur public, ou l’allégeance aux principes économiques keynésiens, mais aussi une idée de la forme de l’époque, qui influença et, de longues décennies durant, étouffa même ses critiques en herbe ». p656
La tournure « une idée de la forme de l’époque » me pose un problème.

Pour conclure : un bon moment de lecture qui m’a permis de réviser les fondamentaux, imparfait mais indispensable.