La théorie des mèmes : Pourquoi nous nous imitons les uns les autres
de Susan J. Blackmore

critiqué par Oburoni, le 17 avril 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Une introduction a la mémétique
Les "mèmes" sont tous les traits qui sont transmis d'individus à d'autres individus non pas génétiquement mais par imitation. Dit plus crûment : ils sont tous les éléments culturels.

Le terme est apparu pour la première fois en 1976 dans le livre "Le gène égoïste" du biologiste anglais Richard Dawkins. Celui-ci y défendait une évolution centrée sur les gènes, tout en insistant sur le fait que ceux-ci seuls ne suffisent pas à expliquer certains de nos traits culturels et la manière dont ils se propagent -au sein d'une même génération et entre générations. "Mèmes" est le nom dont il baptisa ces réplicateurs ( à savoir des unités copiées sur plusieurs générations avec plus ou moins de fidélité ), terme qui sonne comme "gène" tout en étant proche du mot français "même", rendant bien l'idée d'imitation qui les sous-tends.

Langage, religions, idéologies etc... Tout ces phénomènes sont des mèmes. Ils n'ont rien a voir avec la génétique, mais ils obéissent pourtant à des lois similaires à celles qui régissent les gènes : ils sont héréditaires, soumis à de possibles variations, une stricte sélection "décide" de la survie des plus aptes, ils peuvent coopérer les uns avec les autres pour donner naissance à des mèmeplexes -tout comme les gènes donnent naissance a des phénotypes- et, bien sur, ils sont "égoïstes", c'est-a-dire qu'ils cherchent juste à se répandre et se reproduire sans se soucier de l'intérêt de leurs porteurs (humains, mais aussi livres ou supports médiatiques), qui ne sont que de simples véhicules.

Le concept de mème, réplicateurs semblables aux gènes mais qui ne sont pas les gènes -même s'ils sont parfois amenés à coopérer avec eux ( coévolution gènes-mèmes )- est révolutionnaire parce qu'il permettrait, peut-être, d'éclairer pas mal de questions sur lesquelles la biologie et les sciences qui en découlent ou s'y réfèrent ( sociobiologie, sciences comportementales, anthropologie... ) se cassaient les dents jusque-la. Pourquoi a-t-on développé un si gros cerveau ? Pourquoi des langages aussi complexes ? Pourquoi certains comportements altruistes ? Autant de gâchis inutiles voire contre-productifs d'un simple point de vue génétique, mais qui trouveraient un semblant de sens si on adopte une autre approche : le point de vue mémétique.

Susan Blackmore nous livre ici un bouquin intéressant parce qu'il ouvre en grand une porte sur tout un monde qui reste a découvrir. C'est aussi la, malheureusement, sa faiblesse : pour le moment, sans études sérieuses sur le sujet ( encore jeune et controversé ) on ne peut que s'en tenir sur le seuil. "La théorie des mèmes" repose donc souvent plus sur des spéculations, parfois à couper le souffle, que sur des faits. Dommage, parce que le tout est très séduisant.

A lire comme une introduction à une science encore balbutiante.
La théorie des mèmes ou l'évolution expliquée par l'imitation... 9 étoiles

Quand Darwin a lancé à la face du monde que "l'Homme descendait du singe", Lady Worcester s'exclama : "pourvu que cela ne soit pas vrai ; mais si cela devait l'être, prions pour que le peuple ne le sache pas !" Quand Freud a développé sa théorie de l'inconscient, beaucoup l'ont reçue comme les confessions d'un pervers polymorphe. Alors je ne sais pas quel sort, nous, contemporains, réservons à Susan Blackmore, mais c'est clair qu'elle ne doit pas y couper !

En quelques mots, la théorie des mèmes, ça raconte quoi ? L'évolution de l'Homme expliquée à la lumière des mèmes.

Avant de lire Sapiens de Yuval Noah Harari (lecture qui m'a conduite à ouvrir ce livre), je n'avais jamais entendu parler de mèmes. D'ailleurs un mème, qu'est-ce que c'est ? L'Oxford English Dictionary le définit comme "un élément de culture dont on peut considérer qu'il se transmet par des moyens non génétiques, en particulier par l'imitation". (terme créé par Richard Dawkins).

Voilà la solution la plus aboutie de l'énigme de l'évolution humaine : l'imitation qui nous fait apprendre en copiant et améliorant sans cesse ce que nous empruntons aux autres (actions, comportements, idées...).

Nous sommes donc le produit de réplicateurs, c'est-à-dire :
- de nos gènes qui viennent de créatures antérieures que nous transmettrons à notre tour si nous nous reproduisons - jusque là pas de problème, c'est acquis pour tout le monde, sauf peut-être pour les créationnistes ;
- de nos mèmes, composés de toute cette quantité de réplicateurs qui va des simples bouts d'informations stockées dans nos cerveaux, aux systèmes de pensées et d'idées complexes organisées et structurées, hérités d'autres personnes et que nous transmettrons, à notre tour, en parlant, écrivant et communiquant. Et là, ce n'est pas si facile à accepter.

Et n'allez pas croire que notre petit Moi intérieur a la mainmise sur toute cette cuisine interne. Non ! Il est lui-même une construction du monde mémétique, un moiplexe : Tout ce que nous sommes, nos choix, nos actions, nos pensées... est mû par la force et le pouvoir des réplicateurs. de la même manière qu'il y a une compétition entre les gènes pour arriver à la génération suivante, les mêmes se combattent pour être transmis vers un autre cerveau, livre ou objet.

Face au dessein biologique des gènes, il y a le dessein culturel et mental des mèmes. Gènes et mèmes étant les deux réplicateurs en jeu dans l'évolution humaine, agissant en interaction les uns avec les autres.
Si vous voulez savoir comment l'auteure arrive à cette conclusion, il ne vous reste plus qu'à lire ce livre !

Voilà ! Maintenant il va nous falloir "digérer", évaluer et analyser tout cela avec les petits mèmes déjà présents dans nos cerveaux et qui risquent fort de ne pas être d'accord pour laisser leur place à ceux de Susan Blackmore !

Merci à toutes celles et ceux qui m'auront suivie jusqu'ici - pas simple de résumer au mieux l'idée centrale de ces 389 pages, même si le propos de l'auteure est clair, argumenté et bourré d'exemples, le rendant abordable et "digeste". Elle soumet à la question de nombreuses choses, de la disparition de Neandertal aux récits d'enlèvements par des extra-terrestres - oui, je sais, moi aussi, j'ai tiqué, mais c'est une question qui a fait débat au Royaume-Uni (?) -, elle met en perspective des théories nouvelles et éclaire certaines découvertes, tout cela dans un foisonnement d'idées et d'exemples, qui, qu'on en soit convaincu ou non, est un régal pour l'intellect.

Personnellement c'est la chose la plus folle et sensée que j'ai lu depuis des années (limite, tu te demandes si ce n'est pas de la SF) et mes petits mèmes luttent encore pour survivre face à ce tsunami intellectuel... ou pas.

Dixie39 - - 54 ans - 1 mai 2017


Le deuxième réplicateur 8 étoiles

Je connais le concept de mème, cet élément culturel qui se transmet par d'autres lois que celles de la génétique, et notamment l'imitation, depuis peu. Pascal Boyer en parle dans son livre Et l'homme créa les dieux. J'ai tout de suite accroché avec l'idée d'un deuxième réplicateur, après le premier, le gène.
Susane Blackmore revient d'ailleurs durant tout un chapitre sur la théorie de la sélection naturelle initiée par Darwin puis reprise par Dawkins dans son Gène égoïste. L'analogie gène-mème est née à partir de ce livre des années 70. Une petite partie du corps scientifique, essentiellement des sociologues et psychologues, partagent cette théorie.

La thèse de Susan est ambitieuse : l’existence des mèmes mais surtout de notre capacité à imiter serait ce qui nous différencie de l’espèce animale.

Le livre est sans aucun conteste passionnant : bien écrit, facile d'accès, les références bibliographiques sont bien là. Il fait une revue des différentes théories qui existent pour expliquer certains phénomènes sociétaux (internet, le moi, l'altruisme, le sexe...) mais aussi sur des problématiques plus larges (le langage, la conscience, la taille du cerveau humain…) et détaille comment les mèmes pourraient répondre à certaines questions. On sent la volonté fougueuse de Susan Blackmore de vouloir démontrer sa théorie, et surtout de nous convaincre d'y adhérer.

Seulement, la qualité du livre, au plutôt de la mémétique, s’arrête là. L’idée est séduisante, mais en 40 ans, aucune preuve expérimentale n’est venue l’appuyer. Pourtant, Susan fait quelques suggestions pour tester les principes fondateurs de la mémétique, mais je trouve que ces propositions sont souvent biaisées par d’autres facteurs qu'elle n’évoque pas.
Il est difficile de se faire une idée sur la véracité de cette théorie, sur sa valeur scientifique, et s’il serait judicieux de continuer les recherches dans ce domaine. Peut-être que le livre de Dominique Guillo, sceptique concernant la mémétique, pourra m’éclairer ( La culture, le gène et le virus, La mémétique en question ) ?

Pour ceux qui voudraient découvrir de manière agréable ce qu’est la mémétique, je vous recommande la première partie d’une conférence de Susan Blackmore sur le site remarquable « Ted » : http://ted.com/talks/…
Ou le livre de Susan Blackmore qui est quoi qu'il en soit une lecture passionnante.

Elya - Savoie - 34 ans - 23 novembre 2011