Anticorps
de Fabienne Kanor

critiqué par Sahkti, le 14 avril 2010
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Satanée dépendance
Louise est une femme qui se voit, se sait, vieillir. L'âge est là, les quarante années de mariage dans les jambes ont usé pas mal d'énergie et érodé l'amour qui unissait Louise à Jacques. Jacques est devenu pas mal beauf, la belle caricature. Mais peut-être a-t-il toujours été comme ça, le regard de Louise ayant simplement évolué au gré du temps. La passion s'est faite habitude et l'habitude routinière a fait naître l'agacement. Agacement à propos de tout et de rien, de Jacques, des enfants, des gens en général. De soi-même aussi. Parce que Louise ne s'aime pas beaucoup telle qu'elle est devenue, vieille et aigrie, terriblement grinçante (ce qui est parfois bien drôle).

Un voyage au Maroc débute le récit, séjour de toutes les exaspérations, du touriste bidochon joué par Jacques, du regard empli d'énervement de Louise qui, de retour à Paris, décide de prendre les choses en mains et de changer sa vie. Au diable la vieillesse, un sursaut d'énergie devrait lui rendre le sourire. Ça,c'est sans compter sur la résistance de Jacques, bien sûr, ni celle des habitudes bien ancrées dans leur vie à eux. Pas pour rien que Louise parle tout le temps en disant "nous" et attendra la fin de sa vie pour enfin oser le "je". L'arrivée de la maladie dans sa vie lui fera prendre plus cruellement encore l'importance du temps qui est compté, de la vie qui est derrière soi et de la richesse d'une émancipation même tardive.

Un roman dense, sombre et en même temps empli d'espoir, que Fabienne Kanor aborde avec beaucoup de sobriété, de subtilité aussi. Le personnage multifacettes de Louise est étonnant, prenant. Sa condition de femme âgée désespérée touche et en même temps, on est parfois agacé par le regard qu'elle porte sur le monde avant de réaliser que notre vision à nous aussi a changé au fil des années, érodant une tolérance qu'on pensait indesctructible. Leçon enrichissante, regard sur soi et sur l'autre que l'auteur nous oblige à poser sans réellement nous en rendre compte et puis, à un moment, les choses prennent corps et on réalise le chemin parcouru.