Les Garçons
de Xavier Deutsch

critiqué par Mallollo, le 13 avril 2010
( - 42 ans)


La note:  étoiles
Trois garçons et la Littérature
Il est très difficile de faire la critique d'un livre qui nous a accompagné durant des années, et sur lequel notre regard change. Soit. Je tente.

Arthur a 16 ans, ce n'est pas de sa faute si M. et Mme Rimbaud ont de drôles d'idées en matière de prénom. Il est entouré d'Alice, sa grande soeur, Nicolas, son petit frère, Quentin et Frédéric, ses grands copains, et Mme Pauline (alias She Said), la prof de français. Et nous sommes à Andegry, petite ville française dont les rues portent des noms bien étranges.
Tout bascule dans la vie de tout ce petit monde le jour où She Said décide d'entamer un chapitre crucial de son cours: la littérature. Plus seulement les rimes riches et les assonances, mais le moteur de la littérature, ce qui donne leur force aux poètes et à leurs textes. Les trois garçons sont particulièrement réceptifs au discours de Mme Pauline, ils entrent dans un monde de beauté de force et de lumière et décident même de tenter l'écriture. Mais ils n'en sortent pas indemnes: Arthur fait une escapade quelques jours pour trouver en lui ce qui lui manquait, Quentin est tué de façon très allégorique (brûlé en allant trop près du soleil?) et Frédéric finit par embarquer clandestinement sur un paquebot russe, pour mener une vie à la Rimbaud.
Voilà pour le résumé.

Pour mon expérience de lecture: j'ai reçu ce livre à 12 ans (c'est un Ecole des Loisirs, je devais donc avoir à peu près l'âge pour). Je l'ai lu, dévoré et ça a été une vraie découverte pour moi. Une écriture totalement imagée et poétisée mélangée à du parler "djeunz". Des personnages forts, marquants, auxquels s'identifier à cet âge. Une approche de la littérature qui, malgré mon jeune âge lors de ma première lecture, m'a imprégnée pendant toutes mes études. C'est une des livres que j'ai pris le plus de plaisir à lire et relire indéfiniment.

Aujourd'hui, par frustration de ne pas voir "Les garçons" figurer dans CL, j'ai décidé de le relire dans l'optique de le critiquer. Le sentiment final est très étrange... Après avoir lu pas mal d'autres romans de Xavier Deutsch plus récents (Victoria Bauer, La belle étoile, Samuel est revenu - Les garçons n'était que son 2e roman), j'ai senti un fort décalage dans l'écriture avec celui-ci.

Les images poétiques passent souvent "en force". Il y a de vraies bonnes idées, où on voit les germes du Xavier Deutsch de la maturité, mais on a l'impression qu'il les enfile comme des perles sur un collier, sans savoir exactement ce qui fera mouche ou pas. Il y a quand même de magnifiques passages, particulièrement les explications de She Said sur la littérature:

"Des petites parties de soleil, d'Atlantique, de fureur et de Christ. Des choses grandes, qui sont dans vous et ça bouge. Sentez ça. Du français avec beaucoup de muscles, de force et de lumière dedans. C'est comme si vous mettiez Beethoven dans le journal du matin.
(...)L'homme est l'homme. Ses rêves sont grands, ont toujours été grands et ces rêvent secouent l'homme comme ils l'ont secoué depuis des tonnes de siècles. Voler, devenir dieu, créer l'univers, casser des limites, aimer des gens interdits, tuer. (...) Où est Dieu? Qu'est-ce que nous? Pourquoi la lune? Je veux voler. Pourquoi l'air? De l'eau? Faire l'amour. ÇA les travaillait, ça nous travaille toujours. Alors ils ont composé des formes de réponses. Au début c'était large, très grand. Des histoires immenses qu'ils se racontaient afin de structurer l'univers. Et puis ces histoires se sont solidifiées, ça a formé des blocs. Ces textes, les premiers, notre humanité repose dessus. (...) Ces textes, ils sont pour nous la Bible, les grands mythes grecs, les légendes celtiques et germaniques. (...) Puis ces textes, qui contenaient toute la force d'un peuple, ont parcouru les territoires des hommes, et les hommes ont fonctionné grâce aux textes, et ils les ont transformés, cependant la force est restée. Les grandes questions du départ ne se sont jamais échappées. Elles restent. Ces questions et ces rêves immenses, l'homme, dans sa littérature, il les a dits, afin que la force y passe. celui qui écrit donne la force, et celui qui lit reçoit la force et en même temps il pourra en donner aussi. Depuis des siècles les choses sont comme ça. La littérature, je la définis comme ce domaine-là. "

Autre "couac" possible: les relations et réactions des personnages sont improbables. Ça fait le charme de ce roman et donne à l'ensemble un ton plus allégorique que réaliste, mais si on le lit au premier degré, une classe qui "frissonne" quand la prof de français annonce ce qui est selon elle la littérature, ça peut en faire rigoler plus d'un... Moi, j'ai envie de lire ce roman au 2e degré, en gardant dans l'ensemble la dimension allégorique que l'auteur a voulu donner aux personnages.
Par exemple, Quentin meurt brûlé, après un accident inexplicable en ayant dépassé "La Limite". Avec les commentaires d'Arthur et les comparaison de She Said entre le sens de l'art (et la littérature) et le fait d'aller toujours plus haut au risque de se brûler les ailes, on est déjà dans l'allégorie. Pareil pour la fugue d'Arthur et les descriptions de tous ces jeunes garçons, aux 4 coins de l'Europe, qui sont dans la rue. A ce moment, Arthur EST tous les jeunes garçons de 16 ans en quête de quelque chose. Et enfin Frédéric, clandestin sur un bateau finalement "abandonné" par l'équipage et qui s'envole vers le soleil... on est toujours dans le même registre, je ne voit pas d'intérêt de considérer le reste du roman dans une perspective réaliste.

En résumé, malgré les faiblesses de forme de ce roman (qui marquent quand même le début d'un jeune auteur, ses premières armes), je le garde comme coup de coeur, un peu sentimental et nostalgique, parce qu'il me rappelle toute l'imagerie poétique que je me suis construite pendant mon adolescence. Je ne pense pas qu'un adulte ne connaissant rien de Xavier Deutsch apprécierait "Les garçons" comme première lecture de l'auteur, il faut probablement avoir accroché au roman à l'adolescence, ou être grand amateur de Deutsch et curieux de ses débuts. Pour moi qui suis dans les deux cas, et admirative aussi de la personnalité du bonhomme (que j'ai déjà eu l'occasion de croiser quelques fois), c'est bingo pour mettre 4 étoiles (ce n'est probablement pas pour rien que cette critique est si longue)...
Rimbaud en ligne de mire. 8 étoiles

Trois adolescents en quête d’absolu.
Une enseignante au doux parfum passionnée de littérature et de poésie.
Et Rimbaud !

Tels sont les ingrédients d’un roman qui vous emportera loin du quotidien, vous vissera les yeux au-dessus de l’horizon et, peut-être, vous fera découvrir l’envers du décor.

Le voyage est dépaysant, il a un parfum d’exigence et nous emmène vers d’autres rives.

Et même si l’auteur y fait référence à certaines marques, il nous nourrit de bien autre chose que ce tellement fade bonheur d’avoir.

Liberté, ivresse, interdits, limite, surpassement, beauté, littérature…voici quelques-uns des mots qui pourraient constituer la liste des mots-clés de cet écrit de Xavier Deutsch, « Les garçons »

Bafie - - 62 ans - 10 mai 2015