Le siècle des lumières
de Alejo Carpentier

critiqué par Oburoni, le 11 avril 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Robespierre en Guadeloupe
Un roman historique au sujet passionnant, mais au style malheureusement déplorable.

Esteban, son cousin Carlos et sa cousine Sofia mènent une vie assez morne a La Havane -Cuba. Peu de perspectives : à part la reprise du commerce familiale leur avenir semble assez triste. C'est compter sans Victor Hugues, franc-maçon excentrique qui déboulera dans leur vie et transformera radicalement leurs destinées.

Entrainant Esteban en France, les deux hommes s'y retrouveront vite empêtrés dans le tumulte de la Révolution. Pétris d'idéaux républicains, ivres de philosophie des Lumières, ils vivront un temps qui change le monde et les changera. Alejo Carpentier nous narre leurs aventures, du Paris révolutionnaire aux colonies où, devenu influent, Victor Hugues sera chargé d'apporter la Révolution. Surnommé le "Robespierre de la Guadeloupe" il incarne les travers de toute une époque, vus à travers le regard critique et acerbe d'Esteban.

Plus que la biographie d'un histrion opportuniste qui se croit grand homme servant un Idéal, Alejo Carpentier nous donne à voir, aussi, les déluges qui s'abattent sur cette fin de siècle des Lumières : les changements de régimes et troubles politiques en France qui nourrissent des guerres embrasant l'Europe; une Révolution qui se répandra dans les Iles, où la liberté -éphémère- fait son entrée avec la guillotine et les bains de sang des révoltes d'esclaves.

Un roman vaste, où chaque chapitre s'ouvre par un tableau de Goya et qui donne beaucoup à voir tant les niveaux de lecture se superposent. Seulement voila : Carpentier est un adepte de l'écriture baroque, pour moi lourde, pompier et pompeuse, ciselée au point d'être soporifique. Si l'histoire captive, fascine et tient en haleine, le style endort, écrase, gâche un livre qui, écrit autrement, aurait peut-être pu être un chef-d'oeuvre.

Dommage, car cela reste un regard intéressant sur la Révolution :

"(...) ce qu'il avait vécu lui revenait en mémoire comme un long cauchemar -un cauchemar de feu, de persécutions et de châtiments (...) Il vit ce qu'il avait laissé derrière lui en termes d'obscurité et de tumultes, de bruits et d'agonies de mort, de cris et d'exécutions, et il l'associait en esprit avec l'idée d'un tremblement de terre, une convulsion collective ou un rituel furieux.
-Je reviens de chez les barbares."
Difficile pour moi 6 étoiles

J'ai sans doute lu ce livre à un mauvais moment pour moi. J'y ai été obligé par mon club de lecture et je n'avais pas la tête disponible pour ce récit historique. Car il est vrai que c'est un livre dense, à l'écriture serrée, sans dialogue, sans pause, sans moment de repos. Il est nécessaire de se vider l'esprit et de prendre le temps de le lire sans penser à autre chose. Ceux qui ont pu le faire l'ont savouré. Cela n'a pas été mon cas, mais me fait me poser une interrogation sur le style. Ici, flamboyant, précieux, précis, avec un vocabulaire recherché. Les phrases sont longues, contournées, pleines de rebondissements. Et, souvent, je trouve que ce style tourne à vide, devient de la littérature pour elle-même et ne constitue pas un support pour la pensée. J'ai souvent ce sentiment devant des oeuvres largement admirées et en éprouve une réticence qui se transforme trop fréquemment en ennui. Est-ce grave?

Falgo - Lentilly - 85 ans - 16 janvier 2019


Une oeuvre phare 9 étoiles

J'ai lu ce livre il y a longtemps, bien longtemps (trente, trente-cinq ans?), trop longtemps en tout cas que pour en faire une critique détaillée. Tombant par hasard sur la (bonne) critique d'Oburoni, je ne puis cependant m'empêcher de réagir tant est encore forte l'impression que m'avait laissée ce livre éblouissant. Certes le vocabulaire de Carpentier déborde de profusion, ses phrases sinueuses semblent parfois s'allonger indéfiniment comme le cours de l'Amazone. Bref, nous avons affaire à une oeuvre baroque dans la pleine acception du terme. Cela, à mon sens, ne nuit cependant nullement au plaisir que l'on éprouve à la lecture de ce livre mais, au contraire l'accroît car ce style flamboyant est en parfait accord avec le sujet du roman et contribue à nous faire entrer de plain pied dans l'époque convulsive où il se déroule.
Je m'étonne par ailleurs, au passage, du peu de place consacré par "Critiques libres" à Alejo Carpentier. Ne lirait-on plus "Le Royaume de ce monde", "Le recours de la méthode" ou encore "La danse sacrale"? Il serait bien dommage de négliger un des écrivains latino-américains majeurs du XXième siècle.

Guermantes - Bruxelles - 77 ans - 8 juin 2010


Le siècle des Lumières... en espagnol! 9 étoiles

Je suis d'accord avec la quasi-totalité de votre critique. Je suis cependant très surpris lorsque vous dites que le style endort et gâche le livre.
J'ai lu le livre en espagnol et le style est excellent, le vocabulaire riche (tellement riche qu'il est difficile à lire pour un lecteur non-hispanophone) et j'en fais, je pense, un des chefs d'oeuvre de la littérature hispanophone.
Je n'ai jamais lu la traduction en français mais peut-être que le style y perd... Sans vouloir mettre en cause le travail du traducteur bien sûr!

À part ce désaccord, votre critique m'a beaucoup plu et c'est un livre que je conseille vivement!

Bebmadrid - Palma de Mallorca - 45 ans - 24 avril 2010