Requiem pour une cité de verre
de Donna Leon

critiqué par BMR & MAM, le 3 avril 2010
(Paris - 64 ans)


La note:  étoiles
Les canaux de Venise à Pâques
On a déjà dit et redit tout le bien qu'on pensait de Donna Leon qui est un peu à la botte italienne ce que Fred Vargas est à notre hexagone, notamment à l'occasion de ses deux derniers polars : Dissimulation de preuves et surtout Sang d'ébène.
Elle figure même au best-of 2009.
Au fil des épisodes, lentement et sûrement, l'américano-vénitienne installe ses décors, ses ambiances, son style et ses personnages autour du commissaire Brunetti. Le répertoire des polars
Au fil du temps les personnages ont gagné en épaisseur et en profondeur, l'auteure a trouvé maturité et assurance.
Au point que pour ce Requiem pour une cité de verre, Donna Leon se paie le luxe de ne faire apparaître le crime qu'à mi-parcours : pendant toute la première partie du bouquin le commissaire Brunetti promène sa classe et sa nonchalance au gré des canaux et des ruelles et il faut attendre la page 170 (sur 340 !) pour qu'un cadavre vienne quand même troubler les eaux tranquilles de La Sérénissime. Et c'est ce qu'on préfère dans les calmes errances de l'enquêteur.
On prend ainsi le temps de savourer avec lui les plaisirs de Venise et ceux de la cuisine de son épouse Paola (prof de littérature comme Donna Leon) :

[...] Sur la table de la cuisine, il trouva un mot de Paola lui disant qu'elle devait rencontrer un étudiant dont elle dirigeait la thèse, mais qu'il y avait des lasagnes au four. Les enfants ne seraient pas à la maison et il y avait de la salade dans le frigo : ne restait plus qu'à ajouter l'huile et le vinaigre. Alors qu'il se mettait au travail en ronchonnant, furieux d'avoir traversé la ville pour être finalement privé de la compagnie des siens et forcé de faire réchauffer des trucs dans le four - des trucs sans doute préparés industriellement et dégoulinant de ce répugnant fromage américain orange, pour ce qu'il en savait - il s'aperçut que Paola avait ajouté un post-scriptum : Et ne fais pas cette tête, c'est la recette de ta mère.

Une autre femme côtoie (professionnellement !) notre élégant commissaire : la signorina Elettra, l'assistante du service de police au carnet d'adresses bien garni et reine du piratage informatique :

[...] "Le rapport de la main courante sur la non-arrestation du signor De Cal ; la demande de permis de conduire de Ribetti et les documents afférents - la seule chose que nous ayons sur lui ; le compte-rendu de l'arrestation de Bovo pour agression, mais c'est une histoire qui date de six ans ; et des copies des lettres que Tassini nous envoie depuis plus d'un an, accompagnées des dossiers médicaux de sa femme et de sa fille". Il restait encore un certain nombre de documents sur la table et Brunetti, quand elle se tut, demanda ce que c'était. Elle le regarda avec un petit sourire gêné. "Des copies des déclarations fiscales de De Cal pour les six dernières années. Une fois que je commence à fouiner, une chose mène à une autre et j'ai un peu de mal à m'arrêter".

On savait l'élégante signorina redoutable au clavier : c'est confirmé !
Au fil des enquêtes du signor Brunetti, sans tapage ni fureur, Donna Leon brosse à petites touches un portrait peu reluisant de la vie sociale et politique de la lagune où trafics, magouilles et malversations sont les couleurs dominantes, comme en écho aux ors des anciens palais.
Cette fois-ci, c'est sur fond d'élection, d'écologie et de pollution industrielle qu'est planté le décor, ce qui donne l'occasion de quelques excursions jusqu'à Murano, l'île des maîtres verriers.
Pour celles et ceux qui aiment les canaux de la Sérénissime au printemps.
J'ai beaucoup aimé... 9 étoiles

Avant d’entrer directement au cœur de ce roman, il faudrait, je crois, prendre le temps de s’interroger sur ce que doit-être, devrait-être, un bon roman policier. En effet, trop souvent, quand on parle de l’œuvre de Donna Leon on chante – dans un premier camp – ses qualités pour immerger le lecteur dans ses atmosphères ou – dans un second camp – on regrette l’inaction, le faux rythme, de l’histoire. Et c’est bien là que commence l’éternel problème : faut-il absolument classer un roman dans une boite pour pouvoir le lire ? Et si un roman se suffisait par lui-même sans que l’on soit obligé de le classer en polar, SF, espionnage ou sentimental ?

Pour moi – et cela n’engage que moi – un roman policier est avant tout un roman qui s’appuie sur une intrigue policière. Cette dernière peut avoir plusieurs formes : la murder party – c’est-à-dire que le lecteur se retrouve en position de joueur et il doit deviner qui est coupable –, le thriller – roman où le lecteur va se retrouver en position d’avoir peur, de frémir, de trembler –, le roman noir – dont le but principal serait de décrire la société dans sa réalité à travers une énigme policière –, le roman gothique, le roman rouge, le polar humoristique, le roman d’espionnage… Et j’en oublie certainement un grand nombre !

Pour que ce soit un bon policier, il faut donc une bonne intrigue et une belle écriture. Pour le reste, je ne dis pas que c’est secondaire, je dis seulement que les auteurs ont tous les droits et que le lecteur aura, lui-aussi, celui d’aimer ou pas. Mais il n’est pas obligatoire que tous les policiers soient violents, vifs, rapides, rythmés, endiablés… A chacun son genre et les lecteurs trouveront le roman à leur goût !

Donna Leon, dans une interview donnée au TGV Magazine, disait : « Un roman policier doit réunir trois choses : un crime, un mobile, un criminel et son mode opératoire ». Si on revient aux romans de Donna Leon, c’est vrai que nous ne sommes pas dans des thrillers et que le rythme est plutôt lent. Mais elle dit elle-même que pour étoffer un roman policier, une fois abordées les choses importantes, il y a intérêt à « développer soit les tracas existentiels de votre personnage – ce que je fais en partie –, soit le contexte général de l’action, l’atmosphère politique et les grandes questions de société ».

La romancière américano-vénitienne a indiscutablement choisi un style proche du roman noir au sens où elle montre, roman après roman, le fonctionnement de la société vénitienne, la corruption italienne, la présence mafieuse dans cette société, les difficultés de la police pour résoudre les crimes et faire régner l’ordre et la loi… Le commissaire Guido Brunetti n’est pas un surhomme, un pur parmi les purs, c’est un policier ordinaire qui tente de faire son travail tranquillement… et c’est probablement ce qui le rend attachant, du moins à mes yeux.

Cette fois-ci, du côté de Venise, c’est une verrerie qui sera le lieu de prédilection pour cette enquête complexe. Il est vrai qu’avant le meurtre, il y aura de nombreuses scènes, des réflexions sur la pollution et des insultes à revendre… Mais, on va quand même retrouver un cadavre, celui d’un gardien d’usine, un homme passionné par la pollution des eaux de la lagune, un homme qui cherche, du moins qui cherchait, à faire payer à une personne la souffrance terrible qui avait perturbé sa vie, le handicap mental de sa petite fille chérie…

Une enquête complexe que va mener paisiblement Brunetti, à son rythme, mais surement, sans se soucier de ce qui pourrait le menacer car dans certains dossiers, quand on perturbe trop l’ordre en place, on peut se faire écraser aussi…

Un des très bons romans de la série !

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 5 janvier 2015


un premier raté 3 étoiles

C'est mon premier livre de cet auteur et ça risque d'être le dernier. Pour un policier, il n'y a aucune intrigue. Le meurtre arrive au milieu du livre et encore ... le suspense n'est pas là. Tout est calme, pondéré, mesuré, je n'ai rien trouvé de palpitant dans ce livre. Les personnages récurrents sont certainement très attachants mais ça ne fait un bon polar !!!

Ald_bzh - Brest - 46 ans - 6 janvier 2011


Entre corruption et verreries, il y a Murano 8 étoiles

Une des grandes qualités de la plume de Donna Leon est de réussir à créer des atmosphères particulières en quelques mots, de donner de la profondeur à ses personnages et à ses enquêtes sans devoir utiliser de scènes d'action ou de rebondissements à foison. Un art que l'on retrouve pleinement dans cette enquête de Guido Brunetti. Tout se déroule avec lenteur, presque langueur (à la vénitienne quoi...) et c'est amplement suffisant pour créer une tension sous-jacente au récit et empêcher le lecteur de quitter son bouquin avant de l'avoir terminé.

Sur fond de scandale écologique et de pollution de la lagune, Brunetti se retrouve confronté à la mort d'un homme qui n'avait pas hésité à accuser son employer, le propriétaire influent et caractériel d'une verrerie, d'être responsable du handicap de sa fille. Règlement de compte ? Besoin de faire taire un homme qui en savait trop?
Une fois encore, le commissaire enquête dans des milieux tout-puissants où un simple coup de fil suffit à imposer le silence et rétrograder un supérieur. La corruption est là, comme toujours dans les histoires de Donna Leon, traitée à l'italienne, avec résignation et nonchalance.

J'ai pris beaucoup de plaisir à déambuler dans les rues de Venise, à emprunter le bateau pour Murano et à me plonger dans l'univers de ces fabriques de verre souvent vendues aux désirs des touristes. Encore un bon Donna Leon !

Sahkti - Genève - 50 ans - 4 juillet 2010