L'orgie
de John Fante

critiqué par Stéphanie, le 14 février 2002
(Chevreuse - 53 ans)


La note:  étoiles
Ca ne s'oublie pas...
Lorsque j'étais adolescente, j’avais acheté deux bouquins de John Fante, complètement par hasard : « L’orgie » et « Mon chien Stupide ». Fante m’était alors inconnu, il ne faisait pas partie des auteurs que l’on étudiait en classe et c'est fort dommage car cela aurait permis aux lycéens que l'on couvrait alors uniquement de littérature classique, de découvrir un autre type d'écriture : efficace, rapide, directe, sans chichis. J'avais beaucoup aimé et ces deux livres m’avaient alors ouvert la porte de la littérature américaine.
Les années ont passé, Fante trottait toujours dans ma mémoire, il y avait laissé une trace et pourtant j’étais incapable de me rappeler l'histoire de ces deux livres. En revanche, je me souvenais d'un style d’écriture, d’une ambiance, de personnages un peu rustres, maladroits mais pas méchants. Alors, j’ai replongé et j'ai relu « L'orgie » suivi de « 1933 fut une mauvaise année ». Je n’ai pas été déçue, mon souvenir du style était pratiquement intact et le plaisir fut aussi grand que la première fois. Dans ces deux courts romans, John Fante décrit la vie de deux adolescents vivant dans le Colorado des années 1920, l'un étant passionné de filles, l'autre de baseball. Tous deux sont fils d’immigrés italiens, dont les pères maçons se débattent à longueur d'année contre le manque de travail et donc le manque d'argent. Chacun à sa manière, empli de la naïveté propre à leur âge, souhaite s'enrichir et pouvoir ainsi sortir ses parents de la boue dans laquelle ils vivent. Malheureusement, on n'échappe pas aussi facilement à son destin, fils de maçon italien tu es, maçon tu resteras... A travers les pulsions de ces jeunes garçons ou de leur entourage, on espère et ...on désespère...
John Fante est lui-même d’origine italienne et il est dit qu'il raconte dans chacun de ses romans sa propre histoire, où se mêlent vérités et mensonges. Je suppose que c’est pourquoi ses personnages nous paraissent si criants de vérité.
« 1933 fut une mauvaise année » un des plus grands textes de Fante, et donc de la littérature américaine. 8 étoiles

Recueil de deux novellas, l’Orgie reprend la thématique principal de Fante avec son double Molise, l’image du père défaillant et la relation avec celui-ci. Mais il y a également une nouvelle thématique qui apparaît dans ces deux textes : l’amitié.

Dans le premier texte l’enfant a une dizaine d’année et travaille avec son père maçon comme porteur d’eau. Son père a un ami, Franck Gabliano avec qui il travaille et avec qui bientôt il passera ses dimanches dans la prospection d’une mine. Un dimanche l’enfant part avec eux.

Si le sujet et l’écriture ne diffèrent en rien du style de l’auteur et que les premières sont très fortes, il me faut admettre que pour une raison inconnue je suis resté sur ma faim et qu'il n'y a que 4 étoiles.

Dans le second texte Molise a 17 ans et ne rêve que de Base-Ball pour lequel ses amis lui assurent qu’il a l’étoffe d’un futur grand joueur. Mais voilà la famille vit dans la pauvreté et on ne se nourrit pas de chimères. Son père lui demande de travailler avec lui.

Avec son titre à rallonge peu alléchant traduction de l’anglais « 1933 was a bad year » on pourrait avoir envie de faire l’impasse ce qui serait une grave erreur pour tout amateur de Fante car c’est un véritable bijou. La fragilité de l’adolescent face aux choix y est une fois de plus merveilleusement écrite. Je n’en dis pas plus et vive le grand Fante.
Bonne lecture

Yeaker - Blace (69) - 51 ans - 19 septembre 2015


Enfance revisitée 8 étoiles

John Fante n’a fait qu’inlassablement raconter la même histoire. La sienne. Celle d’un fils d’immigré italien pauvre aux Etats Unis.
Il y a deux grosses nouvelles (ou deux courts romans) dans cet ouvrage : « L’orgie » et « 1933 fut une mauvaise année ». Dans les deux, un petit garçon italien, fils d’immigré pauvre, est confronté à la dure réalité du Nouveau Monde. Confrontation ou opposition au père (invariablement poseur de briques), la mère tout aussi invariablement femme enchaînée au foyer, catholique pure et dure. Et le garçon, parvenant à l’âge de raison, ou de compréhension, et qui n’envisage absolument pas une vie de poseur de briques, mais qui commence à s’intéresser aux filles et qui comprend qu’en la matière, également, l’inégalité n’est pas un vain mot.
Beaucoup de compassion derrière ces histoires pour des êtres que l’histoire écrase, de la tendresse malgré les apparences, et une écriture à la fois simple et touchante.
Fante est né à Denver (Colorado) où commencent les Rocheuses et ses descriptions de mine abandonnée, dans une nature jamais soumise, sont criantes d’authenticité. Cripple Creek comme si vous y étiez : l’âpreté du décor, les nuages bas qui s’effilochent et ces mines comme une entrée vers l’enfer.
« L’orgie » en était une et 1933 était réellement une mauvaise année !

Tistou - - 68 ans - 23 août 2006


le plus détestable 8 étoiles

Que ce soit derrière le masque de Dominique Molise (enfant) ou d'Arturo Bandini (adulte), l'alter-ego de John Fante est à la fois le personnage le plus détestable et le plus attachant qu'il m'ait été donné de rencontrer en littérature. Il faut considérer Fante pour l'ensemble de son oeuvre plutôt que pour un livre en particulier. C'est toute sa vie qui est mise sur papier (vie réelle, vie inventée, mais vie quand même) et on ne peut faire autrement que de s'attacher à ce rêveur imbu de lui-même, méprisant, égoïste, et tordant comme c'est pas permis.
Les deux histoires qui composent ce livre jouent sur la relation père-fils alors que les deux n'ont rien pour s'entendre et sur les compromis que chacun doit faire pour vivre avec l'autre. "1933 fut une mauvaise année" est un petit chef d'oeuvre, drôle et troublant, écrit dans un langage clair, simple et qui n'a pas pris une ride. Car il faut se rappeler, Fante (en bien des point, le précurseur de Bukowski) a commencé à écrire dans les années trente alors que l'on considérait encore les écrits de Miller comme "pornographiques". Plus actuel que jamais, Fante fait certainement partie des trop peu nombreux qui ont compris bien des choses avant leur temps.

Grass - montréal - 47 ans - 29 août 2004


Claque 9 étoiles

L'orgie fait partie de ces livres qui vous secouent. Tourner la dernière page donne l'impression de recevoir une claque dans la figure. On reste un peu abruti, le livre entre les mains, le regard perdu.

Manu55 - João Pessoa - 51 ans - 22 janvier 2004


La pauvreté, la prière et la rage de vaincre 8 étoiles

Ce livre contient deux nouvelles. Dans la première, l'histoire se passe en 1925 à Boulder Colorado où vit la famille de Vico Steffanini. Ce qui est un peu déroutant c’est que nous retrouvons le même père poseur de briques que dans « Bandini », la même mère profondément accrochée à la religion, il vient aussi des Abruzzes, mais plus personne n'a les mêmes noms.
Ici, Fante utilise le « Je » pour le narrateur qui est le fils aîné de la famille et son prénom n'est jamais utilisé, pas plus que celui du père ou de la mère. Il a un frère plus jeune, Frederick et une sœur, Clara.
Le père a un ami qui s'appelle Franck Gagliano. Personne dans la famille ne le supporte, même pas Buck le chien. Les raisons de la mère sont claires : il est athée et « …elle considérait l'athéisme comme l’état le plus dégradant de l’humanité. » Rien de bon pour la famille ne pouvait donc arriver aussi longtemps que le père restait avec Franck.
Et voilà que le père reçoit le titre de propriété d’une petite mine d’or d'un de ses ouvriers à qui il a rendu service et qui vient de s'enrichir à la bourse. Elle se trouve à une petite trentaine de kilomètres de la ville. Il s'associe avec Franck au grand désespoir de la mère. Chaque enfant va se mettre à prier un saint dans l'espoir qu'ils trouvent de l'or. Chacun, sur le conseil du père, en choisit un le moins peu connu
Pourquoi ? Tout simplement sous le prétexte que les saints connus doivent être trop souvent courtisés et ne peuvent satisfaire tout le monde. Un saint peu connu, et donc peu sollicité, sera tellement heureux de l’être qu’il fera sûrement le nécessaire !.
Les deux hommes partent tous les week-ends, reviennent épuisés, mais ne trouvent jamais rien. Un jour, la mère impose au narrateur de partir avec eux, car elle se doute qu’il doit se passer là-bas des choses pas très « catholiques ». Aussi, elle impose à son fils d’emporter avec lui une solide dose d’eau bénite. Il en aura bien besoin !.
Dans la seconde nouvelle, nous sommes à Roper, Colorado, en 1933 et en pleine grande dépression économique. Ici, le narrateur est Dominic Molise, toujours fils d'un poseur de briques, toujours italiens, et originaire des Abruzzes. Il a deux frères, August et Frederick et une soeur Clara. La grand-mère paternelle, Benita, vit avec eux. Elle est plutôt mauvaise et hait sa belle-fille Maria tout autant que l'Amérique.
Dominic a un énorme talent qui lui vient du « Bras ». Il s’agit de son bras gauche qui lance la balle de base-ball d’une façon telle qu'il est convaincu, avec d’autres, qu'il sera un jour un des plus grands lanceurs vedettes du pays et très riche. Son seul problème : il est et reste petit. Découragé, un soir de neige, il apostrophe Dieu et lui dit : « Jouez-vous au chat et à la souris avec moi ? Vous êtes-vous fait virer du poste de commandement ? Avez-vous perdu le contrôle de la situation ? Lucifer a-t-il repris le pouvoir ? »
Mais le père ne voit en Dominic qu'un futur poseur de briques, comme lui et son grand-père avant lui. Il ne veut rien entendre d'autre !. En attendant, c’est la misère la plus noire à la maison, car nous sommes en hiver et on ne pose pas de briques en hiver. Le père, sans boulot, ne rentre plus chez lui et passe son temps à jouer au billard, tentant d’y gagner quelques dollars. La mère est désespérée et convaincue qu'il voit d'autres femmes. Dominic n’en serait pas étonné et se demande même comment son père a pu faire quatre enfants avec, aux murs, des reproductions du Christ en croix, une sainte Thérèse et la Vierge Marie. Pour couronner le tout, un rosaire constamment entre les mains de la mère ! Et elle prie, elle prie, elle prie. «
La prière ! A quoi servait-elle donc ? A quoi avait-elle avancé ma mère ? Mon père à côté d'elle au lit chaque nuit, écoutant le cliquetis de son rosaire, la trouvant à genoux, tremblant de froid, bon Dieu que fais-tu agenouillée, pour l'amour du Christ viens te coucher avant de mourir de froid, ses prières à elle un claquement de fouet sur son cul à lui, lui rappelant son indignité, son épouse comme un enfant qui envoie des lettres au Père Noël, renonçant à la vie entre les bras de Dieu, de Sainte Thérèse, de la Vierge Marie. »
Dominic n'en peut plus et ne pense plus qu’au « Bras » et à la gloire qu’il va lui apporter. Mais comment ? Il envisage de quitter la ville avec son seul ami, un garçon également doué pour le base-ball, mais dont les parents sont riches. Ils vont aller se faire engager dans une équipe de Chicago et cela ne pourra pas rater. Il enverra de l'argent à ses parents à la pelle chaque mois !. Mais en attendant, il n’a pas les cinquante dollars nécessaires pour son départ !… Comment va-t-il faire ?.
Un livre qui décrit la misère des petits immigrants italiens aux Etats-Unis au point de se demander pourquoi ils ont quitté un si beau pays pour venir dans cette immensité si dure et si cruelle pour ceux qui ne sont que des « petits » Ils ne voient pas le bout de leurs misères et tout ne semble que se déglinguer au fil du temps.
Le rêve américain ?… Pour qui ?…

Jules - Bruxelles - 80 ans - 22 septembre 2003


Un excellent bouquin ! 8 étoiles

Comme beaucoup de ses livres d'ailleurs. Son livre mythique, que son fils, Dan Fante, pourchasse dans les librairies des U.S., s'intitule "Demande à la poussière". Malheureusement, il a gâché son talent à Hollywood, comme beaucoup d'autres d'ailleurs de son époque dont Scott Fitzgerald et Faulkner. Heureusement, Faulkner a quand même bâti une oeuvre et Hemingway est arrivé à ce que ce soient ses romans qui fassent l'objet d'une adaptation au cinéma. Il n'a jamais écrit de l'alimentaire pour Hollywood. Il est aussi étonnant de noter que tous ces auteurs de l'époque aient sombré dans un alcoolisme effréné ! D'autres suivront ! Une malédiction américaine, ou une malédiction d'une époque ?...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 15 février 2002