Miles
de Alain Gerber

critiqué par Guermantes, le 22 mars 2010
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Miles par lui-même et par ses batteurs
Alain Gerber avait naguère (2003) publié chez Fayard un essai dans lequel il s’attachait à cerner la personnalité musicale de Miles Davis, focalisant particulièrement son attention sur la période cruciale des années 60 qui le vit s’éloigner peu à peu de l’univers strictement jazz pour se rapprocher de celui du rock et du rythm and blues.
Cette fois, c’est surtout l’homme Miles qui est au centre de ce nouvel ouvrage qui, du reste, porte le sous-titre de « roman ». Le portrait de Miles dressé ici est à la fois un auto-portait imaginaire, dans les chapitres intitulés « Miles » où l’auteur fait s’exprimer celui-ci à la première personne et une peinture extérieure brossée par plusieurs de ses anciens batteurs (de Max Roach à Al Foster en passant par Kenny Clarke, Jimmy Cobb et Tony Williams) qui, chacun, donnent sous la plume d’Alain Gerber, la vision qu’ils ont de Miles à divers moments de son existence. Nous en retirons l’image d’un être complexe, torturé, hanté par une extrême timidité qu’il s’efforcera de surmonter en se montrant agressif vis-vis d’à peu près tout le monde. Issu d’un milieu aisé et cultivé, chose plutôt rare parmi les jazzmen noirs de cette époque, Miles par son langage et ses attitudes se façonna un personnage de voyou. Il se montra un patron tyrannique pour ses musiciens, s’ingénia à jouer en tournant le dos au public et se conduisit très souvent en parfait goujat à l’égard de ses innombrables conquêtes féminines (à l’exception notable de Juliette Greco, peut-être parce qu’elle était loin de lui et qu’ils ne vécurent jamais ensemble).
Sur le plan musical, on ne peut dire que Miles ait révolutionné la musique de jazz à l’image d’un Charlie Parker (auprès duquel il débuta) ou d’un John Coltrane (qui fit partie de son orchestre alors qu’il était encore un quasi inconnu) mais il eut le talent extraordinaire de se mouler dans les différents styles de son époque et d’infléchir de l’intérieur, sans rupture absolue, l’évolution de ceux-ci : son rôle est évident dans les genèses du jazz cool (avec Gil Evans), du jazz modal (avec Bill Evans et Coltrane), du jazz-rock (avec Herbie Hancock, Chic Corea, Joe Zawinul, John Mc Laughlin…)
Et puis, par-dessus tout, reste le son de sa trompette reconnaissable entre tous qui amène l’auditeur au seuil d’un monde où le feu et la glace semblent se fondre dans une mystérieuse harmonie.
Tout cela, Gerber le dit bien dans la langue drue qui est la sienne. Toutefois, quoique ayant lu son livre avec un vif intérêt et souvent avec délice, je dois avouer m’être senti parfois gêné par son aspect hybride qui le situe quelque part entre le roman et la biographie musicale. Mais peut-être était-ce le but recherché…