Ma vie, son oeuvre
de Jacques-Pierre Amette

critiqué par Kinbote, le 23 février 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
L'écriture, sa ruine
Le livre débute sur l'enterrement d'Icare, le grand écrivain, relaté par son meilleur ami qui va devenir son exécuteur testamentaire. La suite du roman contera les relations entre le narrateur, sa femme Sonia, et Icare dans une écriture âpre, sans pathos, avec des énumérations à la façon de Flaubert et des points de suspension comme chez Céline. C'est le récit d’une ascension, d'un envol littéraire et puis d'une chute avec fracas observée du seul endroit qui vaille pour apprécier à leur juste valeur les débordements d'un passionné des lettres et de « l’écriture, sa ruine": celui d'un animateur de matinée enfantine, d’un prestidigitateur pour enfants, d’un clown.
Cependant, on reste sur sa faim quand le livre se boucle, retourne à son commencement qui est la fin d’une histoire, celle d’un homme qui s'est brûlé aux feux de la gloire littéraire mais dont n’aura perçu que la trajectoire un peu vaine mais point suffisamment les assises, les bonds et rebonds, les variations de vitesse dans le ciel pâle, les reprises et essoufflements.
Ou comment survivre à l'échec du Goncourt... 7 étoiles

Très beau roman, "Ma vie, son oeuvre" est assez intéressant à lire dans le contexte où l'auteur, Jacques-Pierre Amette, a obtenu le Goncourt 2003 pour un autre livre. Car dans ce roman, "Ma vie, son oeuvre", l'auteur raconte l'histoire d'un écrivain presque maudit, un écrivain en panne d'inspiration et en crise d'écriture depuis qu'il a râté le Goncourt.
L'histoire commence par un enterrement : l'écrivain Icare s'est effondré dans un salon de communication de la Fnac de Caen pour la présentation de son nouveau roman, Tout est grâce. Icare est mort. Et c'est son meilleur ami qui nous raconte son histoire, lui le chargé testamentaire, lui qui retourne dans la villa de Saint-Vigor d'Azide pour faire le tri dans ses papiers, ses brouillons et ainsi remonter vers un passé qui les avait réunis, Icare, le narrateur et sa femme Sarah. Sarah, jeune comédienne juive, que les parents du narrateur reprochent à leur fils d'épouser. Pas facile dans cette France d'après-guerre. D'ailleurs, Icare et le narrateur s'étaient mis d'accord: "Nous serions la génération qui allait chasser le mal, l'ignominie de la persécution nazie et l'ignominie de la défaite de 40. Nous sommes devenus des opposants professionnels." Icare se lance dans la littérature, le narrateur devient clown. Pour le jeune public des classes maternelles. Icare lui reproche, "J'avais profané son idée de la culture. J'avais craché sur le monument Littérature."
Icare publie un premier roman, Chasse, qui connaît un succès immédiat. Emporté par les louanges, il collectionne les articles de presse, jongle avec les interviews et devient L'écrivain de sa génération. Le succès lui tourne la tête; mais il loupe le Goncourt. Première catastrophe. Au moment d'écrire son deuxième livre, Icare doute et ne parvient pas à aligner deux mots à la suite. Sa production est stérile, plate, sans consistance. Le gouffre l'emporte quand il découvre un exemplaire de son livre sur un étalage de livres soldés et au milieu du roman une insulte écrite en marge du roman.. Profanation !.. Icare perd ses moyens. Son livre Donjon rejoint "le grand embouteillage de la Rentrée littéraire, un privilège réservé aux manuscrits forts". Mais le succès boude.
Carrément désespéré, Icare achève de se détruire. Il quitte tout, disparaît se réfugier loin, dans une Montagne bleue puis de ci, de là.. Il tentera d'écrire à nouveau, mais soit il brûle les quelques feuilles de son manuscrit, soit sa production est véritablement médiocre.
Au centre de ce roman, ou plutôt en marge d'Icare, demeure le narrateur, le plus fidèle et le plus dévoué. Il a partagé la maison de Saint-Vigor avec sa femme pendant des années, il a partagé aussi Sarah.. Très complice avec Icare, Sarah s'est éloignée de lui.. Devenu jaloux, sinon suspect, il les observe mais rien ne transparaîtra de cette relation faussement ou véritablement chaste. Sûr, lui aussi va tout perdre: son boulot, sa femme, la maison de Saint-Vigor... Eternellement prisonnier de ses spectres, le narrateur sera le seul à traduire le véritable dilemne d'Icare et de ses proches.

"Ma vie, son oeuvre" est finalement un roman assez grave, court en apparence mais dense en émotions. Classique et élégant, il traduit les déboires d'un homme en proie avec ses démons. Ce roman s'ouvre de façon assez confuse et n'est pas servi d'un titre valorisant et qui ne rend pas sa juste valeur à l'histoire.
Une très belle histoire à la beauté froide et sinistre. Presque dépressive mais bougrement élégante.

Clarabel - - 48 ans - 6 avril 2004