Les Origines intellectuelles de la Révolution française : 1715-1787
de Daniel Mornet

critiqué par Bolcho, le 15 mars 2010
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
L'intelligence des peuples est une arme de libération massive
Avec ce genre de texte, on est sans doute dans ce que l'histoire peut produire de plus intéressant (parce que nous mettant face à une image complète du quotidien : y compris les cafés, les journaux, l'école, les paroisses, etc), de plus utile (pour la compréhension du passé, mais aussi – on le verra – de notre présent), de plus précis (avec, il faut le dire, une débauche parfois lassante de détails qui, pris isolément, n'ont qu'une importance locale) et en même temps de plus englobant (de ces centaines de faits naît au final un tableau général de la pensée de tous - célèbres ou non - au XVIIIe).

Le livre n'est surtout pas une histoire de la Révolution, ni des actions qui ont pu la préparer, ni des pensées des dirigeants. Il essaie de cerner l'évolution des idées – de toutes les idées et chez tout le monde – et de voir en quoi cette évolution a conduit à la révolution sans que cette dernière ne soit jamais un objectif conscient.

Il s'agit de la réédition récente (2010) d'un livre capital édité pour la première fois en 1933 et qui reste étonnamment peu marqué par son époque : il ne vient jamais à l'idée qu'il aurait pu être différent s'il avait été écrit l'année dernière, d'autant qu'il donne parfois l'impression de parler d'aujourd'hui (mais c'est normal : le passé nous parle toujours peu ou prou du présent). Un des exemples les plus frappants ? De l'étude des cahiers de doléance de 1789, il apparaît que « l'opinion publique est favorable à l'égalité civile des protestants, mais qu'elle répugne à tout ce qui pourrait donner à leur culte une publicité éclatante, une sorte d'égalité avec le culte catholique ». Dans deux siècles, on pourra dire la même chose de notre époque s'agissant non plus du catholicisme et du protestantisme mais du christianisme et de l'islam.
Voilà pour la modernité du texte.

Vers le milieu du siècle, c'est d'abord la politique de l'Eglise qui est condamnée : on se met à détester l'intolérance, et cela y compris dans les milieux de la cour et même de l'Eglise elle-même. A ce propos, il peut paraître surprenant de voir le très grand nombre d'abbés qui commettent des textes extrêmement progressistes sur tous les plans. Cette bataille contre le fanatisme est forcément aussi une bataille contre l'Etat, mais presque personne ne songe à une révolution. N'empêche, la France est devenue un pays où les gens désirent réfléchir et apprendre. La physique, la chimie, l'histoire deviennent des matières d'enseignement. Un peuple qui se met à observer et à expérimenter ne peut plus durablement accepter l'autorité de la foi ou celle du monarque.
N'empêche, on ne peut s'empêcher d'observer que la monarchie reste pour beaucoup de « réformateurs » le gouvernement le meilleur à condition de l'aménager. C'est un peu comme aujourd'hui la démocratie parlementaire bourgeoise apparaît au plus grand nombre comme un sommet indépassable.

Certes, Voltaire et Rousseau étaient des « vedettes », pourtant ils n'ont pas été de véritables « découvreurs ». En matière de religion, tous les arguments des sceptiques ont été publiés ou écrits avant Voltaire. Et en matière politique, ni Voltaire, ni Montesquieu, ni Rousseau, ni Diderot ne sont des révolutionnaires. Toutes les thèses audacieuses sont soutenues par des écrivains infiniment moins connus.

On a là un bouquin superbe, foisonnant et que je laisse dans un état physique déplorable tant j'y ai pris de notes.
A vos crayons !