Cités Obscures (Les), tome 05 : Brüsel
de Benoît Peeters (Scénario), François Schuiten (Dessin)

critiqué par Nance, le 15 mars 2010
( - - ans)


La note:  étoiles
Une fable sur le progrès
« On ne refait pas Brüsel sans casser des oeufs »

Brüsel (Bruxelles ?). On fait une incursion dans cette cité qui oscille entre le moyenâgeux et le modernisme à outrance. On rencontre aussi Constant, un homme qui veut ouvrir un magasin de plantes en plastique, ce qui serait top révolutionnaire (haha). Malheureusement, tout semble aller contre lui : on lui coupe l’eau et le téléphone et en plus il tombe grièvement malade. Il fera connaissance avec une sexy anarchiste anti-révolutionnaire et des spécialistes qui veulent faire de la ville une cité avant-gardiste et grandiloquesque. Ils vont voir trop grand et trop vite...

Ce tome-ci est une fable sur le progrès et ses revers, surtout quand c’est irréfléchi. C’est bon, les dessins d’architecture sont grandissimes, mais j’ai trouvé ça moins subtil et original que les aventures précédentes. Aussi, encore de la nudité sortie de je ne sais où. C’est à croire que la plupart des héroïnes féminines de la série sont des genres d’obsédées sexuelles (mais pas les hommes, ou très peu, étrange...) avec des seins à l’air à tout bout de champ et « qui ne portent pas de petites culottes » (oh), je trouve ça tellement inutile... Je ne sais pas en quoi ça fait avancer l’histoire à part pour nous présenter une histoire d’amour à rabais qu’on a de la difficulté à croire. Une chance que les histoires sont bonnes. C’est un des épisodes dont j’ai le moins embarqué.
Savez-vous planter les sous (de Brüsel) ? 9 étoiles

Comparé aux épisodes précédents, le contexte de cette histoire nous paraît tout de suite plus familier et pour cause ! Cette cité de Brüsel, comme on peut le deviner, est le double imaginaire de Bruxelles la Belge dans le monde parallèle des Cités obscures. Bruxelles, ville natale de Schuiten, pour qui cette BD (à lire le documentaire en préambule) sert visiblement de prétexte pour régler ses comptes à l’égard des promoteurs qui ont détruit une grande partie du patrimoine architectural de la capitale belge dans les années 60-70, période de délire expansionniste et moderniste, à tel point qu’on utilise désormais le terme « bruxellisation » pour parler d’une politique de développement urbanistique incontrôlée.

Pour ce qui est du dessin, on peut dire qu’il s’est affiné par rapport au premier tome, avec un sens du détail et un soin tout particulier apporté à l’architecture, toujours plus ou moins le thème dominant de cette série. Le scénario peut paraître plus complexe que les tomes précédents, mais reste néanmoins prenant. On se demande comment Abeels, le personnage principal, va pouvoir échapper à cette folie du modernisme à outrance ayant atteint aussi bien la construction que la science ou la médecine, écrasant tout sur son passage, le patrimoine architectural comme les humains, leur santé et leur cœur, mais contenant en elle les germes de la ruine. Cette complexité scénaristique peut s’expliquer par le désir d’un des deux auteurs, le bruxellois Schuiten, de parler d’un sujet qui lui tenait à cœur. Le ton est donc plutôt sarcastique et l’atmosphère inquiétante, dans l’esprit du film « Brazil », cocktail idéal de grotesque et de démesure.

A la lecture de ce tome, on se rend compte que l’histoire architecturale récente de Bruxelles tient une place importante dans le travail de Schuiten, en particulier dans cette série des Cités obscures, brillamment étayée par le talent du scénariste Peeters. Comment ne pas imaginer que cette ville à la situation et à l’histoire complexe et paradoxale (capitale européenne mais également otage de la guéguerre linguistique entre Flamands et Wallons au sein de la Belgique), à la fois lieu de naissance de l’Art nouveau grâce à Victor Horta et lieu de destruction de grande ampleur d’un patrimoine architectural riche dans la seconde partie du XXème siècle, n’ait pas eu une influence déterminante sur le dessinateur, par ailleurs né d’un père architecte renommé. Un épisode complexe qui pourra déconcerter certains, c’est vrai, mais en même temps d’une telle richesse avec des rebondissements si surprenants qu’on aura forcément envie de le relire afin d’en capter toute la substantifique moelle… Pour le reste, c’est poétique, fabuleux, unique, fascinant, comme quasiment tous les tomes de la série.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 10 mai 2012