Mon témoignage devant le monde : Histoire d'un Etat clandestin
de Jan Karski

critiqué par Isabella, le 12 mars 2010
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
Un appel de détresse
Résumé : Courrier de l'Armia Krajowa (L'Armée de l'Intérieur) de la résistance polonaise, Jan Karski (1914-2000) risque sa vie pour transmettre en novembre 1942 au gouvernement polonais en exil à Londres dirigé par le général Sikorski et aux organisations juives les informations les plus fiables sur l'extermination des Juifs sur le territoire de la Pologne occupée par les nazis.
Ce Juste parmi les Nations plaide auprès des plus hautes autorités britanniques et américaines - il rencontre Franklin D. Roosevelt - en faveur d'une action destinée à arrêter la Shoah. En vain. Son " Témoignage devant le monde ", publié aux États-Unis à l'automne 1944, constitue également un passionnant récit de la vie des clandestins de la résistance nationale polonaise. Jan Karski décrit les caractères originaux de cette résistance tant civile que militaire, structurée en un véritable " État clandestin " avec son Parlement qui élabora un programme démocratique pour une Pologne indépendante.
Cette nouvelle édition révisée du livre de Jan Karski rend hommage à cet " homme qui tenta d'arrêter l'Holocauste ".

Mon avis : Ce livre est au coeur d'un problème central de la seconde guerre mondiale : l'Occident libre est-il resté sourd à l'appel au secours des Juifs d'Europe ?
Le livre de Karski, grand résistant polonais, émigré aux Etats-Unis après la guerre, constitue un témoignage capital et son retentissement, juste après guerre a été immense en Amérique.
Il y a d'abord l'histoire presque rocambolesque d'un homme, jeune catholique polonais, entraîné dans la guerre, fait prisonnier, échangé puis devenant l'un des plus grands agents secrets de la résistance polonaise à l'étranger, animée par le non moins héroïque général Sikorski. Prisonnier de la gestapo, torturé, on le voit s'évader, rentrer dans le ghetto juif de Varsovie, il se bat ensuite pour faire prendre conscience au monde encore libre de la tragédie juive. On sait l'incrédulité exprimée pendant la guerre à beaucoup de niveaux à ce sujet. Le témoignage d'un Karski rencontrant Roosevelt en 1943 est donc fondamental et met en relief une certaine surdité des Alliés face à un appel de détresse.
Passionnant.
Témoignage exceptionnel et bouleversant 10 étoiles

Jan Karski fait aujourd'hui "partie du paysage", surtout depuis le livre de Yannick Haenel et la rediffusion de Shoah, chef d'oeuvre de Claude Lanzman, dans lequel figure un long entretien avec Karski filmé en 1985. Mais ici il s'agit du témoignage personnel de Karski, rédigé en 1943 et publié en anglais d'abord en 1944. C'est précieux même si le récit comporte des inexactitudes et des flous, voulus pour la plupart d'entre eux pour des raisons bien compréhensibles compte tenu de l'époque. Le texte initial est décripté par une historienne qui a dû faire un travail de recherche précis et sérieux. On ne devrait plus mettre en doute ce témoignage comme ce fut le cas à sa sortie de la part des autorités soviétiques, et comme on le constate parfois aujourd'hui de la part de quelques nostalgiques du stalinisme.

La partie la plus forte du témoignage concerne naturellement le sort des Juifs en Europe centrale (récit de la visite dans le ghetto de Varsovie et dans le camp d'extermination procha de Belzec). Mais Karski est d'abord un Polonais qui souffre pour son pays, et veut raconter la vie quotidienne des résistants et ce qu'il considère comme une trahison des nations occidentales, alliés à l'impérialisme soviétique. On a un peu oublié tout cela en France et dans l'Union européenne et cet éclairage ne sera pas inutile.

Le récit est passionnant et le style facile : comment se déplaçait-on en 1940 et 1942 entre Varsovie et Paris, puis Londres et Washington, on a du mal à l'imaginer, et l'on a d'autant plus de respect pour ces héros plus ou moins connus et souvent oubliés.

Quelques longueurs lors des descriptions de la vie à Varsovie, on les pardonnera volontiers en considérant qu'il s'agissait avant tout d'un rapport destiné aux occidentaux.

Un grand livre !

Tanneguy - Paris - 85 ans - 5 avril 2010