Nulle part dans la maison de mon père
de Assia Djebar

critiqué par TRIEB, le 8 août 2012
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
LES DURS CHEMINS DE LA LIBERTE
Peut-on prendre congé de son existence, dire adieu à sa propre personne, à son passé ? C’est la voie apparemment décrite par Assia Djebar dans un roman, autobiographique : « Nulle part dans la maison de mon père ».

Ce père, instituteur, seul indigène de son village ayant accédé à cette fonction, est immensément sévère, rigoriste. Il élève l’héroïne en l’entourant d’’une protection qui entraîne, bien vite, l’apparition de toutes sortes d’interdits : vestimentaires, relationnels . Le puritanisme est de rigueur.


Pourtant, l’héroïne du récit parvient à échapper, un peu, à cette atmosphère familiale pesante ; elle est admise dans un internat, y fait la connaissance de camarades musulmanes comme elle, et de pensionnaires européennes . Elle y découvre les joies de la lecture, de la complicité intellectuelle avec Mag, Jacqueline, Farida. Elle goûte à la liberté de mouvement, ayant la faculté de retourner dans son village à chaque fin de semaine.

Cette jeune femme est torturée par toutes sortes d’interrogations : l’émancipation intellectuelle va-t-elle de pair avec l’émancipation des mœurs, si étroitement contrôlés dans cette Algérie coloniale ? Que représente son père, censeur omniprésent dans sa conscience d’enfant, dans sa vie : un protecteur ou un castrateur impitoyable ?
Les rencontres faites par l’héroïne sont toutes significatives et exercent une influence sur le cours de sa vie : la directrice de l’école , à laquelle s’oppose un groupe d’élèves musulmanes à propos de la composition d’un repas servi à la cantine de l’établissement , jugé discriminatoire pour les musulmanes . Le récit laisse découvrir, à de nombreuses reprises, les divisions et déchirures de l’Algérie française :

« Ainsi la partition coloniale restait-elle pérenne : monde coupé en deux parties étrangères l’une à l’autre, comme une orange pas encore épluchée que l’on tranche n’importe où , sans raison ! Je ne me vois donc jamais franchir le seuil familial d’une de mes condisciples européens, même si, comme avec la jolie Jacqueline du dortoir, les chuchotements échangés entre nous se prolongeaient tard, souvent dans la nuit. »

Ce chemin vers la vérité personnelle est douloureux, il passe ainsi par une tentative de suicide que l’héroïne commet en plein centre d’Alger à l’automne 1953, douze mois avant le début de la guerre d’Algérie, période sur laquelle l’auteur reste silencieuse. Cette dernière entrevoit une explication à ce geste : échapper à cette sujétion morale engendrée par ce patriarche, n’en plus pouvoir de n’être « nulle part dans la maison de son père ».
Beau livre , pudique, qui nous rappelle à bon escient que la marche vers l’émancipation est complexe, douloureuse, qu’elle prend du temps pour s’enraciner , vraiment , dans nos existences , que l’on ne doit pas oublier d’où l’on vient . Assurément , Assia Djebar vient de loin, et sa description de la longue marche vers la liberté est d’autant plus magistrale
mon algérie 6 étoiles

L'histoire d'une enfance, et d'une jeunesse, dans l'Algérie encore "française". Assia Djebar conte, avec ses mots choisis savamment, parfois à la limite de l'affectation, les tourments et les joies d'une âme très tôt révoltée. Loin d'un pamphlet contre les tabous d'une culture ancestrale rabaissant la femme à l'état d'une "chose" dont on dénie l'accès à toute forme de spiritualité, " Nulle part dans la maison de mon père" se veut le récit d'une libération intérieure, acquise avant tout grâce au savoir. Des écrits arabes préislamiques aux philosophes et poètes de l'Occident moderne, la culture écrite a donné à l'auteure les moyens de se défendre et de forger pas à pas sa personnalité, contre vents et marées. Hélas, le plaisir de la lecture est en partie gâché, lorsqu'on avance vers le dénouement du récit, par le ressassement sans fin des états d'âme de cette toute jeune fille victime d'un instant d'égarement. La réflexion qui suit sur le travail d'écriture, et de mémoire, comme pour se justifier à elle-même d'avoir écrit sur sa propre vie, amoindrit le plaisir que l'on a pris à suivre pas à pas le personnage dans ses années d'éveil à la vie.

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 11 octobre 2015


tout en pudeur et en émotion retenue 9 étoiles

C'est la première fois que je lis un roman de cet auteure, ce qui m'a frappée dès le départ, c'est la pudeur de cette femme qui parle de sa jeunesse et de son enfance algérienne sans porter de jugement. Au-delà de son parcours un peu atypique, j'ai apprécié cette plongée dans son passé et par moments, je ne sais pourquoi, sans doute à cause de l'intelligence de l'écriture, j'ai pensé à Simone de Beauvoir. Les réflexions des dernières pages m'ont par contre un peu déroutée. Mais c'était une belle rencontre.

Flo29 - - 52 ans - 25 août 2012