Le Destin de Mr Crump
de Ludwig Lewisohn

critiqué par Bolcho, le 10 février 2002
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Le monstre au quotidien
Un fort jeune homme tombe dans les rets d'une femme de vingt ans son aînée. Il l’épouse et cela donne un livre qui fit scandale dans les années trente. La description, souvent minutieuse, de ce qu'est la vie de ce couple mal assorti, nous laisse peu à peu pénétrer dans l’enfer. Le lecteur devine la suite, sans y croire, en l'estimant impossible, et pourtant non, c'est imparable : dans le contexte du milieu et de l’époque, tout se tient, il n’y a pas d’alternative. Fascinant. Peut-être quelques extraits pour montrer la détresse du personnage masculin ? « Si elle était jeune et m'avait donné des enfants, ce serait pénible, abominable et accablant. Mais étant donné son âge (.) c'est purement grotesque, c'est une caricature obscène de la vie de famille ». Mais ce serait une erreur d’avancer l’âge de la femme comme cause du problème : les 3 petits points entre parenthèses ne sont pas là pour rien. Nous avons tous connu quelqu'un, homme ou femme, doté, d'une volonté et d’une sottise implacables.
Coincé, le personnage masculin « se réfugia dans le devoir, vieux palliatif, vieille nourrice murmurante qui nous laisse regarder, la conscience tranquille, notre vie saigner jusqu’à la mort ». Vous sentez la chair de poule qui s'étend ? Bref, il vient un moment, et la vie de ce couple le démontre, où les désagréments de la vie prennent l’allure d'une véritable catastrophe. L’objectif du livre (déclaré en postface sous couvert d’un auteur fictif) est assez mesquin: montrer que la femme mariée a trop « d'atouts dans son jeu ». Mesquin donc et difficile à avaler tel quel depuis que le féminisme est passé par chez nous . Je pencherais plutôt pour une question du genre : comment peut-on être un monstre ? Merle s’était un peu posé cette question (« La mort est mon métier ») à propos des grands monstres de l’Histoire. Lewisohn le fait pour les petits de la vie quotidienne. Et il le fait avec une froideur de ton qui ajoute à l’horreur. Pour les pervers, je conseille de lire en essayant de comprendre et d'apprécier le personnage féminin.
Lisez. Cela vous réconciliera avec votre belle-mère.
Quand le mariage est un enfer 10 étoiles

Voici un livre qu’on n’oubliera pas de sitôt, la dernière page lue et tournée. Son auteur, Ludwig Lewisohn, m’était totalement inconnu, de même que ce roman, et il est certainement aussi inconnu du plus grand nombre. C’est pourtant un tort car, au lu de ce livre, on ne peut douter qu’il ne soit un écrivain majeur et il est regrettable qu’il ne soit pas reconnu comme tel. Son « Le Destin de Mr Crump » fait partie de ces œuvres fortes, puissantes, profondes, marquantes, qu’on peut qualifier de « chef d’œuvre » sans qu’on ait le sentiment de le surévaluer, loin de là.

Les deux premiers chapitres racontent les origines des deux principaux personnages du roman, Herbert Crump et Anne Bronson Vilas, autour desquels toute l’œuvre est bâtie, avant qu’ils ne se rencontrent. Rétrospectivement, ils sont indispensables pour bien comprendre ce qui va suivre. Cette entrée en matière a un air de Betty Smith, dont le style et l’atmosphère se rapproche de son roman « Le Lys de Brooklyn ».

Ensuite, Ludwig Lewisohn nous fait assister à leur rencontre, puis à leur mariage. Et là, on s’éloigne indubitablement de Betty Smith, même si ça déroule dans le même monde et la même époque… Tout le reste du livre, jusqu’à la fin, n’est qu’une longue descente aux enfers conjugale… En effet, Herbert et Anne, quoique mariés, sont tellement dissemblables qu’il paraît impossible qu’ils puissent rester ensemble autant d’années en tant que mari et femme. Outre déjà que Anne est de 20 ans plus âgée que Herbert, cette dernière est clairement un cas pathologique, manipulatrice, possessive, coléreuse, toxique à l’extrême. Et le pauvre Herbert est enfermé dans ce cruel mariage sans qu’il puisse trouver de solutions pour en sortir. Toutefois, Herbert a aussi sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. A l’inverse complet d’Anne, c’est un être doux, sensible, rêveur, dont le talent pour la musique est tel qu’il devient peu à peu, malgré son enfer conjugal, de plus en plus reconnu comme musicien et compositeur. Comment tout cela finira-t-il ? C’est ce qu’on se demande fiévreusement en tournant les pages !

C’est un livre à la fois admirable pour le ton et le style employé, tranquille, descriptif, qui expose les faits simplement, avec recul, presque clinique, et nous fait connaître en profondeur les pensées et sentiments intimes de Herbert, et par la construction littéraire où l’auteur prend son temps de bien développer la relation toxique entre les époux et son évolution, en n’omettant aucun détail même les plus sordides et ne nous épargnant rien de tout ce que ce mariage a de faussé et d’épouvantable.

On comprend ainsi pourquoi on qualifie ce livre « d’insoutenable ». Il est en effet insoutenable de suivre toutes les malheurs subis par Herbert du fait des continuelles machinations de sa femme pour le garder pour elle. C'est un livre âpre, qui fait remuer bien des sentiments personnels en nous : colère, indignation, consternation, dégoût,... Ce n'est pas une lecture qui rend indifférent émotionnellement.

Mais aussi dur et édifiant qu’il soit, c’est aussi une histoire solidement charpentée, écrite sérieusement, avec un rien d'ironie, une once de malice, une lueur de moquerie à l'égard de ses personnages, avec un mélange d’intelligence, de tendresse, de sensibilité, d’horreur. Un grand livre, centré sur les relations humaines, aussi délétères qu’elles soient. Et quoi de plus délétère que l'histoire de ce jeune homme pris au piège de la folle passion d'amour destructrice d'une femme ?

Au-delà du récit de l’histoire d’un couple dysfonctionnel, à mon avis, il semble que l’idée centrale du livre soit une critique des institutions et des préjugés de la société, comme quoi, la femme mariée détiendrait « tous les atouts dans sa manche en cas de divorce ». Il s’agit de la société du début du 20ème siècle en Amérique. Mais, même si le livre est éclairant de ce point de vue, il n’est pas vraiment convaincant. Car nul doute que si une femme mariée était convaincue d’adultère, la société et sa justice se montrerait tout autant impitoyable qu’envers un mari volage. Heureusement, les mœurs ont changés depuis, même en Amérique.

Cédelor - Paris - 53 ans - 1 mai 2021


L'enfer du couple 9 étoiles

quand celui-ci correspond à un piège...!
Quelle violence dans cette étude minutieuse de la destruction au quotidien d'un homme par celle qu'il a épousée. Cruauté et certitude d'une part, naïveté et lâcheté de l'autre ! L'enfermement, qui fait suite à la découverte de la mesure de ce que le conjoint offre, est littéralement fascinant, destructeur et d'une rare cruauté...
Après une première lecture "découverte" où l'écoeurement l'emporte, j'ai relu cet ouvrage en imaginant les rapports inversés....
Et soudain, on rentre dans des perspectives plus "classiques" : domination, pouvoir de l'argent, faux-échanges, annihilation de l'autre, ça devient plus confortable, plus "normatif" et tellement moins choquant....
Si ce livre a fait tellement scandale, n'est ce pas parce qu'il met en scène l'inverse de ce que notre société véhicule ?
Je hais le personnage de Mme CRUMP, je haïrais également celui d'un M CRUMP, s'il s'avérait de la même eau. Mais M CRUMP tyrannique ne serait-il pas passé inaperçu tant son personnage est classique ?

A vous de voir !

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 30 novembre 2012


Juste incroyablement possible... 9 étoiles

Je viens de terminer ce livre qui est un véritable chef d'oeuvre. Mrs Crump est tout simplement détestable dès la première description. Son mari nous devient tout simplement insupportable par l'acceptation et la soumission dont il fait preuve. On nous montre bien le danger de se réfugier dans le devoir ou dans une rêverie naïve. Comme si nous vivions dans un monde où forcément justice sera faite et triomphante et qu'il suffisait d'attendre.... La description de cette Mrs Crump qui se laisse aller physiquement apporte un malaise supplémentaire mais le lien est indispensable. Plus on s'enfonce plus on se laisse aller. Et les apparences sont moins nécessaires avec un personne déjà sous notre emprise. Enfin j'ai du laisser le livre quelques jours, j'avais trop envie de secouer ce (trop) gentil Mr Crump ! Bravo à l'auteur qui a réussi si habilement à rentrer dans l'esprit de personnes souffrant d'une irrémédiable perversion.

Tristia - - 58 ans - 13 septembre 2010


Et pourtant réaliste... 9 étoiles

Je comprends bien les réticences d'excellents lecteurs devant un tel livre. Il est vrai que l'auteur force un peu le trait et n'épargne aucun détail sordide de cette sordide histoire. Cependant...
Cependant les 100 premières pages sont essentielles pour comprendre le parcours personnel et social des deux protagonistes principaux et l'enchevêtrement de leur destinée commune.
Les mécanismes de domination et de soumission décrits sont, à mon sens, d'un implacable réalisme et rendent compte avec une précision chirurgicale de la montée vers l'horreur de ceux que leur destin personnel rend incapables de s'échapper (voir Dr Freud).
Je signale à ceux qui ont aimé ce livre un autre ouvrage (Roger Rabiniaux, "Impossible d'être abject", voir critique sur le site) qui traite de manière proche le même sujet, dans des circonstances très différentes.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 14 août 2009


L'art de la cruauté 8 étoiles

Qui peut oublier Mrs Crump ? A l'instar d'Harpagon ou de Tartuffe devenus des substantifs désignant l'avarice ou l'hypocrisie, Mrs Crump restera pour moi l'archétype de la cruauté. "Quel Crump !" m'écrierai-je dorénavant quand quelque fâcheux viendra torturer mon âme sensible, si sensible...
Car il s'agit bien de torture dans ce roman, dans ce couple, et le pauvre Herbert Crump est certainement une des plus belles figures masochistes de la littérature.
Faut-il seulement voir dans cette histoire une critique du puritanisme début XXème ou plus largement une réflexion sur l'ambiguïté des relations bourreau-victime ? Pas étonnant que Freud admirait ce roman...

Un conseil cependant pour le lecteur : les cent premières pages sont bizarrement assez indigestes, écrites laborieusement, mais il ne faut pas hésiter à continuer la lecture car le style se fluidifie peu à peu et la suite du roman est un sommet ! Vous n'oublierez jamais les Crump !

Gaufrette - - 56 ans - 2 juin 2006


Insupportable, détestable et coriace, c’est Miss Crump 8 étoiles

Un personnage, Miss Crump, qu'on ne peut s'empêcher de détester de la première à la dernière page. Chaque instant en sa compagnie révolte, dérange, dégoûte... Insupportable, haïssable…

Manu55 - João Pessoa - 51 ans - 6 avril 2004


Une certaine gêne 6 étoiles

Je viens de lire ce livre récemment , l'enfer du couple je connais , hommes ou femmes peuvent être d'une méchanceté et d'une violence incroyable ce n'est donc pas ces manœuvres pour "s'étriper"l'un l'autre qui m'ont gênée. C'est le parallèle entre la femme méchante, malade, ridée, grosse, sale, peu cultivée et son contraire parée de toutes les vertus, qui elle est toujours représentée jeune, blonde, mince, douce, presque éthérée. Alors qu'il juge sa femme sur son horrible comportement, soit, mais sur les critères physiques cela m'a mis un peu mal à l'aise.

JASMIN - - 64 ans - 21 février 2004


Je ne dois pas être pervers... 4 étoiles

En effet, ce personnage féminin m'a complètement bloqué ! Un de mes bons amis m'a offert ce livre en me disant qu'il était vraiment très bon et je l'ai donc commencé avec enthousiasme... Mais j'ai été rapidement arrêté dans mon élan. Je trouvais le personnage féminin par trop caricatural, je ne la supportais pas. Comment être aussi mythomane, menteuse, imbue d'elle-même suite à ses propres inventions et transmettre ce sentiment de supériorité à son enfant... Elle se sent tellement supérieure qu'elle noie son mari de son mépris... Elle est d'une grande famille, sa mère était..., son père était... elle a été... Et elle n'est rien du tout, sauf sa prétention et sa mythomanie ! je l'ai trouvé tout bonnement insupportable et je l'ai abandonnée à ses rêves... C'est peut-être dommage, j'ai probablement raté un très bon livre, mais pourquoi l'auteur a-t-il poussé si loin la caricature ?...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 10 février 2002