Le trône du paon
de Sujit Saraf

critiqué par Deashelle, le 27 février 2010
(Tervuren - 15 ans)


La note:  étoiles
Voyage autour d'un comptoir de thé
1984 c’était de l’anticipation, ici c’est l’assassinat d’Indira Ghandi et un roman historico-sociologique admirablement documenté et fouillé qui se termine en 1998. En noir et en couleurs.
C’est une immense fresque-fleuve de l'Inde qui décrit de façon imagée et caustique la stagnation de cette grande famille polymorphe indienne qui roule dans un mouvement perpétuel sans jamais savoir vers où le fleuve la conduit. En effet, tout coule et tout reste, rien ne change : l’ambition dévorante, la manipulation en continu, les compromissions nauséabondes, la violence extrême, la démolition des quartiers, les heurts religieux, la corruption, le système de castes, les fondamentalismes de tout crin, l’impuissance des travailleurs sociaux devant les enfants des rues et autres parias. Peuple paumé dont le chaos même devient organisation fascinante et inamovible. Emerge une dizaine de personnages attachants et hétéroclites, parties vivantes d’un bazar haut en couleurs, saris, parfums, épices et autres bimbeloteries de survie, sans parler des improbables abris minuscules pour y dormir comme des insectes, des latrines inexistantes ou à fleur de gazon quand il y en a. Environnement de déchets en tout genres... et havelis déchus de leur gloire passée. Mais où sont passés les artistes d’antan, la richesse fabuleuse, les jardins, les fontaines, les palais ? Ce fleuve charrie la gangrène, la maladie du système tandis que la citadelle du pouvoir reste inébranlable et se targue de démocratie. L’approche est celle d’une grande farce humaine où la manipulation est érigée dieu tutélaire. Le style est décontracté, iconoclaste et lucide.
Le personnage emblématique, Gopal Pandey, marchand de thé ambulant brahmane et pauvre, est le témoin de l’assassinat du Premier Ministre, Indira Gandhi massacrée pour avoir massacré des milliers de sikhs. Le voilà poussé dans le fleuve du pouvoir, analphabète qu’il est, à moitié aveugle, d’une naïveté sans bornes, il observe ce monde effarant et véreux fait de communautarisme et de –ismes plus violents les uns que les autres. Mais ne se départ pas de sa sagesse, celle du détachement, de l’humour et de l’acceptation de la vie comme elle est. Le fleuve contre une tasse de thé.
Voici une Œuvre qu’il faut prendre le temps de lire comme on découvrirait un nouveau Candide pris dans le magma de notre siècle qui se bat contre lui-même. Peinture sans concession de l’Inde moderne et des dérives du monde. Peinture précise de la vie quotidienne avec luxe d’expressions locales expliquées, un vrai délice pour le touriste indien qui (part) ou rentre de voyage et ne veut pas quitter son tapis volant.