Maria avec et sans rien
de Joan Didion

critiqué par Montgomery, le 25 février 2010
(Auxerre - 52 ans)


La note:  étoiles
Toute volonté abolie
Il est des lectures difficiles parce qu’elles soulèvent un véritable dilemme chez celui qui s’y attèlle : faut-il continuer à lire alors que l’histoire , bien que racontant avec talent le délitement d’une femme de 30 ans, ancien mannequin, actuelle actrice en pleine errance, ne comporte pas l’ombre d’un espoir ?

Pour moi la réponse fut oui, plusieurs fois oui. Oui car on peut aisément voir dans cette Maria Wyeth, née à Silver Wells, un bled de 28 habitants, partie à 18 ans pour NY afin de s’inscrire à un cours d’art dramatique, la porte-parole de milliers de jeunes filles américaines bien décidées à se sortir de leur milieu médiocre. Ce faisant l’auteur, qui a dû en voir passer plus d’une dans sa carrière de journaliste et de scénariste hollywoodienne, remet brutalement à l’heure les pendules du rêve américain.

Ce roman est aussi un témoignage particulièrement réussi de la « descente aux enfers » que connaissent les personnes atteint de dépression. Maria s’enfonce dans cette maladie qui lui ferme l’horizon, la prive de toute chance d’ « un petit mieux » pour elle et sa fille Kate, malade elle aussi : «Maria ne croyait pas particulièrement aux récompenses, mais seulement aux châtiments, prompts et personnels ». Et ce n’est pas tout car cet état chez Maria se conjugue avec un spectaculaire affaiblissement de la volonté : elle se refuse obstinément à saisir les mains qui se tendent pour l’aider ; qu’elle reste dans un motel à Las Vegas à glandouiller ou qu’elle emprunte sur un coup de tête la Ferrari d’un amant éphémère , elle le fait toujours sans réfléchir, sans but, victime de sa négligence.

« Play it as it lays », c’est le titre en anglais, est un très bon roman, extrêmement réaliste, sur les gens qui se « dessaisissent » de leur vie et qui la remettent entre les mains des médecins et autres hypnotiseurs, bien souvent pour le pire.
Road movie 8 étoiles

C'est tout d'abord la découverte d'un auteur à l'écriture singulière qui en fait une des sources d'inspiration de Bret Easton Ellis. Son style narratif me rappelle étrangement l'univers de Françoise Sagan.

L'évocation des tourments du personnage principal, la difficulté de dire et d'être dans un univers enfermant, proche du néant, du rien, m'a particulièrement saisi:
" J'ai ce problème avec comment c'était ", dit-elle.

Ennui, lassitude , futilités , voilà ce que partagent les personnages, tous enfermés au bout du compte dans un décor de carton pâte, désertique, un no man's land.
Maria déambule, traverse le désert à bord de sa Corvette, un oeuf dur sur le siège passager. L'ecriture est fine, ciselée, pragmatique, percutante.

Ce road movie automobile flirte avec la mort, jusqu'au bout de l' épreuve initiatique. Oeuf, cordon ombilical, retour vers ses origines ou vers son mal-être ?
Partir, aller vers où, pourquoi ?

Ce rapport avec la vitesse et la machine est également très intéressant: certes, le thème a été abordé maintes fois par les romanciers d'avant-garde ; la vitesse revêt étrangement une certaine beauté mais elle est confinée à de petites performances individuelles, sans but:

" Elle conçut d'audacieux changements de files, des rétrogradations de vitesse stratégiques, l'autoroute de Hollywood à San Bernardino et tout droit après Brastow, après Baker, tout droit jusque dans le coeur dur, blanc et vide du monde. Elle dormit sans rêver."

Maria sillonnait le désert dans sa Corvette et n'attendait rien. Maria "avec et sans rien".

Anonyme12 - - 14 ans - 21 juillet 2013