La maison d'haleine
de William Goyen

critiqué par Jlc, le 14 février 2010
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Des décombres de rêves
Bien que William Goyen s’en défendît, son premier roman, « La maison d’haleine » peut aussi se lire comme un poème ou s’entendre comme un chant récitatif. Et c’est ce mélange de lectures, d’émotions, de sensations qui donne au livre un charme sensuel, nostalgique et vénéneux.
Une petite ville du Texas avant la fausse épopée du pétrole quand « les jeunes prétendaient n’avoir pas d’avenir, mais les vieux te restaient fidèles, comptant les grains futiles et secrets de leurs rosaires d’espérance. ». Une « splendide maison déchue » mais qui reste une terre promise où grouille une parentèle improbable qui passe son temps « à sortir, à rentrer, à rejoindre, à abandonner, seuls et avec d’autres. » Un adolescent inquiet, solitaire, troublé par une puberté incertaine, déjà marqué du sceau de la culpabilité puisque « les secrets sont une chose coupable. » « Un langage pour ce qui n’est pas dit … [car] où l’amour fait défaut, les paroles font défaut aussi ». Je cite ces quelques phrases pour essayer de montrer tout à la fois qu’il ne se passe pas grand-chose dans ce roman mais que ce « pas grand-chose » y est dit d’une façon qui le sublime et le rend essentiel : l’étude du cœur humain en lutte avec soi-même pour reprendre l’expression de Maurice-Edgar Coindreau, découvreur de Goyen, il y a près de soixante ans, avant de devenir son traducteur (exceptionnel) et son préfacier (inspiré).
Beaucoup quittent la maison et peu reviennent, parfois morts et toujours trop tard. Sue Emma « agitée de rythmes lascifs dans les cendres de sa propre gloire » ne répondra jamais. Swimma elle reviendra, attirée par l’odeur financière du pétrole avant de repartir, dégoûtée et désillusionnée. Jessy ne sera bientôt plus que la voix du vent dans les persiennes « pour y chanter ce qui est disparu ». La vraie raison du départ de Boy ? « C’est que je voulais pouvoir revenir ». Les rêves ou les enchantements de l’enfance se brisent au contact du fatalisme lent de « la paresse d’une journée d’été », au contact aussi de la peur de l’inconnu et de la tristesse défaitiste. Et lorsque l’argent du pétrole arrivera il détruira le décor forestier avant d’amener « le luxe, la convoitise et la fausseté des visages ». De ces rêves ne restent que ces décombres de tristesse : « Oh qu’ils étaient donc tristes, qu’ils étaient donc tristes, les jours où nous étions tous jeunes ».
« Le monde est une fenêtre qu’embue ma propre haleine et à travers laquelle cette haleine sur la vitre empêche de voir le monde. », mais « A travers la brume qui s’élevait entre nous deux, il me semblait que la maison était construite de la plus fragile des toiles d’haleine et que c’était moi qui, de mon souffle, l’avait tissée – et que de mon souffle également, je pourrais la faire évanouir. »
Un livre envoûtant à lire au rythme de son écriture pour s’évader de nos miasmes quotidiens et revenir le cœur purifié et l’haleine douce.