Dumas et les Mousquetaires : Histoire d'un chef-d'oeuvre
de Simone Bertière

critiqué par Killeur.extreme, le 14 février 2010
(Genève - 42 ans)


La note:  étoiles
Un essai sur Alexandre Dumas, écrivain.
Ce que promet cet essai de Simone Berthière, dont j'ai entendu divers interviews, c'est un éclairage sur une oeuvre et sur son auteur, pas une biographie, j'en ai déjà lu deux, voir mes critiques (sans compter "Mes Mémoires" dont je lis le deuxième tome en ce moment, février 2010) mais une analyse de sa méthode de travail et enfin si les accusations formées par ses détracteurs sont fondées.

Unique déception le livre s'ouvre comme une biographie, on résume l'enfance de Dumas, son arrivée à Paris, ses premiers succès, bref rien de nouveau quand on a lu des comptes rendus similaire dans d'autres biographies, mais à partir du moment où l'essai bifurque sur l'oeuvre, il devient vraiment intéressant.

Bien entendu l'auteure parle aussi de la collaboration Dumas-Maquet, si elle reconnait que son rôle est primordial, les deux écrivains s'apporteront mutuellement des éléments pendant ces 10 ans de collaboration (Dumas osera faire des sagas, les romans qu'il écrit, avant sa rencontre avec Maquet, sont plus des tentatives des expérimentations, ils sont relativement courts si on les compare à ceux qu'il écrira plus tard avec ou sans Maquet, et Maquet pendant ces 10 ans aura appris à écrire comme Dumas, d'ailleurs dans "la Belle Gabrielle" l'un des romans de Maquet seul, et seul que j'ai lu, publié après la collaboration, on retrouve certaines "techniques" de Dumas, présentes dès ses premiers essais romanesques "Le capitaine Paul", Pauline", "Acté", exemples: faire intervenir le personnage principal avant de le présenter, démarrer l'action rapidement, garder l'attention du lecteur.), d'ailleurs pour l'auteure le fait que Maquet soit resté 10 ans avec Dumas n'est pas une preuve du talent du "nègre", car Maquet aurait pu rompre sa collaboration avec Dumas et se lancer lui-même, pourquoi rester 10 ans dans l'ombre? La signature de Dumas fait vendre et elle est mieux cotée que la sienne (qui n'est pas cotée du tout puisque quand Dumas a voulu vendre leur premier roman en commun "Le Chevalier d'Harmenthal" le directeur du journal a refusé la double signature plus courante au théâtre en disant qu'un roman signé Dumas serait plus populaire qu'un roman signé Dumas-Maquet et donc rapporterait plus d'argent, donc Dumas signe seul et il convient avec Maquet d'un arrangement financier) et tant que Dumas lui verse son dû tout va bien entre eux.

Ensuite l'auteur parle (enfin) des "Trois mousquetaires" et de ses suites raconte le contexte, le travail de Maquet, apporter des idées, fournir la documentation et faire un premier jet que Dumas réécrit entièrement en amplifiant ou en réduisant le travail de Maquet, mais l'auteur insiste bien que même si Maquet a effectué la documentation et le premier jet, Dumas contrôle la rédaction du début à la fin (en tout cas pour les "Trois Mousquetaires" et "Vingt ans après"), pour "le Vicomte de Bragelonne" c'est plus délicat la Révolution de 1848 est imminente et Dumas y voit un aboutissement à ses ambitions politiques et délaisse l'écriture de son roman ne sachant pas comment le terminer, les éditeurs pressent Maquet de faire avancer le travail, mais c'est Dumas qui tuera Porthos (voir le témoignage de son fils qui l'a surpris devant sa table de travail en pleurs: "Je viens de tuer Porthos") Athos et Bragelonne, mais il ne veut pas tuer d'Artagnan et les éditeurs n'aiment pas la fin, ils demandent donc à Maquet de "tuer" d'Artagnan ce qu'il fait, bien que Dumas écrive lui même les dernières lignes du roman.

Cet essai est intéressant et on voit qu'il est fait avec sérieux et objectivité le rôle de Maquet n'est pas minimisé comme on peut le voir chez certains pro-Dumas ni surestimé comme on le voit chez des anti-Dumas, tout en se lisant facilement.
Les fans seront comblés 8 étoiles

Un des chapitres que j’ai bien apprécié éclaire le rapport entre réalité historique et fiction dans les romans des mousquetaires. Quels sont les sources d’inspiration, les faits et les personnages historiques qui servent de trame ? Comment les écarts par rapport à la réalité se plient aux exigences de la construction romanesque ?

Autre aspect instructif, un moment particulier de la biographie de Dumas : dans le contexte historique mouvementé (1830, 1848), les réflexions et les hésitations du romancier, ses convictions politiques en train de se dessiner.

Cependant, il y a des passages où le jugement de Bertière diffère du mien. Un exemple :
« Le précepte du jour – ‘ Enrichissez-vous ‘ - l’exaspère d’autant plus qu’il voudrait bien s’enrichir et peine à y parvenir : il n’est pas doué pour la gestion de patrimoine. [] Dumas, incorrigible optimiste, préfère se réfugier dans un XVIIe siècle conçu comme l’exacte antithèse de ce présent décevant ». (p160)
A mon sens, Dumas avait intégré les règles du jeu pour faire fortune ; et il ne s’est pas refugié dans le XVIIe siècle, il y a puise son inspiration.

Malgré cette réserve, une synthèse bien structurée et agréable à lire ; les fans de Dumas et de son œuvre trouveront leur compte.

Béatrice - Paris - - ans - 8 janvier 2011


Dumas 2 - Maquet 1 8 étoiles

Attention, titre trompeur ! En effet, cet ouvrage de Simone Bertière, pour passionnant qu’il soit, n’est pas uniquement centré sur l’œuvre majeure de Dumas : Les Trois mousquetaires. En effet, l’auteure n’accorde véritablement d’attention au roman qu’au milieu du livre avec trois chapitres consacrés à chacun des épisodes des aventures d’Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan. L’ouvrage débute en effet par une biographie de Dumas mais l’accent est mis sur les conditions qui ont mis Dumas sur la voie du roman, voie qui n’est pas celle qu’il a désirée à l’origine.
On l’oublie souvent, Dumas est entré en littérature par le théâtre ; il fut même un concurrent sérieux pour Victor Hugo puisqu’il accède au succès avant lui. C’est donc par ses pièces qu’il accède à la célébrité et à la gloire. Et à un début de richesse aussi ce qui lui permet de commencer à écrire sa propre légende à grands coups de dépenses irréfléchies, de banquets emplis de ses confrères en lettres mais surtout de parasites pique-assiettes et profiteurs et d’une accumulation de dettes véritablement faramineuses. A côté, les ennuis de Johnny avec le Fisc, c’est de la rigolade !
En fait, si Dumas en vient à mettre son écriture au service du roman, c’est que les gazettes et les journaux, soigneusement corsetés par une censure toujours prompte à emprisonner les audacieux, mais qui a souvent épargné Dumas, permettent le développement d’un genre neuf et bien payé : le roman feuilleton. Payé à la ligne pour tenir en haleine un public majoritairement petit bourgeois et populaire et plutôt conservateur est un travail parfait pour un conteur de la trempe de Dumas.
Dumas est un homme qui sait raconter une histoire. Certes, il n’a pas la puissance analytique d’un Balzac ni la verve poétique d’Hugo mais il sait aller à l’essentiel, il sait attaquer par ce qui intéresse le lecteur. Simone Bertière le dit avec beaucoup de justesse : au XXIème siècle, Dumas aurait été un formidable producteur de feuilleton télé !
A titre personnel, le chapitre qui me semble le plus intéressant du livre concerne les relations de travail entre Dumas et son collaborateur Maquet. Je pense, comme Simone Bertière, que Dumas avait suffisamment de ressource et de capacité de travail pour réussir à écrire seul les œuvres que nous connaissons de lui mais elles auraient nécessairement été autres. L’apport de Maquet est essentiel en ce sens que les deux se comprenaient parfaitement en écriture et que Maquet était un spécialiste de l’Histoire ce qui pour Dumas, qui excelle à créer des romans dans une époque historique donnée, est une perle rare.
Bien sûr, il y aura fâcherie entre les deux hommes, pour une histoire de gros sous mais surtout de reconnaissance. Maquet, avec le temps et le travail a développé une capacité à faire du Dumas tellement proche de l’original qu’il est parfois ardu de savoir qui a écrit quoi. Maquet en a conçu, avec une certaine légitimité, un besoin de reconnaissance que lui a toujours refusé Dumas puisque c’est lui et non Maquet qui avait la haute main sur le début, la fin des romans et sur le style. Maquet ne manquait certes pas de talent mais il lui manquait d’être capable de se différencier des autres auteurs de son époque. Qui pourrait citer une œuvre de lui aujourd’hui ? Qui en a lu ? A côté de l’aspect purement littéraire de la chose, Dumas remarque avec pragmatisme qu’une ligne de Dumas se vend plus cher qu’une ligne signée Dumas-Maquet…
Les Trois mousquetaires sont considérés comme le chef d’œuvre de Dumas. Je préfère largement le Comte de Monte Cristo mais il faut bien avouer que les mousquetaires sont une référence partout dans le monde et qu’ils sont porteurs d’une étonnante capacité à enchanter les lecteurs. Ce n’est pas sans raison qu’Hollywood s’est assez tôt saisi de la légende pour en faire des films (de qualités très inégales). Dumas maîtrise tous les ressorts du suspens et de l’action et en plus a réussi à inventer quatre personnages reconnaissables aux qualités et défauts bien définis ; ce sont de véritables archétypes ! Les chapitres consacrés par Simone Bertière aux trois romans des mousquetaires sont très riches en information et portent un peu à la critique orientée. On sent que l’auteure est une fan de Dumas et même si le travail accompli est tout à fait instructif, passionnant et accessible, je ne peux m’empêcher de trouver que l’analyse qui est faite des 4 mousquetaires est un peu trop positive. Ils n’ont donc aucun défaut ces bretteurs impénitents qui n’en font qu’à leur tête ???
Les Trois mousquetaires sont peut-être l’œuvre de Dumas la plus marquée par son passé de dramaturge : fluidité de l’action, sens du suspens, dialogues courts et percutants et il n’est pas illégitime de voir dans cette trilogie le testament littéraire de Dumas. Reste que les trois épisodes sont de qualité inégale et que chacun possède sa propre ambiance, un peu comme si chaque épisode avait été écrit par un autre auteur qui y aurait mis sa patte tout en s’appuyant sur le style de Dumas. Mais le plus fort dans tout ça est que Dumas, qui aurait dû être littéralement écrasé, paralysé par le succès faramineux de son roman, a pu poursuivre son travail et aligner encore les œuvres majeures pour lui et pour la littérature française. Personne n’a lu tout Dumas mais pratiquement tout le monde en a lu au moins une fois.

Numanuma - Tours - 51 ans - 12 septembre 2010