Voyages avec ma tante
de Graham Greene

critiqué par Saule, le 10 janvier 2010
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
«Rire au bord du gouffre»
J'ai écrit ce livre pour m'amuser, dit Graham Greene dans la préface, et le résultat est que ce livre est à se tordre de rire, de bout en bout. Comme en plus c'est super bien écrit – mais quand on parle de Graham Greene, est-il utile de préciser que c'est bien écrit ? – ce livre m'a procuré un moment d'intense plaisir, à l'instar de la plupart des romans de cet auteur.

L'histoire débute dans un crématoire : un directeur de banque, jeune retraité, assiste aux obsèques de sa mère. Un épisode qui met un peu de piquant dans la vie terne de ce paisible célibataire dont le seul violon d'ingres est les dahlias. «Une fois, j'ai assisté à une incinération prématurée.», entend-t-il dans le public, et il reconnaît sa tante Augusta, une parente excentrique qui va complètement chambouler sa vie. Elle l'emmènera dans ses voyages, lui fera rencontrer quantité de personnages plus bizarres et hauts en couleur les uns des autres. Le point culminant de leur périple sera le Paraguay, ils y croiseront les habituels personnages qu'on peut qualifier de «Greenien» : des agents de la CIA démoralisés, des joyeux contrebandiers, des improbables escrocs avec une certaine grandeur dans l'immoralité,...

Je suis un fan absolu de ce genre de roman. Le style de Greene est très visuel, on se croirait toujours dans un vieux film de ciné lorsqu'il décrit les paquebots sur un fleuve tropical, les petites villes dans une junte militaire d'Amérique du Sud, les voyages en Orient-express. Et puis quelle profusion de personnages excentriques, inoubliables même, comme ce fameux Visconti qu'on surnomme la vipère et qui est un fil conducteur du récit. Et surtout il y a un humour extraordinaire dans les dialogues.

On a coutume de séparer l'œuvre de Greene entre ses romans majeur, à thème, comme «La Puissance et la Gloire» ou «La fin d'une liaison» des œuvres plus légères comme «Notre homme à la Havane», qui sont plus des divertissements. Ces «voyages avec ma tante» sont clairement de l'amusement : Graham Greene laisse courir son imagination débordante, son goût pour les histoires d'espionnages et les pays exotiques, et la moralité de l'histoire est un peu douteuse. Le thème du livre n'en reste pas moins la vieillesse et la mort, c'est pourquoi un critique suédois avait parlé de «rire au bord du gouffre». Mais comme le précise Greene dans la préface, on est plus près du rire que du vertige. En tout cas, ce livre unique procure un fameux moment de détente ! Voici un petit extrait, pour donner un aperçu du style visuel de Greene, alors que son personnage vient d'arriver à Buenos Aires et qu'il va visiter la ville :

«On se livrait aux préparatifs de je ne savais quelle fête. Il y avait des voitures décorées, pleines de jolies filles, parquées à tous les coins de rue. Devant la cathédrale et l'Académie militaire, qui se regardaient par-dessus le petit tank souvenir, des escouades de soldats marchaient au pas de l'oie. On voyait partout des images du Général, soit en uniforme, soit en civil, où il avait l'air d'un pilier de Bierstube bavaroise aimable et bien nourri. A Buenos Aires, des histoires déplaisantes couraient sur le début de son règne – des histoires d'adversaires précipités du haut d'avions dans la jungle, de corps rejetés sur la rive argentine des deux grands fleuves, pieds et poings liés avec du fil de fer ; mais on trouvait des cigarettes pour rien dans les rues, du whisky à bas prix dans les magasins, et l'on ne payait pas d'impôt sur le revenu (à en croire ma tante) ; même les pots-de-vin n'étaient pas déraisonnables, pourvu que l'on fût prospère et que l'on payât régulièrement...»