La clé de l'abîme
de José Carlos Somoza

critiqué par Bluewitch, le 28 décembre 2009
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
La bible de l'Amour et de l'Art...
À bord du Grand Train de 7h45, Daniel Kean, simple subalterne tentant de sauver les passagers d’un attentat terroriste, se trouve dépositaire d’un secret : l’emplacement de la clé de l’abîme qui, selon la légende, pourrait détruire Dieu.

Persuadé de n’avoir rien entendu de cette confidence silencieuse, Daniel se fait pourtant emmener, avec sa famille, par de supposées forces de sécurité. Débute alors une mêlée manichéenne où Daniel, devenu contenant si précieux de la « révélation », est l’objet de bien des bouleversements. Entouré d’individus aux motivations diverses, il ne sait plus en qui porter sa confiance.

Lui, un non-croyant, est confronté à un univers mystifiant, hallucinant, fait de mondes souterrains, de cités englouties sous l’océan dans un dôme de verre et de légendes ancestrales. La remise en question est totale, les facultés accordées par cette « Bible de l’Amour et de l’Art » qui régente le monde des hommes sont troublantes. Mais si toute cette foi n’était que leurre ?

Grâce à ce récit science-fictionnesque, ce thriller futuriste où la race humaine s’est recréée après une catastrophe planétaire, Somoza parvient à mener habilement un questionnement qui aurait été moins parlant dans notre « réalité » actuelle. Un monde quasi entièrement conçu génétiquement, des êtres humains aux animaux et aux choses ; une bible aux quatorze chapitres donnant des pouvoirs à ses croyants les plus fervents ; une race « perfectionnée », lisse, d’humains androgynes qui vit dans la peur de Dieu, un Dieu archaïque et enfoui dans les profondeurs du monde.

Les sensations évoluent au fil du livre, nous laissant captivés, perplexes, surpris de l’habileté avec laquelle l’auteur parvient à intégrer, dans un récit construit de manière romanesque, des sujets moraux, religieux, éthiques, en adéquation avec notre société d’aujourd’hui. Faut-il ou non tuer Dieu et, avec lui, la peur qui régit les esprits ? Comment Dieu est-il né ? Peut-on vivre sans lui ? Alors que nous avançons vers une humanité de plus en plus contrôlée (génétique, économie, écologie…), il est passionnant de voir à quel point ces questions sont sublimées par cette mise en situation de l’être et de son fonctionnement dans un univers fabuleux et… fabulateur.

Une très heureuse re-rencontre avec Somoza, donc, qui s’en sort avec un final saisissant et audacieux.