Le Sang noir
de Louis Guilloux

critiqué par Platonov, le 12 janvier 2002
(Vernon - 41 ans)


La note:  étoiles
Une dénonciation implicite de la guerre.
"Le Sang noir" est considéré comme le chef-d'oeuvre de Louis Guilloux. Ecrit en 1935, c'est une des oeuvres les plus connues des années 1930.
L'action se déroule en une seule journée, en 1917 à l'arrière des combats, dans une petite ville de province.
Même si la guerre se situe en arrière-plan, elle est présente dans le livre, qui est avant tout une critique de la guerre et des influences que celle ci a sur les hommes et les caractères à l'arrière du front.
Le personnage principal est Monsieur Merlin, affublé du sobriquet de Cripure, vieux professeur vivant dans une certaine marginalité (avec Maïa, sa concubine, une illettrée gironde et sans grâce). Reconnu parmi l'intelligentsia de la ville (il a écrit deux livres, un sur le philosophe Tournier, un autre sur les Mèdes), il suscite cependant la jalousie et même la haine chez certains personnages (comme Nabucet, avec lequel il a failli se battre en duel). Aussi, il échappa en une seule journée à trois tentatives (selon lui) d'assassinat. Ce personnage, autour duquel vont tout au long du roman se greffer de nombreux événements, est peu avenant de par son physique ingrat, avec ses pieds énormes qui le font claudiquer, et également par son indifférence, son détachement de tout, ( à l'instar de Meursault dans "L'Etranger"), qui lui donne tout d'une apparence d'anarchiste.
Sa seule préoccupation semble être sa rédaction de son livre, un recueil de pensées qu'il appelle "Chrestomathie".
Et c'est en apprenant que ces chiens (!!) ont "bouffé" les papiers qui constituaient ce recueil qu'il se suicide.
Outre ce personnage très loufoque, apparaissent également d'autres protagonistes qui représentent les différentes caractères que l'existence de la guerre amène à se développer.
Ainsi Nabucet, le bourgeois qui fait de la guerre le moyen de s'assurer une trajectoire personnelle. Ou encore Babinot qui est complètement aveuglé par son patriotisme. Francis, le réactionnaire défaitiste communiste qui écrit des poèmes incitants à la révolution et la rébellion.
Louis Guilloux dénonce également l'hypocrisie et l'arrivisme des élites (militaires, fonctionnaires, républicaines) profitant de la guerre, lors de la cérémonie de la bibliothèque dans laquelle Mme Faurel, la femme du député reçoit la Légion d'honneur pour son "courage en soignant les blessés".
La guerre qui revient donc malgré tout, insidieusement, lorsque par exemple tout le matin le maire fait sa "tournée" dans sa ville pour annoncé le décès d'un fils à une famille.

Ce roman est donc avant tout une analyse psychologique de l'homme face à la guerre; c'est une critique de la société pharisaïque de l'époque. Rien que le titre suggère bien ce climat qui y règne: à l'inverse du sang rouge versé par les poilus sur le front, coule le sang noir, fétide et malsain dans lequel vit la société à l'arrière.
En dressant ce tableau , Guilloux ne manque pas d'humour, certains passages sont cocasses et font sourire (notamment avec Maïa, une véritable cul-terreux), avec un style fort agréable à lire.
A lire donc!!!
Oui, un superbe livre ! 9 étoiles

Certains diront "Encore un livre sur la guerre quatorze !" Oui, peut-être, mais quel livre !... Ce n'est pas d'ailleurs vraiment la guerre quatorze qui est décrite, mais elle est omniprésente en arrière plan.

Je dirais que ce livre serait davantage celui des désillusions. Celle des jeunes d'abord, la plus cruelle ! Ils ont à peine vécu que les voilà transformés en chair à canon ! Les adultes ont menti, la vie n'est pas ce qu'ils en ont dit !

Celle de Cripure, professeur dans un collège de petite ville. Cripure (surnom ironique qui lui vient de la réduction, par ses élèves, des mots "Critique de la raison pure") qui a écrit deux livres mais qui a raté sa vie et à qui il ne reste qu'un seul espoir: il va écrire un nouveau livre et celui-ci va lui donner la position qu'il mérite. Après tout, il est autre chose qu'un raté malgracieux aux grands pieds.

Celle de Cripure encore qui voit bien tout ce que cette société a d'hypocrisie et de lâcheté. Il est dégoûté par les hommes.

Louis Guilloux, comme l'a dit Tanna, connaissait bien Georges Palante aussi ces phrases ne nous étonnent pas:

Cripure dit:
" La vie est une affirmation..... une affirmation !
- De quoi ?
- Mais... de soi-même !
..........

- Absurde ? Bien entendu. Bien évidemment, c'est absurde. Le monde est absurde, jeune homme, et toute la grandeur de l'homme consiste à connaître cette absurdité, toute sa probité aussi."

Et il poursuit par une phrase que Palante aurait pu écrire:

"- Emparez-vous de votre bonheur, vous dis-je, sans considération de rien ni de personne."

Quant à moi, je trouve une autre raison à son suicide...

Il entre dans son bureau déjà très excité et découvre que ses chiens ont déchiré et mangé ses papiers sur lesquels il avait écrit ses notes pour son nouveau livre !... Tout était perdu et il comprit soudain qu'il ne l'écrirait plus jamais, alors que c'était son seul moyen de se redresser face aux autres, de montrer qui il était vraiment !

Un très beau livre et qui a aussi des accents Céliniens, surtout dans l'écriture et les désespoirs de Cripure

J'aurais dû lire ce livre bien plus tôt, mais me voilà très heureux de l'avoir enfin fait !

Jules - Bruxelles - 80 ans - 15 décembre 2007


petit bémol 8 étoiles

Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié ce livre. La satire est pinçante. Les personnages drôles dans leur médiocrité... c'est effectivement un bon livre. Mais j'ai senti une véritable "lecture en deux temps". Une première partie très axée sur la description et la mise en place des personnages où on se perd un peu. La seconde partie est plus "dans l'action" et la lecture avance plus facilement.
Mais je le répète : dans l'ensemble c'est un livre à recommander.
céline.

C.line - sevres - 47 ans - 22 février 2006


précisions 10 étoiles

Juste quelques précisions: Cripure ne se suicide pas à cause de ses chiens, mais par honte, vis à vis de ses contemporains, c'est un suicide philosophique. Guilloux relate ici l'histoire de son ancien prof, georges palante. C'est donc une histoire vraie, qui a aussi fait l'objet d'une pièce de théâtre.
Voilà

Tanna - Rennes - 47 ans - 23 septembre 2002