Dropsie Avenue : Biographie d'une rue du Bronx
de Will Eisner

critiqué par Dirlandaise, le 8 décembre 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Des "spaghettis", des noirs et des "latinos" !
Ce roman graphique constitue le dernier tome de la trilogie du Bronx de monsieur Eisner dont le premier tome s’intitule « Un pacte avec Dieu » et le second « Jacob le cafard » que j’ai déjà critiqué d’ailleurs. Ces trois tomes mettent en vedette une avenue d’un quartier de New York, l’avenue Dropsie.

Au début, nous sommes en 1870 alors que quelques vieilles familles hollandaises s’accrochent aux terres dont elles ont hérité. Je reproduis quasi littéralement le texte de la première page. Il y encore des fermes dans le Bronx. En décrivant la vie de certains des habitants du quartier, Will Eisner nous brosse un tableau saisissant de l’évolution subie par ce petit monde new-yorkais. Le quartier évolue au fil du temps. De cossu et haut de gamme, il va lentement se dégrader pour presque entièrement disparaître mais grâce à la générosité d’une vieille dame, il va renaître de ses cendres et reprendre vie. C’est une saga qui s’étend sur plusieurs décennies. Des pauvres font fortune, des familles vivent des malheurs à répétition, une femme trouve le bonheur dans le mariage, un clochard achète un immeuble à logement et devient le nabab de la rue, les voisins s’épient, se surveillent, s’entraident et souvent de déchirent à belles dents. On voit d’un mauvais œil l’arrivée des « spaghettis », des noirs et des « latinos ». On déménage afin de changer d’environnement et améliorer ses conditions de vie. C’est une faune humaine bigarrée qui prend vie sous nos yeux avec des personnages haut en couleurs et d’un réalisme saisissant. Je pense à ce jeune homme d’origine juive qui étudie en droit, se marie avec une italienne de confession catholique et est bientôt pris dans l’engrenage de la corruption municipale qui lui vaudra de nombreuses promotions. Ce n’est qu’un exemple du genre de personnage savoureux qu’on retrouve dans cet album extraordinaire.

Comme il faut bien ne pas attribuer tout le temps une note parfaite, je me suis creusée les méninges afin de trouver des défauts et des faiblesses à cet ouvrage. Bon, j’enlève donc une demie étoile pour les dessins qui ne sont pas toujours très réussis et l’absence de couleurs mais là, je me force à trouver des tares. C’est une fresque tout simplement désopilante et très instructive sur l’histoire de New York. J’ai commencé à lire et n’ai pu m’arrêter avant la dernière page tellement l’histoire m’a captivée du début à la fin. J’ai souri à plusieurs reprises devant la rouerie et la ruse de certains personnages et j’ai été parfois révoltée devant la corruption et l’absence de moral dont font preuve d’autres. C’est un combat pour la survie et presque tous les coups sont permis afin d’améliorer son sort. Certains réussissent très bien alors que pour d’autres, c’est la misère et la déchéance. Les difficultés de voisinage des différentes ethnies sont très bien exposées. Il y a du racisme chez certains mais aussi de la tolérance. Bref, c’est réussi et bravo à monsieur Eisner dont j’apprécie de plus en plus le travail.

« Depuis que Moroni a construit son immeuble, ces gens-là, c’est pire qu’une invasion de puces ! — Bah, y-z ont le sens du voisinage ! — Dites, vous êtes pas d’ici ? — … né et élevé avenue Dropsie ! — Ouais, ouais ! C’est pas vous le courtier du no 30, au coin de la rue ? — C’était… mais depuis le krach boursier, c’est de l’histoire ancienne ! — Du coup, vous déblayez la neige pour la WPA à 25 cents de l’heure. — Les temps sont durs ! — Ouais… r’gardez tous ces panneaux à vendre et à louer dans la rue ! — Merde ! C’est tout le quartier qui est sur la mauvaise pente ! — Comme le pays !! Les gens s’en vont… Les temps changent ! »

« M. Cash, on voudrait discuter de votre politique de location ! — Eh bien, discutez ! — Franchement, vous acceptez des gens indésirables ! — Vous voulez dire que vous ne voulez pas que des nègres vivent à côté de chez vous. L’an dernier, vous vous plaigniez des étrangers. Je vais vous dire quelque chose. Ils payent le loyer comme tout le monde !! Ça vous plaît pas de vivre ici ? Déménagez ! »