Les enfers du Rock
de Philippe Manoeuvre, Marie Meier

critiqué par Numanuma, le 21 novembre 2009
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Pourquoi pas 666 pages?
Il faudra un jour sérieusement se pencher sur les rapports entre le rock et la BD ; en attendant, Philippe Manœuvre nous offre une nouvelle collaboration avec un dessinateur. Après un très bon Etre Rock avec Thierry Guitar (chroniqué ici même par mes soins), voici un excellent Les Enfers du rock avec Marie Meier, autre collaboratrice régulière du magazine Rock & Folk dont Manœuvre est le rédac chef.
Le principe est simple, page de droite un texte de Manœuvre, page de gauche, forcément de gauche, le côté du Malin, un dessin de Marie Meier.
Autant le dire tout de suite, il n’y a dans ce petit bouquin aucune révélation, aucun scoop, aucune info qui ne soit déjà connue du fan. Mais voila, il y a la manière, il y a le ton, le sens de la mise en scène et de la narration qui font que même les histoires archi-connues de Robert Johnson vendant son âme au Diable, à minuit au mythique crossroads, en échange d’un don quasi-magique pour la guitare sentent encore bon la légende. De même que les accords de guitares finissent par tous se retrouver dans toutes les chansons, les légendes, les mythes fondateurs renaissent éternellement et comme on dit, quand la légende est plus belle que la vérité, imprimez la légende.
A côté de ça, il y a les tournures, les phrases définitives, presque des sentences, des évidences ramenées à leur plus simple expression : « le blues est la musique du Diable, le rock est le Diable en personne ».
Alors oui, le Diable a les meilleures chansons parce qu’on ne fait pas un bon titre rock avec des histoires de jeune homme qui voudrait tenir une jeune fille par la main ; ça, c’est le rôle de la musique pop. On excepte les Beatles parce qu’ils sont à part et parce que, quand même, c’est en écoutant Helker Skelter que Charles Manson s’est décidé à trucider la femme enceinte de Polanski (oui, celui qui s’est fait arrêter en Suisse dernièrement). Il voyait dans les quatre garçons de Liverpool la nouvelle incarnation des cavaliers de l’Apocalypse. Bon, il ne buvait pas que de l’eau et ne fumait pas que des Marlboro light…
Et puis la déclaration de Lennon : « aujourd’hui nous sommes plus populaire que Jésus » ; ça a dû faire rigoler du côté des Enfers !
Et pourtant, c’est souvent aux Rolling Stones auxquels on pense en premier à cause de leur fabuleux Sympathy for the Devil. Manœuvre remet les pendules à l’heure et ne parle des Stones qu’en page 37 ; les 36 autres rappellent que le Diable est à l’œuvre depuis bien plus longtemps dans la musique, depuis le Moyen-âge en fait avec l’apparition du diabolus in musica, les accords du blues en fait, dont l’usage est interdit à cause des effets qu’ils produisent. Et quiconque a déjà écouté, ressenti, le blues, sait de quoi je parle.
Et puis Robert Johnson donc et tous les bluesmen tiraillés entre leur art et les champs d’église, Hendrix, James Brown, Elvis et les pionniers du rock jusqu’aux métalleux de Black Sabbath et leur descendance. Le Diable a peut-être réussi à faire croire qu’il n’existe pas mais les musiciens en sont pas dupes…
Et les artistes du crayon et du pinceau non plus semble-t-il tant Marie Meier nous livre des illustrations habitées, diaboliquement efficaces, tout en noir, blanc et pourpre.
Je suis fan de son travail depuis que je l’ai découverte dans Rock & Folk et le fait qu’ici sa palette de couleurs soit réduite au minimum rehausse encore la qualité de son travail. Je suis incapable de donner un avis technique, je ne connais rien au vocabulaire du dessin, je suis moi-même bien incapable de dessiner quoi que ce soit et les cours d’arts plastiques au bahut ont toujours été de grands moments de solitude.
Je ne peux donc qu’évoquer l’effet que provoquent ces dessins. J’y vois comme le mélange du manga à l’européenne et du Vaudou et la manière de dessiner les flammes a un coté fifties et tatouages. Je sais, c’est terriblement vague mais c’est ce que je ressens. Les images collent plus à l’ambiance qu’au fond du texte mais le dessin existe en lui-même avec parfois des impressions étranges.
Ainsi cet Elvis souriant et auréolé de la page 18 acceptant les prières d’une nonne en pâmoison. Il a l’air angélique mais ces yeux sont vides et donnent un sentiment de malaise. Ou le Syd Barrett de la page 38, personnage halluciné évadé des œuvres de Lewis Carol.
Un bémol quand même. Le dernier chapitre, consacré à Jim Morrisson, a déjà été publié dans Rock & Folk. Je l’ai déjà lu auparavant même si j’ai eu la flemme de me taper tous les numéros du magazine que j’ai à la maison. Je suis lecteur depuis 1992, ça fait un gros boulot de recherche. Inversement, les pages dédiées aux Stones sont présentes dans le dernier numéro du magazine. Mais bon, un bouquin qui débute par un concert d’AC DC, celui au Stade de France cette année, j’y étais (et j’emmerde la RATP), est forcément un excellent bouquin !