Un coeur Intelligent
de Alain Finkielkraut

critiqué par Tanneguy, le 12 novembre 2009
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
L'Amour de la Littérature
" Le roi Salomon suppliait l'Eternel de lui accorder un coeur intelligent ". C'est ainsi que débute le livre d'Alain Finkielkraut. Pour l'auteur, c'est la Littérature qui peut jouer ce rôle aujourd'hui et pour étayer cette thèse, il va analyser neuf titres, neuf auteurs de Milan Kundera à Karen Blixen en passant par Camus, ou Philip Roth.

Pour chacun des ouvrages Alain Finkielkraut commence par présenter dans le détail l'intrigue, les personnages principaux, le contexte et en tire des conclusions qui peuvent orienter notre propre comportement à l'époque actuelle. Lorsqu'il s'agit de textes que nous connaissons, c'est un enchantement ( j'ai par exemple beaucoup apprécié son analyse de La Plaisanterie de Milan Kundera ou de La Tache de philip Roth ). Lorsque nous ignorons encore ces ouvrages, c'est une incitation forte à les aborder ( je me suis précipité pour faire l'acquisition de l'excellent "Bouquins" consacré à Vassili Grossman...).

Le thème préféré et récurrent d'Alain Finkielkraut, c'est la place de l'individu dans la société, la possibilité qu'il a, ou n'a pas, d'exister dans un monde contraignant qui veut "son bien" parfois en le privant de sa liberté de penser ; j'ai beaucoup apprécié le rappel de la guerre Sartre-Camus ou l'évocation de la situation de Grossman tiraillé entre fascisme et communisme, un thème maintenant bien connu depuis que la chape de plomb du communisme triomphant s'est éloignée.

Le style de Finkielkraut est parfois difficile à suivre : il ne faut pas hésiter à reprendre les passages parfois obscurs, ils finissent par enchanter le lecteur ; on pense parfois à ses débats passionnants sur France-Culture du samedi matin...

La méthode d'Alain Finkielkraut pourrait inspirer les collaborateurs passionnés que nous sommes au site de Critiques Libres.
Un grand apport à la réflexion 8 étoiles

Tout d'abord j'ai fortement apprécié la critique de Celia.

En effet, parmi mes amis j'en ai quelques un dont la sagesse m'a souvent étonnée alors qu'ils ne lisent pratiquement pas. A moi qui lit beaucoup il ne reste plus qu'à être d'accord avec elle quand elle met en doute la phrase de Finkielkraut:"Etre homme, c'est confier la forme de son destin à la littérature"

Bien sûr il est des millions d'hommes cultivés, sensés, humains sans être des lecteurs.

Je ne suis pas non plus une autre phrase de l'avant propos:

"Ce n'est ni directement à Lui (Dieu), ni à l'Histoire, cet avatar moderne de la théodicée, que nous pouvons adresser notre requête avec quelque chance de succès, c'est à la littérature. Cette médiation n'est pas garantie: sans elle toutefois, la grâce d'un coeur intelligent nous serait à jamais inaccessible."

Par contre, je serais assez pour la fin du paragraphe qui dit: "Et nous connaîtrions peut-être les lois de la vie, mais non sa jurisprudence."

Finkielkraut a aussi pour objectif de ne pas couper le roman de la philosophie. Il en est une forme de continuation, d'illustration.

Bien sûr pour montrer cela il ne peut se permettre de choisir n'importe quel écrivain ! Et c'est sur cette base qu'ils seront choisis. Mais une question surgit aussi vite: ceux-ci ne sont pas accessibles à tous. Et quand je dis "pas accessibles" je ne pense pas nécessairement aux capacités intellectuelles des lecteurs, mais aussi au fait que nombreux sont ceux qui n'ont aucun goût pour ce genre de livres. Ils ne lisent que pour se détendre.

Quant au style d'écriture, il va de soit qu'un homme comme Finkielkraut y attache une importance. Mais celui-ci va de soit et, cela acquis, ce sont les idées qui prennent toute leur importance.

Céline ne cessait de de prêcher pour le style avec sa formule "Le style, pas les idées" prétendant que celles-ci suivraient automatiquement. Il me semble évident que le style, sans idée n'a pas un grand intérêt sur le plan de l'évolution humaine.

J'ai trouvé un grand intérêt à lire l'opinion de Finkielkraut sur de très grands livres que j'ai adoré. Jusqu'au problème de dents évoqués dans "Les carnets du sous-sol" de Dostoïevski que nous retrouvons dans un autre grand livre "Affliction" de Russell Banks. Il en découlent des choses d'un mal de dents qui dure !...

Bref, j'ai beaucoup apprécié ce livre qui met des choses importantes en valeur, qui prête indiscutablement à la réflexion. Une certaine différence donc d'avec Celia quant à mon appréciation.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 12 mars 2010


La vie n'est pas un roman, mais... 8 étoiles

Mais la littérature permet de "déchiffrer" la vie à travers le témoignage des écrivains . Elle est un des moyens d'exploration des mystères de la vie, de la vie des autres. Et comme le disait Danièle Sallenave, ces oeuvres sont le don des morts.
Il y a bien entendu l'expérience vécue personnellement par chacun ,par les voyages, les relations avec les autres, l'étude de la mémoire par l'histoire , etc .

Il n'est pas donné à chacun de traduire ces expériences ou d'utiliser efficacement les moyens artistiques pour en faire ressentir l'importance.

Alain Finkelkraut fait des lectures qui sont des modèles d'analyse permettant d'enrichir notre vision de la vie. Le choix de ces romans accessibles à tous est de plus judicieux. Ils permettent d'aborder des problématiques éternelles mais illustrées par des intrigues situées historiquement au XXème siècle.
C'est en tout cas pour moi, intelligent et incitateur.

Je connaissais certains de ces livres mais je les ai redécouvertes après cette lecture.

Donatien - vilvorde - 81 ans - 11 mars 2010


Le coeur a ses raisons... 9 étoiles

Les livres commentés par Alain Fienkielkraut dans "Un coeur intelligent" ont un point commun: ce sont des romans au travers desquels passent des thèmes philosophiques puisqu'il faut appeler les choses par leur nom. L'intelligence, que l'on pourrait appeler pratique ou domaine de la philosophie y est mise en balance avec le coeur (qui sans doute a ses raisons que la Raison ne connaît point), qui est supposé être ce qui inspire l'artiste, ici le romancier. Ces romans sont donc porteurs d'une critique -politique principalement, sociale accessoirement, ou de la Raison elle-même- et directement ou indirectement d'une réflexion sur l'art. Sur l'art du roman plus précisément.

En faisant la connaissance d' Austin Sloper "cet être rationnel", personnage du roman d'Henri James " Washington Square" dont Joseph Conrad se demandait s'il n'était pas "aveuglé par la cohérence de son raisonnement", nous abordons la critique de la Raison. A vouloir "confier le destin de l'homme à la logique" dans la méconnaissance du "souterrain dans lequel vivent les hommes même les plus affables", "ce qui nous est suggéré ici...c'est qu'on peut avoir tort d'avoir raison". La Raison a ses limites que les écrivains -ici Henri James, mais il y a d'autres exemples- nous invitent à reconnaître.

Alain Finkielkraut ouvre également une brèche dans le courant du nihilisme européen en rappelant quelques valeurs toutes relatives mais indispensables au vivre-ensemble propres à l'humanisme dont cette même Europe est le berceau, en posant la question "à quoi peut-on croire pour ne pas sombrer dans le nihilisme?".

Ce livre est le regard que porte un praticien de la philosophie sur l'art du roman, dans lequel il a trouvé l'illustration de thèmes qui lui sont chers: le rapport à l'Autre, les totalitarismes et en général ce qui nie l'humain, la fatalité de la servitude acceptée et également la raison d'être de l'Art qui explore "cette part du réel que l'intelligence conceptuelle manque inéluctablement". Le roman, quelle que soit son époque, nous renvoie à nous-mêmes, à nos tentations, à cette part de nous qui se nie en se pliant à la constance des "vérités" qui nous font accepter la soumission, l'adhésion à un ordre, l'acceptation du "ça va de soi". Mais il peut aussi traquer l'universel dans le singulier sans tomber dans l'égotisme:" Grossmann n'écrit pas pour se confesser, il écrit pour comprendre".

Alain Finkielkraut ne se livre pas à une critique du texte, du style en un mot de la forme, ce qui fait que sur celle des différentes oeuvres abordées nous ne saurons rien, comme si la notion d'écriture était renvoyée à un autre univers (il est tout de même permis de supposer que Finkielkraut ayant une formation littéraire, la façon dont c'est écrit participe pour lui à l'unité de l'oeuvre). Il n'est pas non plus un journaliste et le but de sa critique -même s'il se livre à une présentation synoptique du roman abordé, comme pour nous rappeler que l'histoire, le sujet, est le support sur lequel se déroule le texte- n'est donc pas de promouvoir le bouquin en l'étoilant, en lui donnant en quelque sorte un grade dans l'éphémère constellation littéraire.

Il s'agit pour lui, en quelque sorte, de faire remonter un sens sous-jacent à l'histoire racontée, contée (car il ne faut pas oublier que l'écrivain est un conteur).

L'objet de ce livre, en tout cas le résultat auquel il parvient, est donc de faire réfléchir sur le roman, son pouvoir et plus largement sur le pouvoir de la littérature considérée à travers tous ses genres, j'oserai dire également du film, cette forme du récit, ce "roman par apparentement", pure saisie du mouvement, écrit avec la lumière et qui délivrant du son permet l'écoute de la parole. Il fait aussi dans le vaste "champ" de la condition humaine, réfléchir à la condition faite à l'homme par l'homme, et, comme en passant, dans l'époque actuelle. Quelques réflexions sur le postmodernisme et notamment sur "les prothèses, les appareils, les divertissements", l' "être-pour-l'écran" en quoi se transforme l'homme postmoderne, nous renvoient à ce qu'est de nos jours l'aliénation.

On peut discerner tout au long de "Un coeur intelligent" la pensée développée par chaque livre commenté. La formation philosophique et la grande culture de Finkielkraut qui en "lecteur assidu, s'interroge", servies par une plume alerte et une langue classique donc rigoureuse et accessible, nous aide à débusquer cette pensée, à trouver le sens sous les faits et les actions narrés.

La question éternellement ressassée de la mort du roman, ou de celle de la littérature, trouve ici une réponse. Cette réponse en vaut une autre. Contre les abandons de l'art pour l'art ou le délitement de la chose écrite dans une production effrénée et vide de sens, c'est une réponse partielle mais qui rejoint celle de Camus dans le Mythe de Sisyphe et l'Homme Révolté. Une interrogation donc plutôt qu'une réponse.

L'écrivain (ou le cinéaste) change le monde en l'interprétant, et nous aide a en réorganiser la perception en la débarrassant de la gangue de préjugés qui nous aveuglent.

Farfalone - Annecy - 55 ans - 19 novembre 2009


un coeur de papier 4 étoiles

Bien que nous soyons dans un forum littéraire, nous savons bien que la culture ne se restreint pas à la seule lecture... C'est pourquoi je m'arrête sur la conclusion donnée par A. Finkielkraut à son dernier livre "Un coeur intelligent" :

"Etre homme, c'est confier la forme de son destin à la littérature".

et je me permets de copier le commentaire d'un lecteur tout à fait relativiste :

"Etre homme, c'est confier la forme de son destin à la littérature"

Qu'en est-il donc alors, de ceux d'entre nous « confiant la forme de leur destin » à une pratique, un savoir ou un savoir-faire non littéraires ? En seraient-ils moins hommes ?

L'écriture, la lecture, la position généralement assise, le mouvement oculaire, le tournement des feuilles, et l'émotion virtuellement engendrée, gouverneraient-ils l'aventure humaine, définiraient-ils à eux seuls l’expression, l’expansion vitale de l’être ?

Et le texte écrit défilant sous nos yeux serait-il plus « formateur de destin » que par exemple, le spectacle de l'arbre (qu'on abat pour faire du papier), du fleuve, de l'horizon... Ou le travail du sol ?

N'est-il sage quelquefois, comme l'écrit L. Latourre "de sentir nos œillères - didactiques, culturelles, lexicales ?" (*)

Ne faut-il quelquefois débusquer l'idolâtrie littéraire, et l'emprise du monde dit "de l'esprit", cet univers où l'encre et le papier tiennent lieu de chair et de sang ?

L'un de nos dieux d'Europe, lucide, ironique, désabusé, tout cultivé qu'il est, a senti que la vie résidait ailleurs que dans les in-folio. Ex-brillant collégien, "très intelligent", il s'est davantage senti frère des êtres d'une autre vie, vie inculte au sens scolaire mais pas moins vraie, peut-être plus vraie encore, incarnée et concrétisée dans l'action pratique.

Il a poussé l'expérience au-delà de limites que nous amoureux du livre, nous arpenteurs du monde imprimé, ne concevons que très mal ou même pas du tout...

Écrire, pour quoi faire ?

Assistante de la mémoire, transmission de signes à des êtres hors de portée de voix. Répertoire de calcul, marquage de territoire... On en vient à écrire pour... écrire... A écrire pour faire des livres. L'écriture cherche encore à se dire elle-même.

(*) cf Louis Latourre "Les Dessous du langage" Revue des études byroniennes mars 2008

Celia - - 44 ans - 12 novembre 2009