La Nuit de l'étranger
de al-Ḥabīb al- Sālmī

critiqué par Débézed, le 30 octobre 2009
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
On n’émigre pas pour partir mais pour fuir !
« … des souvenirs, des événements, tout un passé, reviennent … hanter » ce jeune Tunisien qui, réveillé, ne retrouve pas le sommeil dans une minable chambre parisienne. Il voudrait appeler quelqu’un mais qui au cœur de la nuit ? Il prend son répertoire et regarde la liste des numéros qu’il a inscrits depuis un certain temps déjà, et redécouvre des personnes qu’il a oubliées ou des personnes qu’il a fréquentées assidûment mais qui ne font plus partie de son entourage. Hamouda et Hadhrya, ce couple venu du bled où ils vivaient très bien du produit de leur champ, de leurs arbres et des activités commerciales du mari, qui est venu à Paris suivre un traitement nécessaire pour assurer sa descendance. Souad, la petite putain, on l’appelait ainsi car elle voulait vivre libre, oublier un père dédaigneux et ne pas subir la loi des hommes qui lorgnaient son physique avantageux. Et Adel, celui qu’il a rencontré dans l’avion et que la police a retenu pour une histoire pas très claire, qui le premier lui a fait découvrir ce petit bistrot tunisien caché au fond d’une ruelle pour ne pas attirer l’attention. Où les émigrés tunisiens « parlaient comme pour retenir ce qu’ils ne voulaient pas laisser s’enfuir, ils parlaient pour ne pas oublier ce qu’ils vivaient, pour que leurs joies et leurs peines ne leur échappent pas comme les jours qui leur filaient entre les doigts. » Adel qui avait de grandes ambitions et qui voulait honorer celles que son père qui n’en avait plus pour lui-même, avait placées en lui, mais qui laissait filer ses études …

A travers ces quatre personnages, Selmi reconstitue le parcours de ces émigrés qui ont quitté le pays pour une nécessité quelconque, « … on n’émigrait pas pour partir vers un lieu mais pour fuir un lieu. » Et qui ont rencontré ce que tous les émigrés trouvent dans les pays qu’ils ne connaissent pas : le dépaysement, l’étonnement, le déracinement, l’incompréhension, la peur, l’angoisse… et pour finir l’acceptation et la résignation. Et ce long parcours n’est fait que de ruptures qu’il faut assurer et assumer, ruptures, avec la famille, les proches, la communauté mais aussi le pays, le climat et toutes ces odeurs qui identifient si bien le lieu d’où l’on vient.

Et, le parcours de ces émigrés c’est aussi leur devenir et le lourd dilemme du retour au pays, faut-il faire ce voyage de retour pour retrouver ce qu’ils ont quitté ? Faut-il persévérer à vivoter dans ce nouveau pays qui offre tout de même certaines possibilités ? « … Hamouda était de plus en plus attaché à ce qui l’entourait, et le retour définitif, qu’il ne cessait de reporter pour une raison ou pour une autre, devenait si difficile qu’il lui semblait être tombé dans un piège… »

Rien de bien nouveau dans ce livre tant le sujet a été traité, non seulement par des écrivains mais aussi par de sociologues, des psychologues, et autre gens exerçant des professions en « …logue », peut-être, cependant, un supplément de tendresse et de véracité car ces personnages sentent bien le pays et la misère de l’exil et ce n’est pas seulement une image car les odeurs occupent une place prépondérante dans ce récit où l’auteur identifie les pays et les gens par les odeurs. L’odeur des aisselles de Souad était une véritable jouissance.

Un certain désenchantement aussi mais pas franchement du désespoir, une forme de résignation plutôt, Inch Allah, car finalement c’est le hasard qui fait se rencontrer les gens. Mais, ceux qui travaillent, qui font ce qu’il faut faire pour s’en sortir avec humilité peuvent marcher la tête haute comme le père d’Adel, « Il se sentait le droit de manger parce qu’il avait travaillé et avait fait ce qu’il devait. »