Vivre et penser comme des porcs
de Gilles Chatelet

critiqué par Farfalone, le 14 octobre 2009
(Annecy - 55 ans)


La note:  étoiles
Jusqu'à l'abattoir
Après que les ravages de la modernité aient été rangés au magasin des accessoires de l'Histoire, Gilles Châtelet nous convie à un festif et truculent voyage dans la post modernité, nouvelle ère humaine, nouvelle imposture. Châtelet (Gilles, ne pas confondre) taille en pièces le néoconformisme baba qui depuis la fin des années 70 tient lieu de pensée (unique) à tout ce qui se prend pour représentant de l'intelligentsia française, et autre d'ailleurs, tant les "idées" qui illuminent nos "penseurs" sentent le "made in U.S.A".

Tout ce qui, dans le Landerneau politico-médiatique, dans le désert germanopratain de la littérature et des "idées" a abdiqué l'humanité de l'homme (c'est à dire sa "socialité" ou sociabilité) pour promouvoir l'égo, l'égoïsme, le nombrilisme, l'aquoibontisme élevés au statut de "valeurs" par un consensus mou rendu acceptable (de temps à autres) par la défense des grandes causes humanitaires ou autres est épinglé dans ce livre.

Décapant. A lire d'autant plus que Gilles Châtelet, philosophe et mathématicien ne sévira plus: il a quitté volontairement en 1991 cette vallée de larmes, sans doute pour ne pas voir la réalisation de ce qu'il nous laisse envisager dans cet opus. Et sans doute pour mettre en conformité sa vie avec sa philosophie, fidèle en celà au grand Friedrich.

Dommage. L'évolution de notre monde pendant ces vingt dernières années nous aurait sans doute valu un autre pamphlet de ce tonneau-là.
Un livre de combat et un cri de révolte contre la société moderne 9 étoiles

Ce livre, au titre très explicite sur le mépris et la colère de Gilles Châtelet envers le monde contemporain, est un pamphlet philosophique dont l’humour corrosif éclate à chaque page, y compris dans les titres des différentes sections. C’est davantage une déclaration de haine qu’un essai ! Les images sont fortes, parfois excessives, comme lorsqu’il compare la civilisation de l’automobile, dont les enjeux orientent l’aménagement du territoire et l’urbanisme, à du « pétainisme à roulettes » ! Gilles Châtelet, philosophe et mathématicien, apparaît comme un homme écoeuré par le prêt-à-penser qui s’est substitué au débat d’idées et par le renoncement des masses totalement asservies à l’économie de marché, qui n’aspirent à rien d’autre que se gaver de biens et de services.

Gilles Châtelet, qui idolâtre Gilles Deleuze, vilipende les chantres de la modernité (la fameuse société cybernétique de Norbert Wiener) et de la mobilité sociale, en ciblant notamment Jacques Attali, les nouveaux philosophes et leurs épigones à qui ils reprochent d’avoir sapé les fondements de toutes les structures de solidarité collective et d’avoir corrompu tous les anciens idéaux en les transformant en objets de consommation (par exemple, le cosmopolitisme philosophique transmuté en tourisme culturel). Châtelet est un universitaire qui s’indigne des conditions précaires de l’enseignement supérieur et du mépris à l’encontre de tout travail non convertible en valeur marchande : il dénonce, au nom d’un égalitarisme démocratique perverti en nivellement des valeurs et haine des élites, l’abandon de toute ambition, intellectuelle ou artistique, et l’hypocrisie sociale qui conduisent à l’abrutissement des masses uniformisées sur toute la planète, au profit d’une oligarchie capitaliste qui s’enrichit au détriment du reste de la population en lui faisant miroiter un illusoire confort de vie, dont le chatoiement ne masque que la vacuité, et en tolérant quelques exutoires (drogues, sexualité, etc.) sévèrement régulés… Il dévoile, en s’appuyant sur les analyses de Pareto et de Hearst, les fondements idéologiques de la société de consommation et les mécanismes mis en place pour dissiper l’ennui profond que distille la démocratie-marché, qui a imposé son modèle de citoyen-masse : susciter la convoitise des masses par l’étalage des nouveautés de la modernité, provoquer des solidarités identitaires en jouant sur les mécanismes du bouc émissaire et entretenir la compétition sociale en attisant la jalousie, voire la haine, des possessions ou du prestige d’autrui. L’effervescence de la mobilité sociale est un leurre, une fausse promesse suggérant à chacun qu’il peut accéder au pouvoir et à la richesse, et une agitation dénuée de sens, comme un divertissement au sens pascalien du terme, qui ne sert qu’à combler le vide existentiel…

La charge est violente mais néanmoins bien argumentée. Hélas, emporté par sa verve féroce et caustique, Châtelet se montre parfois confus et se perd dans des digressions imagées qui virent à l’invective quand ils assimilent les hommes et les femmes ordinaires à des cyber-pétroleuses, à des Turbo-Bécassine, à des Cyber-Gédéon, etc. et comparent les étudiants boutonneux, revendiquant dans les campus universitaires sous les auspices du socialisme moderne, à des « cyber-puceaux » (Châtelet exècre Mitterrand, qu’il accuse d’avoir trahi les valeurs socialistes). Néanmoins, ces provocations verbales, peu courantes dans la littérature d’essai contemporaine au ton très policé, amènent souvent le sourire et apportent un vrai plaisir de lecture.

Pour lutter contre la passivité et la crétinisation des masses, Châtelet appelle à la révolte individuelle et fait l’éloge de l’héroïsme du « quelconque », dont le credo est de permettre l’épanouissement de l’individu au sein de la collectivité. Il appelle à une prise de conscience philosophique et à une rébellion contre la démocratie mercantile du néo-libéralisme. Il est néanmoins lucide sur la difficulté du combat, puisqu’il conclut par ces mots Et si le cyber-bétail redevenait un peuple, avec ses chants et ses gros appétits, une membrane géante qui vibre, une humanité-pulpe d’où s’enrouleraient toutes les chairs ? Ce serait peut-être une définition moderne du communisme : « A chacun selon sa singularité ». De toute manière, il y aura beaucoup de pain sur la planche, car nous devrons vaincre là où Hegel, Marx et Nietzsche n’ont pas vaincu. Tâche insurmontable pour Châtelet dont le suicide, commis peu après la publication de son pamphlet, démontre le sentiment d’impuissance…

Eric Eliès - - 50 ans - 11 mars 2017


Le ventre mou du consensus 8 étoiles

Actuellement, chacun a le droit d’exprimer sa différence et c’est certes un progrès, mais cela entraîne aussi un relativisme absolu et un humanitarisme adouci. L’unanimisme devient un dogme mais à quel titre ? Chacun est libre d’avoir le comportement qui lui semble normal tant que cela ne remet pas en cause le matérialisme général, le porte-monnaie, même la charité ponctuelle ou saisonnière reste un alibi car elle ne résout rien sur le long terme.

La culture ainsi est une denrée de plus en plus périssable, car elle n’est pas rentable, et qu’il n’y a rien de plus contre-productif que la réflexion ou au niveau spirituel, la contemplation. L’Argent domine notre monde, et il provient de différentes iniquités selon un absurde système de vases communicants, et des chrétiens aux marxistes, tous entretiennent le cercle vicieux. Ne compte plus qu’une seule chose, consommer.

Gilles Châtelet se moque des modes musicales, sociologiques, bobos ou technos, ou vaguement spiritualisantes, quand quelques fois le chichon est le seul argument subversif, au risque de déplaire absolument car elles ne remettent pas en cause le matérialisme ambiant, il met le doigt sur l’extrême vacuité de notre monde, car il ne repose sur rien, ne trouve de légitimité en rien de profond, il faut le savoir. Comme tous les Jérémies, il sait bien aussi que cette vérité fait du mal à entendre.

AmauryWatremez - Evreux - 55 ans - 9 novembre 2011