La vérité sur Marie
de Jean-Philippe Toussaint

critiqué par Kinbote, le 4 octobre 2009
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
L'histoire de Zahir
Le dernier roman de Jean-Philippe Toussaint, qui s’inscrit pour l’instant dans une série de trois romans, produit des sensations extrêmes et nous laisse, à la fin de sa lecture, pantois. En 200 pages, on assiste à une mort par arrêt cardiaque à Paris, face à la Banque de France, à un cheval qui s’échappe sur l’aire extérieure d’un aéroport dans une nuit orageuse au Japon et à un incendie de forêt sur l’Ile d’Elbe. Comme le dit bien le critique de Libération, Éric Loret, ce roman s’inscrit sous le signe du feu. Alors que les précédents, signale-t-il dans son article, relevaient, l’un de l’eau, l’autre de l’air. Comme l’avoue Toussaint, deux de ses influences sont Lawrence Durrel, avec son Quatuor d’Alexandrie, et Faulkner.

Le découpage du roman est intéressant: 50 pages pour la mort de J-Charles de G., un propriétaire de chevaux, 100 pages sur l’histoire d’un pur-sang « exfiltré » (selon le bon mot de l’auteur) du Japon pour cause de dopage, et 50 pages sur la vie de Marie dans la maison de son père disparu un an plus tôt. Autre fait singulier, Toussaint triple presque tous ses adjectifs, comme pour créer un brouillage des repères : rien n’est défini, tout s’inscrit dans une approximation, à l’image de la vérité que nous avons des êtres, et qui est toujours subjective, rapportée à soi, comme dans les rêves tous les personnages même s’ils empruntent les traits physiques de nos connaissances évoluent suivant un scénario régi par le rêveur.
«Car, poursuit J.-P. Toussaint, il n’y a pas, jamais, de troisième personne dans les rêves, il n’y est toujours question que de soi-même, comme dans l’Île des anamorphoses, cette nouvelle apocryphe de Borges, où l’écrivain qui invente la troisième personne en littérature, finit, au terme d’un long processus de dépaysement solipsiste, déprimé et vaincu, par renoncer à son invention et se remet à écrire à la troisième personne. »

Au fait, Marie semble bien vaporeuse, demi-nue dans les 1ère et troisième partie du roman. On ne sait rien de ce qu’elle pense ou dit, elle est surtout une pure apparence, elle manque de réalité - de vérité ? Elle s’intéresse à ce qui recouvre, masque, colore. Le fait marquant de ce livre reste cependant l’histoire de Zahir (nom emprunté à Borges et qui figure l’apparence et les ténèbres, le visible et l’invisible) qui s’étend sur cent pages et nous invite à réfléchir à l’essence animale de l’homme ou bien l’inverse, toute focalisation sur un animal renvoyant à l’homme. Certains ont pu y voir un côté cinématographique mais il semble que cette scène, au contraire, soit spécifiquement littéraire. Impossible ou très difficile de filmer pareille scène, telle que décrite, sans des moyens considérables. Donc Toussaint (qui est aussi cinéaste) a choisir de nous la faire voir en mots. En 1989, il m’avait écrit, en réponse à une petite interview qu’il m’avait accordée : « Un écrivain fait des phrases, un cinéaste des plans. » On apprend que le cheval ne sait pas vomir (mais Zahir vomira, révélant par là son côté humain) et le narrateur qui débarque à l’île d’Elbe rend à l’occasion d’un voyage en voiture jusqu’au lieu de résidence de Marie…

Il pleut et il y a de l’orage constamment dans les deux premières sections du livre. Dans la troisième, il brûle, si on peut dire, le feu gagne tout et succède à l’eau. Comme si le ciel était tombé sur la terre, comme si le cheval ailé (enfoui dans les soutes de l’avion-cargo qui le ramène en France et dont on ne saura pas l’issue personnelle) s’était vengé de l’homme qui l’a envoyé dans les airs, en boutant le feu sur l’île où le narrateur et Marie se sont retrouvés. À la fin, cela se termine par la mort des chevaux chers à Marie et à son père. La mort du cheval préfigure-t-elle la nôtre ? La mort du cheval est-elle plus importante que l’amour ? L’amour, la connaissance de l'Autre sont-ils les seules façons de faire face à la perte de l’animale humanité ? Toutes questions qui restent évidemment hasardeuses, comme leurs solutions, ce qui est la marque d’un grand roman ou d’un beau poème.
Une vive chevauchée 9 étoiles

Voilà un beau roman d'amour !

Amour pour une Marie qu'un narrateur, dont on ignore tout, déclare au fil d'un récit imprévisible que l'écriture de Jean-Philippe Toussaint rend saisissant.
A la page 74: «  ...je ne me trompais jamais sur Marie, je savais en toute circonstance comment Marie se comportait, je savais comment Marie réagissait, je connaissais Marie d'instinct, j'avais d'elle une connaissance infuse, un savoir inné, l'intelligence absolue: je savais la vérité sur Marie. »

La longue description (¼ du livre) de l'embarquement du pur-sang Zahir en avion - vrai moment de bonheur littéraire pour le lecteur carrément embarqué -, prend une importance telle dans ce récit que l'on souhaite lui donner une justification. Peu avant ce départ, dans l'aéroport, le narrateur aperçoit Marie sur un escalator qui s'éloigne peut-être à jamais de lui. Les émotions qu'il vit alors semblent projetées sur le cheval inquiet, effrayé et malade durant le décollage du 747 sous l'orage.

J'ai ressenti la liaison temporaire de Marie avec Jean-Christophe de G. comme l'épreuve qui lui permet de trouver le chemin vers l'homme qui l'aime.

Un autre cheval paraît dans la dernière partie du récit: Marie a pris en affection la jument Nocciola qui appartenait à son père décédé.
Après la mort de la jument dans un feu sur l'île d'Elbe, Marie décide de ne plus dormir dans la chambre de son père pour retrouver le lit de son amoureux. Un peu comme si cette perte définitive d'une part d'elle, - la jument du père, la fille du père -, l'autorisait à retrouver son ami de plein gré et en toute quiétude: « ...Marie...devant moi dans le noir, se dépouillant de sa dimension imaginaire pour s'incarner dans le réel,... ».
Interprétation séduisante qui confirme le poids qu'on aurait tort de refuser à cet ouvrage où Jean-Philippe Toussaint confirme le talent que nous lui connaissons depuis « La salle de bain ». Il est souvent dit que ses personnages se suffisent à eux-mêmes: ils s'offrent ainsi merveilleusement à l'interprétation des sentiments complexes qui sont sensés les animer.

Et puisqu'il est question de chevaux, j'ai envie de comparer la lecture de ce livre à une vive chevauchée au trot et au galop. Peu d'écrivains réussissent à tenir un rythme aussi alerte sans que j'aie envie de lâcher les rênes. Ce sera ma vérité sur l'auteur.

Christw - LIEGE - 73 ans - 18 février 2011


Oui, ……mais 8 étoiles

Je retrouve dans LA VERITE SUR MARIE ce qui m’avait frappée dans FUIR (outre le personnage de Marie, la scène à l’île d’Elbe, et le thème du cheval)
-une écriture dense, souple et rythmée
-un talent pour restituer des atmosphères différentes grâce notamment à une abondance de détails justes et de notations sensorielles
-des ellipses dans le récit qui créent un halo mystérieux autour des personnages et qui incitent ainsi le lecteur à tenter de créer les éléments qui font défaut
-mais aussi, plus que dans FUIR, la présence de récits indépendants donnant l’impression d’une compilation qui, pourtant, ne manque pas de charme

Alma - - - ans - 22 août 2010


Un moment avec Marie 9 étoiles

On peut découper ce livre en trois parties, au début du roman, on fait connaissance avec Marie, un soir de canicule et d'orage sur Paris, elle est avec son amant, Jean Christophe de G. qui meurt chez elle;
Dans la seconde partie on remonte le temps dans la vie de Marie, et on découvre comment elle a rencontré Jean Christophe de Ganay, propriétaire de l'écurie de Ganay, et dans cette seconde partie c'est surtout l'embarquement à l'aéroport de Tokyo du pur-sang qui est majestueusement décrit.
Dans la dernière partie on retrouve Marie dans la maison de son père à l'île d'Elbe en compagnie du narrateur, l'incendie dévastateur.
Très beau et bon roman dont j'ai aimé le style, l'histoire, la fraîcheur.

Dudule - Orléans - - ans - 19 avril 2010


Points d'interrogations 7 étoiles

"Apprenez qu'un livre ne donne jamais ce que l'on peut en attendre, il ne saurait être une réponse à votre attente, il doit vous hérisser de points d'interrogation." Jean Cocteau

Que dire ? Ce livre ne "nait" pas à la lecture immédiate. Mais le plaisir de la langue est là dès le début. On dirait presque que le narrateur va écrire sur n’importe quoi, pur le plaisir.

Le narrateur se souvient d’une nuit en partie partagée avec Marie qui l’a quitté quelques temps auparavant, il essaie de faire une reconstitution d’événements auxquels il n’a pas pu assister grâce à l'appel de Marie, désemparée devant la crise cardiaque de son nouvel amant, en pleine nuit, à Paris. La réalité est incongrue, surtout insaisissable, le rêve l’emporte et recrée une réalité idéale ?

Une déclaration d’amour sur le tard ? Prise de conscience de son sentiment pour Marie ? Mise en page d’une nostalgie amère ? Fantasme du narrateur qui semble penser qu’il connait Marie mieux qu’elle-même ne se connaît elle-même. Description de ce qu’est la vraie passion ?

Trois mouvements, trois tableaux paroxystiques, décrits dans un foisonnement de détails, un cocktail d’images des éléments proto-humains : l’orage se déchaîne au début, puis vient le cœur du « récit »: la magnifique scène d’anthologie de Zahir, pur sang en fuite sur un tarmac et son voyage improbable, ballotté dans les airs par un Boeing 747,enfin, voilà l’incendie qui dévaste l’île d’Elbe. L’insémination du feu ...? Ce cheval serait-il devenu le narrateur, ou est-ce Marie? ou est-ce un cheval monté au ciel, devenu surhumain? Un cheval qui aurait transcendé tous les chevaux ?

Le livre est comme un jardin dont on n’aurait planté que trois îlots visibles.
La voix du narrateur s’est perdue, il est devenu insignifiant au vu de la recherche d’une réalité, perdue dans le brouillard des mots. Mais ce brouillard est poétique : une construction rythmée, un style, une musicalité, un enchevêtrement savant, un crépitement, qu’il faut relire par trois fois.(ou plus...). Les mots prennent corps.

La page 165, révélatrice ? à propos de la réalité, de la vérité?

Le lien mystérieux, c’est la présence et l’absence de Marie, toujours la plus forte. Tour à tour, apparition et disparition du narrateur de plus en plus insignifiant. Livre qui examine les liens entre réalité et littérature, et s’interroge sur l’enfantement de la création artistique, la recherche/création d'une vérité idéale. Les mots et l’art d’écrire plutôt que le sujet.

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 3 mars 2010


Marie... et alors ? 4 étoiles

Le narrateur raconte une nuit, où Marie, avec qui il a vécu six ans et dont il est séparé, voit son amant mourir chez elle.
Deuxième fragment d’histoire : Marie et son amant sont au Japon et tentent, après de multiples péripéties, de faire embarquer un cheval dans un avion.
Fin : Marie et le narrateur renouent lors de vacances sur l’île d’Elbe qui se terminent par un incendie.
L’auteur nous laisse dans le flou total en dehors de ces événements ponctuels. Le lecteur ne sait pas pourquoi Marie et le narrateur se sont séparés, quelle est leur histoire. Il ne comprend pas plus la raison de leur rapprochement.
Idem concernant la relation de Marie avec Jean-Baptiste de Ganay - l’amant que le narrateur se plaît à appeler Jean-Christophe de G. à titre de petite revanche mesquine. A défaut de faits, l’auteur aurait pu développer les sentiments. Je trouve que ce n’est pas le cas.
J’ai trouvé ce livre totalement insignifiant et inintéressant. L’épisode central me laisse particulièrement perplexe quant à sa pertinence. Ce cheval finit par monter dans l’avion, blessé et nous n’en saurons rien de plus : est-il guéri ou a-t-on dû l’achever ? Et si le propos de l’auteur n’est pas là, où est-il donc ???

Pascale Ew. - - 57 ans - 22 janvier 2010


Triste et égo-centrique 2 étoiles

Je viens de terminer ce livre que je trouve particulièrement triste, lancinant et pas intéressant du tout....l'auteur se fait surtout plaisir dans un lyrisme mi-provocateur, mi-depressif...
Bref, je n'ai pas aimé ce livre que je vais vite remettre en vente...

HildegardeVonBeaumont - Beaumont - 56 ans - 30 octobre 2009