Lenin Kino
de Olivier Deprez

critiqué par Lantiste, le 28 septembre 2009
( - 58 ans)


La note:  étoiles
Ce que voient les morts
Pour entrer dans le livre « Lenin Kino », publié par Frémok dans la collection Flore et dessiné/peint par Olivier Deprez, il n’est sans doute pas de meilleur chemin que la nuit. C’est un livre nocturne comme fait par un rêveur. Le livre a en effet la cohérence et l’incohérence d’un rêve. Il a les tonalités sombres des paysages de minuit. Il faudrait accepter d’être comme mort pour s'enfoncer entre les pages. De croire le temps d’une lecture que l’on regarde des images comme si l’on était fraîchement enterré. On regarde de sous la terre. On se souvient de la vie comme un mort se remémore ses souvenirs. Mais c’est mourir pour mieux renaître. C’est se perdre pour mieux se retrouver. Car le (trop) court livret de "Lenin Kino" peut aussi se lire comme un petit livre de prières graphiques, des prières terrestres, terriennes, pas pour honorer un dieu, mais des prières pour affronter le néant qui ronge. Les images sont des présences. Et aussi bien des présences de l’absence, la grande Absence qui fonde l’angoisse, qui réveille la nuit, qui hante le jour. Mais pourquoi « Lenin » ? C’est circonstanciel, sans doute, une façon de dire que le rêve est collectif. Une façon de dire que le passé nous poursuit, qu’il ne s’abolit pas dans la nuit des temps, quoi qu’il en ait l’air. Et « Kino » ? C’est tout simplement une manière de souligner l’origine du livre, la vision du film de Dreyer, "Vampyr".

Le livre « Lenin Kino » est construit en se réglant sur le point de vue paradoxal du mort vivant qui est transporté dans un cercueil pourvu d’une fenêtre lui permettant de voir le dehors. Le livre est conçu comme si chaque vignette était vue de ce point de vue-là, le point de vue de celui qui s’apprête à être enterré. La vue est trouble parfois, floue. L'air est épais, opaque.Il y a aussi de grandes clartés, des grandes pâleurs d'aube, des aurores et des nuits, toujours des nuits.

Tout le livre est comme une déambulation dans les couloirs de cet entre-deux, ni vie ni mort, ni conscience ni inconscience, mais entre la vie et la mort, entre être et non-être, entre le jour et la nuit.

Il s’agit donc d’un ouvrage qui se tient sur des frontières. Frontière de la nuit et du jour, de la veille et du sommeil, du rêve et du réveil, de la vie et de la mort, de ce qui est et de ce qui n’est pas. Se laisser emporter par les pages, c’est accepter de passer ces différentes portes, ces différents seuils.