De Bruges à Amsterdam
de Catherine Sauvat

critiqué par Glencoe, le 14 septembre 2009
( - 59 ans)


La note:  étoiles
« Dans le secret des tableaux, au fil du temps »
Entre ciel et terres, de Bruges à Gand et Anvers en Belgique, de Haarlem à Amsterdam ou à Delft en Hollande, au fil des tableaux de Van Eyck, Brueghel, de Hooch, Rubens, Vermeer, Rembrandt, et tant d'autres encore, ce livre somptueux est une invitation au voyage dans l'espace (grâce aux photos) et le temps (grâce aux tableaux). Impressions de peintres donc, mais aussi de poètes, d'écrivains, de tous ceux qui, comme Catherine Sauvat – journaliste, écrivain et germaniste – et François Goudier – photographe – ont éprouvé cette étrange attraction pour des lieux où le regard et la mémoire semblent s'ouvrir sur un surcroît d'infini. Lumières du Nord découvertes au gré de la promenade, sous le pinceau de ses peintres, et superbement mises en page (160 illustrations en quadrichromie) par les éditions du Chêne. Après une belle introduction, où l'on comprend qu'en Flandre comme en Hollande, la réalité des lieux ne peut-être que subjective, que les faiseurs dymages ont autant modifié notre perception que les géographes, chaque grande ville est (re)visitée via ses peintres, l'auteur juxtaposant reproductions de tableaux anciens avec des photos des mêmes lieux prises aujourd'hui. Partie de Gand, cette promenade mi-poétique mi-historique, rend hommage aux œuvres de Jan van Eyck et de Petrus Christus, « Dans cette Flandre qui vivait de la fabrication et du commerce des teintures et des étoffes […], il n'était pas possible que l'œil des peintres ne fût pas sollicité sans cesse par toutes ces violentes, lourdes et pleines harmonies » remarque Élie Faure (p. 24.). Et l'auteur, de distiller par petites touches, toute la fascination et l'enchantement éprouvés en ces lieux. Sensualité de l'œil à Gand, puis quiétude poétique à Bruges, une ville presque hors du temps, célébrée notamment par la peinture des Primitifs, et celle du mystérieux Memling. Le contraste entre ces deux villes est également perceptible dans l'atmosphère – intime, presque secrète à Bruges, fière, et rebelle à Gand – qui se dégage de la photographie de François Goudier. On repense alors aux paroles de l'écrivain Marguerite Yourcenar, à sa « lente fougue flamande », dont l'écho se prolonge jusque dans l'architecture de la cité. Nouvel appareillage, cette fois-ci pour Anvers, avec ses « quais de l'Escaut que l'on arpente comme dans un rêve, celui du souvenir de tableaux flamboyants » (p. 51.). C'est la ville du grand Rubens, du commerce maritime, c'est aussi un pôle d'attraction pour les peintres: Dürer, Metsys et Bonnecroy et un écrin pour le Musée Royal inauguré en 1890. Écrin? Qui dit écrin, dit trésor, plaisir de l'œil partout sollicité, séduit et envoûté. Lumières du Nord certes, mais aussi ombres et variations infinies des tons sous les ciels immenses et délavés, ceux de la campagne d'Anvers, d'Amsterdam et d'Haarlem. Omniprésence de l'eau, sortilèges de la lumière, nulle part plus qu'à Amsterdam le sentiment de palimpseste visuel, un hors du temps de la peinture à la portée de tout regard attentif. Et l'on sent bien que l'attention est le maître mot de cette invitation au voyage et à l'introspection. Une mention spéciale à cet égard pour le chapitre consacré à Rembrandt, à son œuvre, tout entière tournée vers « l'expression de l'âme, la dramaturgie de l'intelligence et du mystère » (p. 105.). Impossible de résister à l'envie de revoir les tableaux du maître, certains au Rijksmuseum d'Amsterdam, de visiter sa maison-atelier entièrement restaurée. Difficile aussi de ne pas succomber au charme d'Haarlem – la ville de Frans Hals et de Pieter Saenredam – et à ses paysages tourmentés, ceux d'Hendrick Goltzius, de Salomon et Jacob van Ruisdael. Haarlem, tout comme Delft qui conclut cette promenade dans « Le pays où […] l'art transforme moins la nature qu'il ne l'absorbe par une espèce de sourde imprégnation » (Paul Claudel, p. 131.). Et une fois arrivé dans la ville de Vermeer, comment ne pas être saisi par ce sentiment de temps suspendu dans l'absolu de la peinture? C'est ici que, selon Paul Claudel encore, on trouve la plus belle lumière de Hollande, ici que les peintres Fabritius, de Hooch et Vermeer ont ouvert symboliquement l'espace et tendu à la lumière un miroir où se refléter. Voir donc, mais que voir? Je renvoie le lecteur à la fin de cet excellent ouvrage, où sont proposés une bibliographie sélective ainsi qu'un carnet d'adresses qui recense, ville par ville, les musées, ateliers de peintres, cafés et monuments incontournables. « De Bruges à Amsterdam, lumières du Nord », un livre à contempler autant qu'à méditer.