La case de l'oncle Tom
de Harriet Beecher Stowe

critiqué par Lolita, le 31 décembre 2001
(Bormes les mimosas - 38 ans)


La note:  étoiles
L'esclavage
En 1850, dans le Kentucky, l'esclavage existe, comme partout ailleurs, mais sous sa forme la plus douce dans la maison des Shelby. Car Mr Shelby est un brave homme et il fait tout pour le bien-être de ses serviteurs.
Mais ses affaires vont très mal et il a des dettes importantes qu'il ne peut rembourser. Il se voit contraint de vendre Tom, son plus fidèle esclave, à un marchand, ainsi que le petit Henry, le bébé d'Elisa au service de Mme Shelby. Mais Elisa se refuse à laisser son enfant et en pleine nuit elle s'échappe avec son petit Henry. Mais Tom, lui est vendu. Après de multiples voyages, il tente de vivre avec dignité avec l'espoir un jour de revoir ceux qu'il aime.
Mais le combat est long et rude et semé d'embûches. Une très belle histoire, que l'on peut lire à tout âge. Ce livre nous parle de l'esclavage et de ce que devaient endurer ces pauvres noirs, sous prétexte qu'ils étaient de race inférieure aux blancs. Une phrase dans le texte témoigne de cette cruauté :
"Elisa n'est pas à vendre, monsieur Haley, répondit sèchement Mr Shelby. Et Henry non plus, je ne veux pas séparer un enfant de sa mère.
-Bah! Un nègre bien dressé se fait à tout!"
Comme si les noirs ne pouvaient ressentir la souffrance et tous les autres sentiments qu'éprouvent un blanc.
C'est pour cela qu'Harriet a écrit un livre tel que celui-ci, pour comprendre et pour qu'une telle chose ne se reproduise plus jamais même si dans certains pays encore, l'esclavage n'est pas tout à fait abolie.
Petite précision : il faut savoir que l'auteur née en 1811 s'est engagée dans la lutte de l'esclavage aux Etats-Unis, notamment après la loi de 1850 qui lui a inspiré ce livre. Il a été d'ailleurs traduit en 32 langues.
Un extrait :
"- Ce n'est pas une excuse, je suis malheureuse aussi, moi! Je pense que j'ai dû subir des épreuves plus pénibles que les siennes. La misère des Noirs provient de leur méchanceté. Ainsi, mon père a eu un esclave qui essayait sans cesse de s'enfuir, on le fouettait, mais il recommençait. Un jour, il pouvait à peine marcher, et pourtant il s'est traîné jusqu'à la savane, et il y est mort. Il n'avait aucune raison d'agir ainsi, mon père traitait bien ses esclaves! Eva se mit à sangloter.
- Oh! Ma pauvre petite fille... Ne pleure pas! Nous ne devrions pas raconter d'histoires aussi tristes devant toi, dit Saint-Clare.
- Ces choses me vont droit au coeur. J'ai des idées sur tout cela, et peut-être que je te les dirai un jour.
- Pense, ma chérie, pense, mais ne pleure pas. Regarde la jolie pêche que j'ai cueillie pour toi!
Eva, souriant, prit la pêche, mais on voyait au coin de ses lèvres un petit frémissement de chagrin.
- Viens voir les poissons rouges, lui proposa-t-il en la prenant par la main.
On entendit bientôt dans la cour de joyeux éclats de rire. Eva et son père se poursuivaient dans les allées. Tom avait une petite chambre au-dessus des écuries. Très propre, elle contenait un lit, une chaise, et même une petite table en bois sur laquelle se trouvaient sa Bible et son livre de cantiques. George,le fils de M. Shelby, lui avait appris à lire et à écrire. Il avait donc décidé d'écrire, mais il avait oublié comment... "
Un Christ Noir 10 étoiles

En 1850 une Loi sur les Esclaves en Fuite ( Fugitive Slave Law ) est en effet passée. Il est désormais interdit, pour les habitants des États du Nord, d'abriter et d'aider en quoi que soit les esclaves en fuite venant des États du Sud. Pire : il leur est même recommandé de les dénoncer pour faciliter leur arrestation et leur renvoi a leur propriétaire.

Harriett Beecher Stowe, militante abolitionniste qui a elle-même abrite chez elle certains de ces fugitifs -elle a vécu dans l'Ohio- est écœurée par une telle loi. Comment un pays qui se dit "chrétien" peut-il supporter le système esclavagiste, lui donner un tel crédit ?!
Elle a sa petite idée : les politiciens qui passent de telles lois ne sont pas, au fond, mauvais; ils sont juste naïfs, ignorants, ils n'ont aucune idée de ce qu'est réellement l'esclavage.
Sa décision est donc prise : elle écrira un roman ou elle décrira ce qu'est un tel système. Elle mettra la Vérité a nue.

Pari réussi ?
Au-delà de toute espérance.

Ce qui est frappant dans "La case de l'oncle Tom" est de voir comment, en suivant divers personnages venant de divers horizons, elle arrive a nous donner une vision d'ensemble de l'esclavage aux États-Unis.

Des propriétaires esclavagistes du Sud et les différences qui les divisent ( a cause de leurs opinions ou de l'État ou ils vivent ), aux Noirs qui, soit se soumettent soit se révoltent et s'enfuient ( utilisant le "chemin de fer souterrain" ) en passant par les politiciens du Nord impliques dans le système même s'ils ne l'appliquent pas, même s'ils le condamnent, sans oublier les abolitionnistes ou encore LA querelle autour de ce que dit la Bible ( le Livre soutient-il l'esclavage ou le condamne-t-il ? Chacun tire la couverture a soit... ) : lire "La case de l'oncle Tom" c'est lire et comprendre tout un chapitre de l'histoire américaine.
Du grand art.

Oui, le roman est sentimental.
MAIS n'oublions pas a qui il est avant tout destine : les habitants du Nord. Harriett Beecher Stowe croit en la force des sentiments. En étant sentimentale, elle veut apitoyer, choquer, horrifier ses lecteurs... Bingo.
"La case de l'oncle Tom" sera un tel choc qu'il entrainera une prise de conscience qui déchirera le pays. La Guerre de Sécession n'est pas loin...

Oncle Tom est, comme Beecher Stowe, profondément chrétien et adopte une attitude Christique tout au long du livre... Sa Passion va en déchainer d'autres.

Interdit dans les États du Sud, divisant même les abolitionnistes ( certains Noirs même longtemps après l'abolition continueront de détester Tom ), on a la un livre qui a change une société.

Un incontournable.

Oburoni - Waltham Cross - 41 ans - 5 avril 2009


Old man river 8 étoiles

Pour réparer un oubli de jeunesse, je me suis lancé dans « La case de l’oncle Tom » ! Une certaine amie m’avait averti : « tu verras c’est un peu niais !» C’est vrai cette littérature est pathétique comme un livret d’opéra italien dont elle a la finesse et la subtilité. C’est « bouldume » comme on disait dans ma jeunesse ! Mais une lecture plus attentive permet de constater qu’Harriet Beecher-Stowe soulève aussi des problèmes plus profonds qui seront prétextes à de nombreux débats ultérieurs.
Ainsi, elle évoque le problème de l’âme des Noirs qui nous ramène à la célèbre « Dispute de Valladolid » et pose la question de leur éducation civile et religieuse qui est la clé de leur émancipation et de leur intégration. Ce thème nous renvoie évidemment à toutes les lectures sur la décolonisation.
En corollaire à cette dispute, elle nous adresse aussi un message sur la culpabilité des Blancs et sur la justification qu’ils donnent à leur attitude. « Tant que vos illustres parents en achèteront,…, je pourrai bien en vendre ! » Qui créé le marché ? Celui qui achète ou celui qui vend ? Mais les Blancs ne sont pas tous coupables, il y a, comme chez Marek Halter, des « justes ». Ce problème traité avec un réel manichéisme met déjà en évidence les oppositions très tranchées qui portent les ferments de la Guerre de Sécession.
Ce roman soulève aussi la question du rapport de l’esclave au maître et du maître à l’esclave qui se manifestent sous différentes formes. L’attachement au maître qui peut aller jusqu’à la dévotion quand celui-ci est bon. Mais quand il est mauvais, qu’il ne sait pas user de la carotte et qu’il utilise le bâton sans considération, la soumission, l’acceptation de la douleur, la fatalité peuvent conduire la brutalité à l’impuissance et même remettre en cause les fondements même des principes du « dressage ». Et, l’auteure n’hésite pas à mener son héros sur le sentier de la sainteté pour sauver tous les Noirs mais surtout les Blancs qui ont péché en infligeant le martyr.
L’ouvrage montre aussi que comme les empereurs romains et les sultans ottomans, les Blancs ont bien su utiliser les esclaves pour leurs qualités dans la gestion des plantations mais n’ont jamais accepté de reconnaître leur talent pour ne pas les considérer comme des égaux. Même une certaine forme de reconnaissance a souvent été plus le fait d’un paternalisme condescendant tout aussi dégradant que certains traitements plus virils.
Harriet Beecher-Stowe a ouvert des portes pour ceux qui voulaient en finir avec ce problème déshonorant et pour ceux qui voulaient témoigner à travers la littérature comme Ernest J Gaines, Edwidge Danticat, Caryl Philip et d’autres ou se lamenter sur la misère des Noirs dans les vieux blues. Et on croirait, en lisant ce livre, entendre Ray Charles chanter « Old man River » à la mémoire du vieux Tom décédé sur les bords de la Red River Valley.

Débézed - Besançon - 76 ans - 1 mai 2008