L'Ève future
de Auguste de Villiers de L'Isle-Adam

critiqué par Débézed, le 22 août 2009
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
L'Andréide
Je n’aurai pas la prétention de vous expliquer comment cette Eve future, cette « Andréide », a été conçue et fabriquée mais, je peux essayer de vous raconter comment Villiers a imaginé cet être futur et les motivations qui semblaient l’animer à cette époque.

Pour mener à bien son projet, Villiers confie à Thomas Edison, le génial inventeur, la mission de construire une femme artificielle possédant tous les avantages de la féminité mais aucun de ses défauts, « enfin, cette éblouissante sera non plus une femme, mais un ange ; non plus une maîtresse, mais une amante ; non plus la Réalité, mais l’Idéal. »

Cette femme future, l’ « Andréide » comme Villiers la dénomme, est conçue par Edison pour proposer une alternative à son bienfaiteur qui veut se suicider parce qu’il est fou amoureux d’une très belle femme, mais hélas très sotte aussi, qui ne peut décemment pas partager la vie d’un gentilhomme anglais. Edison lui propose donc de prendre pour compagne une femme artificielle qui aurait toutes les grâces de sa maîtresse mais l’intelligence et la culture qu’il voudrait qu’elle possède pour bien figurer dans le monde qu’il fréquente.

Après un long exposé au cours duquel Edison explique comment il va résoudre tous les problèmes techniques que posent cette création et tous les avantages que représentent la vie avec un être artificiel, l’ami se trouve devant un cruel dilemme : accepter l’authentique, le vrai, le réel avec ses inconvénients ou se satisfaire des apparences les plus convaincantes de la réalité, de l’illusion de l’être vivant.

Une grande partie du discours tourne autour de ce débat entre la préférence de l’être ou de l’apparence de l’être. Et, l’ « Andréide » propose, elle-même, « à toi de choisir entre moi… et l’ancienne raison, qui, tous les jours, te ment, t’abuse, te désespère, te trahit. » Et « comme une femme, je ne serai pour toi que ce que tu me croiras. » L’argumentaire, n’est pas très sympathique pour la gent féminine qui doit se contenter de satisfaire l’amant, d’être belle et attentive et de répondre aux attentes du maître sans jamais le ridiculiser. Et, pour ce faire, autant prendre un robot que la science sait maintenant réaliser pour le plus grand bien des hommes.

A travers ce texte, bien touffu, très daté, où il est difficile de se mouvoir tant la formulation est ampoulée et emphatique, et, où je me suis souvent égaré, il est intéressant d’essayer de chausser les bottes de l’historiographe pour constater comment, à travers un roman d’anticipation, on concevait le monde d’aujourd’hui il y a plus de cent ans. Il est étonnant de constater que les hypothèses avancées par Villiers sont souvent dignes de Tintin mais parfois aussi très pertinentes et pourraient, même, servir à nos savants actuels cherchant des solutions pour concevoir l’androïde, le robot, qui fera le travail des hommes.

La vision prospective de Villiers semble sous-tendue par une foi indéfectible en la science. Edison est l’équivalent d’un dieu car il a créé l’apparence de l’homme, de la femme en fait, qui est supérieur à l’homme lui-même, la femme en fait, car « sans l’illusion, tout périt. On ne l’évite pas. L’illusion, c’est la lumière ! » Et, Edison c’est Dieu ! Et, l’homme n’a plus besoin de la religion puisqu’il a la science qui résout tous les problèmes qu’il rencontre.

Bon, ce livre n’est pas la Bible des scientistes, ce n’est qu’un feuilleton paru dans un journal, ce qui explique certaines longueurs, et certains artifices pour retenir le lecteur et ainsi faire vendre le journal. Ce n’est pas non plus un texte d’une grande limpidité, surtout quand l’auteur s’aventure dans les explications techniques que « l’Electricien », comme il nomme Edison, fournit à son ami. Alors courage à ceux qui voudraient faire de la science fiction a posteriori en remontant le temps que Villiers a essayé d’anticiper.
Précurseur mais ennuyeux. 2 étoiles

De "L'Ève future", on peut retenir son sujet passionnant et précurseur dans l'histoire de la science-fiction, ou bien... tout le reste : une écriture lourde et incroyablement pompeuse, la misogynie crasse du récit, ou encore une intrigue sans surprise. Évidemment, vous vous doutez bien que j'ai choisi la deuxième option...

Sotelo - Sèvres - 41 ans - 4 janvier 2024


Un potentiel... 7 étoiles

Je trouve que ce livre avait un grand potentiel, et je ne peux pas dire que l'écriture soit sans charme, mais elle est pompeuse et sans économie de mots.
Villiers est effectivement symboliste, ça se sent dans les répliques que donne l'Andréide au protagoniste, qui parfois, tâtonnent vers le sublime sans l'atteindre.
Je regrette que les descriptions techniques aient été si longues et que Villiers soit incapable de nous surprendre (on voit vraiment venir les retournements).

Villiers a un style très mûr, poétique mais avec un air de poésie théâtrale. Plutôt que d'écrire du feuilleton d'anticipation - précurseur ou pas - j'aurais préféré Villiers à plus petites doses. On me conseillera les Contes Cruels, mais quelque chose de moins absurde... de plus accessible. Le conte intitulé "Vera" donne cependant un très bel aperçu d'une formidable potentiel que je crois, il n'a pu totalement accomplir, à moins que certaines de ses oeuvres tardives me fassent penser un jour le contraire.
Dans l'Eve future, on sent toute la puissance de la langue et tout le raffinement qui fut mieux exploité dans le manoir de Fontenay-aux-Roses, par le maître Joris-Karl Huysmans, qui a peut-être de la parenté littéraire avec Villiers et qui publia A rebours deux ans avant lui.

Une belle écriture, excessive mais qui a ravivé mon amour de ma langue maternelle.

Misogyne, Villiers ? Oui, curieusement, j'ai eu aussi cette impression, mais elle est due principalement à l'absence de femme charismatique dans le livre, et l'incapacité du personnage à sortir de son égoïsme masculin. Qu'une amoureuse soit belle et sotte, c'est quelque chose qui peut arriver. Mais il est un peu gênant de mettre un personnage dans une case aussi étroite. Balzac, par exemple, aurait trouvé un moyen de nous toucher avec cette jeune personne ; car bêtes ou fins nous sommes tous écrasés par la condition humaine. Edison se permet quelques répliques mordantes sur la femme séductrice et venimeuse... chacun en pensera ce qu'il voudra.

Martin1 - Chavagnes-en-Paillers (Vendée) - - ans - 3 mars 2023


Un roman de SF précurseur et teinté d'ironie 7 étoiles

"L'Eve future" raconte comment Thomas Edison, savant américain dont l’imagination et l’intelligence prodigieuses ont permis l’invention de multiples procédés, conçoit un andréide pour combler le rêve d'amour déçu de son bienfaiteur (Lord Ewald) épris d'une femme merveilleusement belle (Alicia Clary) mais médiocre et superficielle. L'andréide, nommé Hadaly, épouse si bien l'apparence et l'attitude d'Alicia Clary, sans manifester sa vacuité d'esprit, que Lord Ewald succombe à son charme. En fait, l'andréide a été animé par un esprit fluidique, dont Edison révèle la présence par des passes hypnotiques. Hélas, tout finit mal avec un naufrage en mer où périssent Alicia Clary et l'andréide, qui voyageait dans une caisse...

Ce roman de science-fiction, où l’auteur consacre de très longs passages à la description détaillée des composants et des mécanismes électro-mécaniques de son andréide, est une réflexion désabusée mais non dépourvue d’humour sur le matérialisme forcené du XIXème siècle et sur l'Amour. Grâce à un style littéraire recherché et parfois plein de mordante ironie, Villiers de l'Isle-Adam évite de se montrer trop pesamment didactique (même si la description des l'andréide est parfois exagérément minutieuse) et suscite souvent le sourire (ex : Edison s'imaginant caché dans les buissons pour photographier Dieu, Moise gravant sur phonographe les tables de la Loi, etc.). Pourtant, le roman (dédié 'aux rêveurs' et 'aux railleurs') est souvent grave et évoque, via l'exemple d'Ewald, le désespoir d'esprits trop élevés pour subir sans souffrir d'être englués dans la médiocrité mercantile du siècle... Dans leurs réflexions, Edison et Ewald se révèlent élitistes et misogynes (les femmes, réparties entre les saintes innocentes et les médiocres perverties par l'esprit, n'étant appréciées que pour leur capacité à susciter l'émotion des hommes) mais leurs sentiments semblent refléter l'esprit de l'auteur, qui précise même que l’intelligence est une qualité masculine et constitue chez la femme un défaut qui gâche toutes les qualités purement féminines.
La fin du roman, un peu confuse (et s'opposant au principe de l'artifice comme Idéal puisqu'il faut un principe éthéré pour réellement donner vie à Hadaly) s’ouvre sur le fantastique avec l’apparition du spiritisme. Par ailleurs, de nombreuses scènes semblent avoir inspiré des auteurs (le voyage en cercueil d'Hadaly et sa disparition dans un naufrage au large de l'Angleterre évoque "Dracula" qui a été écrit après "L'Eve future"; l'amour recherché dans l'incarnation d'un esprit disparu évoque "La rive incertaine" de William Sloane) mais le parallèle le plus évident est à établir avec "Frankenstein", où Edison tient le rôle du démiurge créateur, que Villiers de l'Isle-Adam ne semble ni mépriser ni condamner. Il est aussi à noter que "Villa Vortex" de Maurice G.Dantec multiplie les références à "L'Eve future", en considérant (pour moi à tort) que le personnage d'Edison y symbolise le précurseur de la réification des rapports humains et des perversions qu'elle engendre...

Eric Eliès - - 49 ans - 6 janvier 2012