Tropique du Capricorne
de Henry Miller

critiqué par Oburoni, le 14 août 2009
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Découvrir Henry Miller
Après "Tropique du Cancer" et "Printemps noir" Miller poursuit ses confessions dans "Tropique du Capricorne", sans doute le livre le plus crucial de la trilogie. Crucial parce que, peu à peu, il nous montre comment il a découvert sa vocation d'écrivain.

Le style a beau être plus posé, plus mélancolique, émouvant dans certains passages -surtout quand perce la nostalgie de l'enfance- "Tropique du Capricorne" reste du pur Miller : un coeur qui bat violemment, une tornade qui vous surprend et vous envoie valdinguer au-dessus du chaos. Vertigineux !

Faut-il rire ou pleurer ? Rêve ou cauchemar éveillé ? Réalité ou fantasme ? On ne sait pas, Miller lui-même n'en sait rien et on s'en contrefout royalement ! Ce bouquin est un monstre à la fois informe et multiforme ! Un monstre qui dénonce une société monstrueuse. Car c'est bien de cela dont il s'agit : une immense dénonciation. Un crachat à la face d'un système : le capitalisme américain. Miller se veut marginal de ce qui, à ses yeux, remplace les hommes par des numéros, déshumanise, engendre misère et injustice. Mais attention ! Pas de niaiseries. Miller est loin d'être un chevalier blanc ! C'est un sale type, il le sait et il ne nous le cache pas : il pompe le fric de ses "amis", n'a aucune compassion pour personne, manipule, ment, escroque, trompe sa femme... On n'a aucune sympathie pour lui ! Tout est déballé sans la moindre once de gêne. Pas d'hypocrisie. D'ailleurs toute l'oeuvre de Miller est un bras d'honneur à l'hypocrisie ! Et quoi de plus hypocrite que la société américaine, avec sa moralité ronflante, par exemple pour ce qui est du sexe ?

C'est là un autre trait de Miller -mais il ne faudrait surtout pas le réduire à cela !- : son obsession du sexe. On lui a, a ce propos, souvent reproché son langage trop cru. Interdits aux Etats-Unis dès leur parution pour "pornographie", ses livres n'y seront d'ailleurs autorisés qu'en 1961-62, soit plus de vingt ans après leur publication en Europe... Mais c'est parce que tout est libre dans le sexe ! L'acte, son souvenir, les fantasmes qui l'accompagnent, sa description romancée etc... et, encore une fois, la liberté est un concept cher a Miller.

Livre obsédé, surréaliste -"dadaïste", d'après les aveux même de l'auteur-, écrit par un homme qui se voulait libre dans une société robotisée et à la morale étouffante, "Tropique du Capricorne" est, à mes yeux, le meilleur tome de la trilogie. Une excellente porte pour découvrir son univers.
Penser différemment 9 étoiles

Mon premier Henry Miller.
Je ne pouvais apparemment être plus fidèle au dadaïsme qu'en commençant par la fin d'une trilogie: avant même le début de ma lecture j'étais donc inconsciemment illogique et ne respectant aucun code de lecture, à proprement parler.

Après cette petite découverte inattendue, j'ai enfin commencé son livre, et quel plaisir: dès les premières pages on est conquis par son style sans fioriture et à contre-courant. Sur ce point, l'aspect rebelle du comportement de Miller, on n'est nullement gêné par ses remarques objectivement anti-sociales. Miller écrit tellement purement qu'on ne pense pas une seconde à une supercherie bourgeoise et autre: on devient intimement convaincu que sa rébellion est vraie et en aucune façon préparée pour susciter l'indignation ou la réaction de quelques puritains.
Une très bonne prose donc, des réflexions profondes sur le mode vie américain et un je m'en foutisme assumé: on passe un bon moment en lisant ce livre.

Reste l'accès à l'œuvre intrinsèque: très difficile car totalement différent des autres ouvrages qui nous sont donnés à lire, ce livre qui se réclame du dadaïsme enchaîne les pages sans aucune relation avec les précédentes, des réflexions hasardeuses mais également de pures pages de poésie en prose pour notre plus grand bonheur.

Au bout de 400 pages j'avoue que la logique habituellement utilisée dans la construction du roman me manquait un peu mais avec du recul je ne regrette pas cette lecture. Elle ouvre clairement sur un tout autre univers, une autre vision de notre société qui 70 ans après n'a malheureusement guère changé.
Une bouffée d'air frais en cette saison plutôt morose donc, qui allie poésie et témoignage désabusé d'une époque (révolue?).

Rafiki - Paris - 33 ans - 3 février 2012