Le Grand Trianon : Un palais privé à l'ombre de Versailles, de Louis XIV à Napoléon et de Louis-Philippe au général de Gaulle
de Jérémie Benoît

critiqué par Jlc, le 7 août 2009
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Mémoires d’un lieu de plaisir
On perçoit parfois le Grand Trianon comme un château écarté à l’ombre de la gloire royale de Versailles et oublié dans l’engouement dont bénéficie le Petit Trianon depuis le médiatique retour en grâce de Marie-Antoinette. Jérémie Benoît, qui en est le conservateur en chef, démontre que ce palais est tout à fait exceptionnel et il nous en retrace l’histoire à la recherche de son esprit, si ce n’est de son âme.
Trianon fut un château de campagne, initialement conçu par Louis XIV, tout à la construction de Versailles, pour y « passer quelques heures du jour pendant le chaud de l’été » et aussi y abriter ses amours avec Madame de Montespan. Ainsi dès l’origine Trianon est voué à l’amour, au plaisir, aux fleurs, aux fêtes et aux femmes qui vont être l’âme de cette demeure. Le premier Trianon est tout de faïence et porcelaine blanches et bleues. L’auteur nous en décrit la construction, la décoration, la vie et ce avec la précision du conservateur. Mais le froid, la pluie ont raison de la trop fragile porcelaine, d’autant que le roi a d’autres amours rendant difficile le maintien dans des lieux où l’ombre de l’autre fait ombrage à la nouvelle. On détruit en 1687 et on imagine un nouveau bâtiment en marbre rose. Jérémie Benoît est à son meilleur quand, avec la passion de l’érudit et l’émotion d’un amoureux (il aime trop le Grand Trianon pour ne pas laisser transparaître son plaisir quand il en décrit les fêtes et sa tristesse quand il le voit négligé), il explique le choix des marbres et boiseries, jardins et mobilier, quand, puisant chez les meilleurs auteurs de l’époque il précise les choix et leurs raisons et vibre à la vie de Trianon, plus joyeuse car moins protocolaire que la vie de la cour à Versailles. Le Trianon accueille aussi des hôtes illustres comme la délégation du Siam qui fit tant impression quand le roi la reçut en France ou le tsar Pierre le Grand qui y mena joyeuse vie en 1717 au point, selon un témoin, « qu’on fut obligé de consulter les disciples d’Hippocrate qui se transportèrent en diligence à Trianon, ce lieu délicieux et plein de charme où Cupidon a tant de fois triomphé et où il venait encore de terrasser un des plus grands princes ». Qu’en termes courtois ces choses là sont dites !
Louis XV viendra tard à Trianon après l’avoir donné à sa femme pour mener plus commodément une vie ardente ailleurs avant de se raviser et de récupérer le palais rose pour lui rendre sa vocation amoureuse et féminine.
Après lui, le Grand Trianon n’aura plus la même aura, Marie-Antoinette préférant le hameau, Napoléon y passant trop vite pour y laisser Marie-Louise, même s’il y fit faire des aménagements importants, Louis-Philippe y installant sa nombreuse famille tout en préférant le château d’Eu. Trianon renaîtra avec la volonté du Général de Gaulle d’en faire une résidence officielle où, après des travaux remarquables, il accueillait les invités de la France. Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand firent de même et le dernier reçu fut Boris Eltsine en 1992.
Ce livre est un très bel objet, loin des guides et catalogues. Remarquablement imprimé, magnifiquement illustré, tiré à seulement 1500 exemplaires, son prix est élevé. Néanmoins il est important de soutenir des « petits » éditeurs qui tant en littérature qu’en art prennent des risques. Il faut espérer que cet ouvrage se trouvera dans les meilleures bibliothèques car il serait dommage que son prix prive de sa lecture et de sa vision bien des personnes intéressées.
Enfin ce livre se referme sur une curiosité : une postface de Valéry Giscard d’Estaing qui, par delà le personnage officiel et un peu guindé évoque son bonheur de Trianon. Ce bonheur que ce livre nous invite à partager autrement avant d’aller flâner dans ses pièces et ses jardins.