C’est une saga, l’histoire d’une famille juive en Suisse , les Meijer, entre 1871 et 1945. 1871, défaite française contre l’Allemagne et trois ans avant l’émancipation des Juifs suisses, qui vivaient avant cantonnés dans deux bourgades, dont celle d’Edingen comme le patriarche de cette longue histoire, Salomon Meijer, marchand de bestiaux, père de deux filles, dont l’une est adoptée.
Cette possibilité qui leur est donnée d’aller s’installer où ils le veulent, va conduire cette famille à diversifier leurs activités autant qu’ils le peuvent , car, bien sûr, et c’est un des grands aspects de ce roman que de nous le faire toucher du doigt en permanence à chaque époque, il persiste toujours l’antisémitisme ordinaire, celui des détails de la vie courante. C’est ainsi que le deuxième chapitre , qui se situe en 1893, relate l’année où est interdit l’abattage traditionnel juif . De même, acheter un terrain pour agrandir un magasin n’est pas accessible à quelqu'un de confession juive, et même la conversion au protestantisme d’un des fils ne changera pas la donne. En fait , en dépit de toutes leurs tentatives d’assimilation, leur identité leur revient toujours en pleine figure .
Et c’est là qu’intervient régulièrement le personnage central de ce roman, l’oncle Melnitz, celui qui revient toujours pour leur faire comprendre que rien n’a changé , le témoin de l’Histoire.
Son nom même renvoie à un épisode atroce ( un parmi..) de l’histoire des Juifs, en 1648 (5048 dans le calendrier juif) dans un pays qui ne s’appelait pas encore l’Ukraine, les massacres par Bogdan Chmjelniskie et ses Cosaques de presque toute la communauté juive.
Ne survécurent que les femmes les plus belles, violées et portant des enfants de ces Cosaques, enfants qui reçurent le surnom de Chmjelniski.
Celui qui ne permet pas d'oublier constate : Dieu nous a punis de nos péchés, nous autres Juifs, en nous affligeant d'une bonne mémoire. Lorsque quelqu'un nous a fait quelque chose de par trop terrible, nous disons : ´Que son nom soit effacé.` Et nous nous en souvenons pour l'éternité.
C’est lui qui termine ce roman, en 1945, lourd des mémoires de tous les juifs disparus , dont une partie de la famille Meijer, ceux qui hélas n’avaient pas quitté l’Allemagne assez tôt, et qui continue à parler à ceux qui ont eu la chance de vivre en Suisse. Car même si Charles Lewinsky décrit bien la séduction exercée par les thèses nazies en Suisse dans les années 1930, la communauté juive en Suisse n’a pas été dévastée par la Shoah .
Il s’asseyait en face d’eux quand, au petit déjeuner ils lisaient leur journal et quand ce qu’ils y apprenaient les épouvantait et qu’ils disaient: « Nous ne savions pas ». Et ils le disaient chaque jour d’une épouvante renouvelée. Quand ils ne lisaient pas jusqu’au bout et ne voulaient plus rien savoir, parce qu’ils ne supportaient pas de savoir, alors, d’un geste réconfortant, il leur tapotait la main et disait: « Vous auriez dû me demander. Il vous suffisait de m’interroger. »
Bon roman historique, très documenté, qui se lit d'une traite.
Paofaia - Moorea - - ans - 8 novembre 2013 |