La pataugeoire : contenir et transformer les processus autistiques
de Anne-Marie Latour, Stéphane Pinchon

critiqué par Maya11367, le 26 juillet 2009
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Atelier-pataugeoire – décryptage
A force d’entendre parler d’atelier-pataugeoire pour les enfants autistes sans savoir réellement de quoi il s’agissait, j’ai eu envie d’en savoir plus et de me plonger dans le livre d’Anne-Marie Latour : « La pataugeoire : contenir et transformer les processus autistiques » (Collection « La vie de l’enfant », Editions Eres, 2007).


1. Préface, prologue et genèse

Le livre est préfacé du célèbre Pr D. On y apprend comment il a formé les équipes du Pr L. au packing tandis que le Pr L. lui rendait la pareille pour la pataugeoire. Mais surtout, le Pr D. exprime sa grande déception que le célèbre Pr L., inventeur (que dis-je : « découvreur ») de la pataugeoire (et aussi de l’atelier-contes) n’ait pas écrit lui-même ce livre. Il se résigne à ce que cette mission ait été remplie par une simple « scribe » (sic !), psychomotricienne de son état. Tant de condescendance de la part du mandarin me rend immédiatement l’auteur éminemment sympathique ! On s’aperçoit au passage que les pratiques des hôpitaux de jour (atelier-contes, pataugeoire, packing) ont donc été inventées par une poignée de professeurs au charisme et à l’aura remarquables.

Le Pr D. nous recommande vivement la lecture de l’ouvrage et indique qu’il est « sûr que c’est tout le public des lecteurs intéressés par l’autisme et la psychose qui pourra en profiter largement ». Je m’en réjouis … puis je constate quelques lignes plus loin que le seul public intéressé par l’autisme est, dans son esprit, celui des « soignants ». Parents, passez votre chemin ! … Eh bien non ! Il m’en faudrait plus pour me dissuader de ma lecture.

S’ensuit un prologue du Pr L. qui nous explique la genèse de la pataugeoire (p.11) :
« L’étrange population des autistes, surtout, n’avait aucune envie de communiquer avec nous. A la Pomme Bleue, dans le grand jardin sablonneux de cet hôpital de jour à Bordeaux, après la pluie, ils étaient attirés par les flaques, y sautaient, s’y miraient et y pratiquaient de fascinantes stéréotypies sur les bordures et les éclats de lumière.
Cela m’a donné l’idée d’inventer une flaque thérapeutique à l’intérieur des bâtiments. »
Je ne commenterai pas l’absence d’envie des autistes de communiquer …
Je m’arrête juste sur l’affirmation que tous les autistes ont des stéréotypies avec les flaques d’eau. Ça me semble à peu près aussi incongru que de dire que tous les autistes sont attirés par les objets qui tournent ou les tracteurs et j’attends avec impatience les ateliers-toupies et les ateliers-tracteurs ! 

2. La pataugeoire, c’est quoi ?

Pour résumer, c’est une pièce carrelée et sombre (une seule fenêtre opaque) avec un espace-sec (pour les « soignants ») et un espace-eau où le sol a un « dénivelé prévu pour que se forme une flaque lorsque l’eau est gardée », avec un tuyau d’arrosage, un miroir au mur, des rideaux que l’on peut fermer pour délimiter les deux espaces.

Ce n’est pas un bassin ou une piscine car il n’est pas question que les enfants s’immergent, les piscines ayant tendance à effrayer certains enfants et à donner trop de plaisir à d’autres, toutes choses également à éviter dans une démarche de soin, selon l’auteur.

On y met à disposition de l’enfant des jouets, tous prévus pour avoir une grande valeur symbolique : récipients, éponge, baignoire de bébé, poupons, etc … Je m’arrêterai sur l’un des jouets : « une famille de personnages très stylisés » (p.23) :
«  Le choix d’une famille de personnages stylisés (une tête et un corps monolithique) découle du constat que l’enfant autiste, quand il commence à s’intéresser à l’humain, choisit de le faire avec ce type de jouet plutôt qu’avec des poupées, à la fois parce que la forme est simple (une sphère et un cylindre), la consistance uniformément dure et le visage (un pas de plus vers la figuration de l’humain) peu marqué. L’enfant peut mettre au travail un intérêt pour l’autre, pour l’humain, s’y projeter d’une manière moins impliquante et donc plus tolérable ».

Voici un bel exemple de ces affirmations sans fondement, chères aux psychanalystes, qui n’ont aucune difficulté à généraliser des observations faites sur quelques enfants et à inventer des interprétations pour y fonder leurs théories.

3. La pataugeoire, c’est pour qui ?

Puisque tout enfant autiste a des stéréotypies liées à l’eau, « l’indication de pataugeoire est portée systématiquement si l’enfant est profondément autiste quel que soit son âge, et s’il est très jeune également (moins de 6 ans) même s’il est moins gravement perturbé » (p.153).

Ainsi la pataugeoire fait partie du « traitement de base » aux côtés notamment de l’atelier-contes. L’auteur nous indique que les autres indications (telles que l’orthophonie ou la psychomotricité) « sont affinées suivant la connaissance que nous acquérons de l’enfant ». C’est vrai que, sachant que tout autiste a des troubles du langage et de la communication ainsi que des troubles psychomoteurs, il faut y réfléchir à deux fois avant de proposer de l’orthophonie et de la psychomotricité !


4. L’enfant y vient pourquoi ?

Il y vient pour «  travailler avec l’eau » (p.27). En effet, l’eau, c’est super, ça permet de travailler sur plein de concepts psychanalytiques.

L’enfant peut ainsi travailler son enveloppe et les clivages. En effet, selon le psychanalyste, l’enfant autiste n’a pas bien compris qu’il avait une enveloppe, que celle-ci peut le « contenir » et qu’il a très peur de se répandre par tous ses orifices. Il ne sait pas non plus qu’il a un devant et un derrière, un haut et un bas. De tout cela résulte des « angoisses de chute (portage non intériorisé), d’éclatement ou d’effraction […], de vidage ou d’intrusion, par les orifices (absence de sphincter), notamment » (p. 106)

Ainsi à la pataugeoire, on s’extasiera de voir Eric lancer des balles qui roulent vers le trou d’évacuation car « il est peut-être en train de raconter quelque chose d’une préoccupation par rapport à ses fesses (notamment leur rassemblement ) et de son anus ». Le rôle du « soignant » est alors d’accompagner l’enfant dans sa maturation psychique par un commentaire approprié, en l’occurrence : « comment ça tient ensemble ? Peut-être qu’Eric n’est pas bien sûr que ça tienne bien au milieu derrière » (p.100).

Bien sûr, on explique à l’enfant ce qu’il vient faire à la pataugeoire : « une formulation simple doit être donnée à l’enfant lorsque l’indication du travail à la pataugeoire a été portée. » . Ainsi, on lui dira : « nous venons à la pataugeoire pour essayer d’être ensemble, pour travailler avec l’eau et pour s’occuper du corps » (p.46) On peut donner quelques précisions additionnelles si besoin : « par exemple, pour un enfant très autiste, il peut être plus signifiant de lui dire “s’occuper de ce qui tient, de ce qui ne tient pas dans le corps”  ou encore “ comment ça tient ”. Et là, je me sens plus autiste que cet enfant très autiste car c’est loin d’être « signifiant » pour moi !

Il existe un certain nombre de règles dans la pataugeoire telles que « il faut se déshabiller », « on peut mettre un maillot de bain », « on ferme la porte » (à clé apparemment, apprend-on plus loin). Mais « il n’est pas nécessaire de formuler ces règles à tous les enfants et elles peuvent rester implicites » (p.27) car il est bien connu que les autistes ont un accès extrêmement facile à l’implicite !

On est avec qui dans la pataugeoire ? Qu’est-ce qu’on y fait … et qu’est-ce qu’on n’y fait pas ?

L’auteur indique qu’idéalement il faut trois personnes pour un enfant : un couple de « soignants » et un observateur qui ne fera que noter ce qu’il voit dans un cahier, sans intervenir. En effet, indique l’auteur, le Pr Pierre L. « nous rappelait régulièrement que les productions des enfants étaient polysémiques, et nous ne sommes finalement jamais trop nombreux à réfléchir à propos d’un enfant ». (p.53)

Et en effet, on se contente surtout de réfléchir. Car il est important de respecter les « productions » de l’enfant et de n’intervenir qu’un minimum, souvent simplement par de courts commentaires abscons. Ces commentaires se font souvent à la 3ème personne (« on », «  il », « ça »), ce qui permet (dit l’auteur) de « commenter les expériences de manière tolérable pour l’enfant » (p.144)… mais ne permet à coup sûr nullement de lui donner les clés pour comprendre les pronoms alors que la confusion pronominale est fréquente chez les autistes (confusion « je » / « tu »).

Ainsi, l’auteur se souvient « avoir contemplé, avec [ses] collègues et Tommy, pendant de longs moments (6ème, 7ème et 8ème séance) l’infime mouvement d’une baignoire flottant à la surface de la flaque » (p.31). Les « soignants » se contentaient de faire des commentaires sur le mouvement et l’arrêt de la baignoire voire de relancer le mouvement de temps en temps. Finalement, ils trouvaient que « ces séances étaient mornes et déprimantes » (p.55). Pourtant, il serait contraire aux principes psychanalytiques de proposer à l’enfant de nouvelles activités et de tenter de les lui faire apprécier pour le distraire de ses activités stéréotypées. Les « soignants », eux, interprètent ce jeu avec la baignoire : Tommy veut leur communiquer ses impressions de non-vie, de mort. Ils commentent : « c’est comme si tout était mort ou presque » (p.55). Et lorsque l’enfant dit « je suis mort » lors d’une séance ultérieure, ils voient là la preuve de leur théorie. Or les autistes apprennent le vocabulaire de manière contextuelle et ces « soignants » ne se rendent absolument pas compte qu’ils ont simplement appris à cet enfant que l’adjectif « mort » était adapté au contexte … Si on ajoute que les « soignants » n’ont même pas jugé bon d’expliquer qu’il s’agissait d’un sens figuré, on imagine la confusion de sens qui a dû en résulter pour l’enfant.

Certains constats sont très justes. Ainsi l’auteur décrit un enfant qui ne fait rien dans la pataugeoire que fixer un point ou l’autre, écoutant peut-être le bruit de l’eau et précise : « seule compte à ce moment-là une sensation qui peut être difficile à repérer de l’extérieur car elle peut tout aussi bien concerner un événement proprioceptif qu’un stimulus externe. Cela peut permettre de comprendre certains états de fixité durant lesquels l’enfant est probablement stimulé par sa sensorialité » (p. 66) Et là, j’applaudis : effectivement, l’enfant autiste a tendance à porter son attention sur des détails qui ne nous sembleraient pas importants.

Un autre aspect intéressant est la verbalisation des émotions de l’enfant et de celles des « soignants » : « qualifier les états émotionnels (et parfois seulement l’ambiance émotionnelle) permet d’affecter les situations, les expériences » (p. 142). Je n’emploierais pas les mêmes mots mais je reconnais la valeur qu’il peut y avoir pour l’enfant autiste à l’aider à identifier ses propres émotions et celles des autres … si tant est que l’on ne se trompe pas dans l’identification de l’émotion de l’enfant.

Mais pourquoi en rester là ? Il est pourtant important de montrer à l’enfant autiste quels sont les détails discriminants sur lesquels il doit fixer son attention (la voix humaine, le visage) et de lui donner accès à d’autres stimulations que ses stéréotypies en lui faisant découvrir et apprécier de nouveaux jeux. Mais, de cela, il n’est pas question en pataugeoire ni, plus généralement, avec des psychanalystes : « avec un enfant autiste, nous avons de bonnes raisons de lui proposer de nouvelles expériences, mais il convient de le faire à un rythme supportable pour lui afin qu’il puisse peu à peu les intégrer dans ces représentations » (p. 151). Et le rythme est particulièrement lent … Les enfants ne s’y trompent pas comme Lisa qui commente l’attitude d’un « soignant » : « il dort tout le temps, il est toujours en train de regarder ailleurs » (p. 149)

Trois personnes dans la pataugeoire pour un enfant et si peu d’interaction, si peu de stimulation ! On comprend mieux au passage le coût prohibitif de l’hôpital de jour.

5. Du pipi et du caca dans la pataugeoire

Ce n’est pas moi qui le dis mais l’auteur : « les histoires de pipi et de caca, à la pataugeoire, sont si fréquentes, parfois si envahissantes, qu’il est nécessaire de s’y arrêter un moment ». (p. 110)

On y apprend que les créateurs de la pataugeoire ont longuement hésité à prévoir un pot. Même si les toilettes étaient assez éloignées, dans un autre bâtiment, et qu’il était donc difficile d’y accompagner les enfants en cas d’envie subite, le pot a longtemps été écarté. Puis, l’auteur nous explique : « nos principes éducatifs l’avaient emporté : on ne fait pas pipi n’importe où, on fait aux toilettes, point final. Or je crois me souvenir que c’est parce qu’une petite fille avait particulièrement “ emmerdé” l’un d’entre nous plusieurs séances de suite, et d’une manière qui ne résolvait pas […], que nous nous sommes, en groupe, mis à réfléchir à cette question : “  qu’est-ce qu’on fait du pipi et du caca à la pataugeoire ? ” ». C’est à ce moment qu’ils décident d’amener un pot à la pataugeoire. Bien sûr cette décision n’a pas été prise sans une certaine culpabilité à l’égard du maître : « Même si Pierre Lafforgue nous exhortait régulièrement à “ accueillir, pour les traiter, les productions de l’enfant ”, nous persistions, bien involontairement (bien inconsciemment) à ne pas considérer ces productions-là comme un matériel de travail valable à la pataugeoire ». (p.24)

Heureusement, les équipes soignantes ont pu se consoler car ceci n’a pas complètement empêché les accidents-pipi ou caca dans la pataugeoire. Certains enfants propres se remettent même à faire pipi ou caca sur eux en dehors des séances de pataugeoire. Selon les soignants, cela n’est pas dû à leur laxisme (qui les conduit à accepter que les enfants fassent pipi ou caca n’importe où à la pataugeoire) mais au fait que l’enfant n’avait en réalité pas une bonne conscience de ses sphincters et « parce que se travaille et se retravaille cette question à un niveau plus profond». « Phénomène généralement transitoire dont il est important que les soignants qui s’occupent de l’enfant au quotidien (ainsi que sa famille) sachent (pour mieux le tolérer) qu’il s’agit d'une “régression ” temporaire . » (p. 121) Les psychanalystes ont toujours des explications magnifiques pour expliquer pourquoi et avec quelle légitimité, ils bousillent (pardonnez-moi l’expression) le travail d’éducation des parents.

6. Sexe et pataugeoire

Les psychanalystes sont d’ordinaire aussi obnubilés par le sexe que par le pipi-caca. Cependant, la pataugeoire semble à première vue échapper à cette dimension. La « pulsionnalité génitale » est décrite comme une limite à la technique de la pataugeoire : « la masturbation, l’exhibition et les comportements sexualisés peuvent devenir, à un moment donné, impossibles à contenir par le dispositif, voire être renforcés du fait de la quasi-nudité de l’enfant » (p. 156)

Pourtant, certains jeux sont admis (voire encouragés ?) comme ceux avec le tuyau : « l’enfant y mettra son doigt ou y introduira son sexe ou un objet et l’eau giclera » (p.116), ceci étant censé permettre à l’enfant de prendre conscience de ses sphincters.

De plus, la règle dit : « on peut mettre un maillot de bain » (p. 27) mais ce n’est pas une obligation. « La règle de mettre un maillot de bain à la pataugeoire », nous dit l’auteur, « me semble devoir rester souple , mais elle est fonction aussi de la tolérance des soignants à la nudité de l’enfant » (p.128).

Et l’histoire de la petite Lucie, 8 ans, mérite à cet égard d’être rapportée. L’auteur nous rapporte que Lucie « disait régulièrement vouloir “faire le cirque”, ou vouloir “faire un spectacle” : avec excitation, elle se mettait à gesticuler, à danser, adoptant fréquemment des attitudes extrêmement séductrices à l’égard de [son] collègue » (p.44). On apprend que la petite Lucie était nue (p.128). On lui a finalement enjoint de se rhabiller, mais on ne sait au bout de combien de séances.

Quant à l’ « attitude séductrice » de la petite fille de 8 ans, il me semble avoir déjà entendu ce genre de propos quelque part, et pas seulement dans la bouche d’Humbert Humbert (« Lolita » - Vladimir Nabokov) … Je me sens soudain un peu mal à l’aise d’imaginer cette fillette nue dans une pièce fermée à clé devant trois adultes habillés qui l’observent danser. Ajoutons qu’il arrive qu’« il n’y [ait] pas d’observateur ni de co-soignant pour des raisons d’indisponibilité dans l’emploi du temps des membres de l’équipe » (p.84) comme lors d’une séance avec Vincent …

7. Et les parents dans tout ça ?

En général, les parents ne sont pas conviés à la séance, sauf parfois au début ou alors pour les enfants petits (2 à 4 ans) : on parle alors de pataugeoires thérapeutiques parents-enfants et un chapitre entier, signé non plus d’Anne-Marie Latour mais de Stéphane Pinchon, y est consacré.

Il ne semble pas non plus qu’on explique beaucoup aux parents ce qui se passe à la pataugeoire en leur absence et qu’on a même une grande réticence à le faire quand ils en font la demande comme cette famille qui, après 4 mois de prise en charge, « demande des comptes-rendus écrits des prises en charge, sans en préciser la raison » (p.196). On se demande bien pourquoi cela paraît si anormal aux « soignants » que la famille demande des comptes-rendus. Au mépris de la loi de 2002 concernant l’accès du patient à son dossier médical (et donc à ses parents s’agissant d’un enfant), la famille n’obtiendra aucun écrit alors que, comme nous l’a expliqué Anne-Marie Latour, tout est consigné dans un cahier par un observateur exclusivement dédié à cette tâche et les « soignants » n’accorderont à la famille qu’un simple entretien.

Les descriptions faites des parents sont d’ailleurs quasi-systématiquement négatives :
« Le ton de la maman est peu enveloppant, son expression souvent lasse et anxieuse. Peu ou pas d’échange entre la mère et l’enfant. La mère a aussi sans doute besoin de s’apaiser » (p.62).

Autre exemple : cette maman « très effacée devant son mari mais au-delà de ça triste, voire déprimée » (p. 169) avec ce papa « très en difficulté et pas nécessairement dans la compréhension des troubles de son fils » (p.170). En effet, alors que les soignants s’essayaient à des enveloppements de serviettes sur l’enfant qui, du coup, pleure, le papa « banalise cette réaction en disant que Mohamed pense que c’est fini et que c’est pour ça qu’il pleure ». Je pense que le père connaît bien son enfant et que pour un enfant autiste qui a tendance à se fier à des indices visuels pour reconnaître une situation, il n’est guère étonnant que les serviettes soient associées à la sortie du bain et donc à la sortie de la pataugeoire. Mais les soignants ne reconnaissent pas le savoir des parents sur leur enfant. De plus, ils ne semblent guère apprécier la question du papa : « à quoi servent ces exercices ? ».

« Il nous faut éviter l’écueil de nous montrer tout-puissants et meilleurs qu’eux » (p.171), écrit Stéphane Pinchon. C’est raté !

Les qualificatifs péjoratifs ne manquent pas à l’égard des parents : toutes les mères sont « dépressives » ou « déprimées », les parents sont « en souffrance et atteints narcissiquement » (p.171), tel papa est « hyperactif » car « il prend les choses en main, sans laisser un seul moment de vide » (p.175).

Tels parents sont « des gens frustes et nécessitant d’être soutenus » (p.178). Le soignant commente le comportement de leur fils ainsi : « Brandon cherche à se faire des sensations solides et a besoin de sentir que ses bras sont bien accrochés quand il les tend comme ça ». Evidemment, les parents sont un peu interloqués et « ont le même sourire peu expressif ». Les « soignants » concluent : « il est devenu évident que ces parents que nous trouvions surtout immatures et frustes, semblaient aussi perdus et déprimés ». Les soignants sont « rapidement désespérés par l’attitude des parents » qu’ils trouvent « avant tout toxiques pour l’enfant ». (p. 178). Le frère de l’enfant est en institution. On apprend que peu de temps après, les enfants sont placés en famille d’accueil. On frémit à l’idée du rôle que l’hôpital de jour a joué dans ce placement, même si cette famille étaient déjà « connue par les services sociaux » antérieurement. On frémit encore plus devant l’absence totale de compassion de l’auteur pour les enfants et leurs parents, séparés par décision de justice.

Pour finir sur une note positive, parlons de cette maman dont l’auteur dit qu’elle l’a trouve « assez fine et sa façon d’intervenir assez à propos » (p.171) quoique que comme toutes les mamans décrites, elle soit qualifiée de déprimée. J’ai bien cherché : c’est le seul cas où un parent est décrit positivement dans cet ouvrage.

8. La responsabilité des parents ?

Alors quoi ? Un doute me vient : les parents seraient-ils responsable de l’autisme de leur enfant ?

Anne-Marie Latour nous explique la recherche du dur dans le corps pour rechercher une « tenue » :
« Cette tenue interne s’incarne dans le corps par l’appropriation du squelette, grâce aux soins d’un “environnement suffisamment bon” (Winnicott), par la façon dont l’enfant est traité (soigné, porté, manipulé), par l’attention qui lui est donnée, par la qualité du “portage psychique” qui lui est procuré et la manière dont l’enfant ressent qu’il est tenu dans la tête de l’autre. Pour une raison qu’il ne nous appartient pas de déterminer ici cela ne s’est pas passé ainsi pour l’enfant autiste et il lui faut sans cesse chercher ailleurs et concrètement cette tenue ». (p. 81)

Alors bien sûr, il n’appartient pas à Anne-Marie Latour de formuler une hypothèse sur la cause de l’autisme. On sent bien qu’elle a ses convictions sur le sujet mais, en 2007 (date de parution de l’ouvrage), il faudrait quand même avoir un certain culot à affirmer ouvertement que les parents sont pathogènes après 30 ou 40 ans de recherche qui ont prouvé le contraire.

Pourtant, Anne-Marie Latour le pense si fort qu’elle finit pas l’écrire, citant une psychanalyste britannique, « Frances Tustin », qui, en 1989, «  décrira […] comment chez l’enfant autiste il semble y avoir comme une amputation du museau, due à une expérience trop brutale ou trop précoce de la séparation d’avec le sein, et qui laisse alors à la place le vécu d’un“ trou noir” ». (p.109) … Et là, je suis saisie par la perplexité et l’incrédulité, moi qui ai allaité mon fils pendant 11 mois. On en est donc encore là en 2007 chez les psychanalystes ?

9. Conclusion

Parmi les règles de la pataugeoire, il en existe une qui est : « on peut refuser de venir à la séance » (p. 27). Malheureusement, beaucoup des enfants traités sont non verbaux ou peu verbaux et n’ont donc pas la possibilité de s’exprimer là-dessus. Et quand l’un d’eux, une fois enfermé dans la pataugeoire, se met à « rebondir contre les murs, le sol » (p. 27), le « soignant » interprète que l’enfant a besoin d’éprouver la solidité des murs. L'enfant passera donc trois séances à répéter ces comportements puis vaincu, se laissera faire.

Alors, Mme Latour, s’il-vous-plaît, la prochaine fois que cela arrive, pourriez-vous apprendre à l’enfant à exprimer sa volonté de sortir ? Un petit « atelier orthophonie » peut-être … ?



Maya, maman d'un petit garçon autiste de 3 ans