La porte
de Georges Simenon

critiqué par Lucien, le 11 décembre 2001
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Balzac, sans les longueurs...
Je vais évoquer aujourd'hui le plus grand romancier belge de notre siècle, celui qui m’a fait passer le plus grand nombre de bons moments de lecture. Mais que choisir, parmi les quelque deux cents romans de celui que Marcel Aymé résumait dans cette formule lapidaire : « Balzac, sans les longueurs. » ?
J'ai décidé d'emblée de laisser de côté la collection des Maigret, largement popularisée par de nombreux téléfilms pas toujours à la hauteur du géant, pour me tourner vers les « romans-romans », comme les appelait lui-même celui qui ne voyait dans ses « polars » que de la « demi-littérature ». Cette présélection effectuée, il me restait à choisir un titre parmi quelque cent vingt. Pas facile ! Car choisir, c'est éliminer… Et comment éliminer des chefs-d'œuvre comme L'homme qui regardait passer les trains, Le bourgmestre de Furnes, Le petit homme d'Arkhangelsk, Le déménagement, La maison du canal ou encore L’horloger d'Everton ? Mission impossible… Alors, autant partir sur un coup de coeur, en précisant d’emblée que tous les romans de Simenon sont hautement recommandables, qu’ils apportent en quelques heures un éclairage sombre, souvent cruel et parfois tendre sur la destinée humaine, l’homme mis à nu, débarrassé des pauvres petits artifices sociaux qu'il a cru pouvoir lui tenir lieu d'existence. Et La porte m’est immédiatement apparu comme ce « coup de cœur », pour la qualité d’émotion que ce petit récit m'a fournie, particulièrement dans les dernières pages. La « dernière de couverture » livre clairement le thème : « Nelly et Bernard, mariés depuis vingt ans, vivent ensemble dans le paisible quartier du Marais. Bernard souffre-t-il encore de son infirmité ? Amputé des deux mains à la suite d'un accident, il paraît serein, s’exerçant à de menus ouvrages tandis que sa femme va gaiement au travail. Commence alors une longue journée de solitude et d’attente. Le soir, en rentrant, Nelly s'attarde parfois devant la porte entrouverte du premier étage, où vit le jeune Mazeron. Bernard le devine. Un reclus entend tout. Mais pourquoi s’inquiéterait-il ? Nelly ne lui donne-t-elle pas toutes les preuves d'un amour infini ? » Les thèmes éternels de l’amour et de la jalousie, on l’a compris, s'entrelacent dans ce récit dense et rapide : huit chapitres ! Ce roman date de 1961 : à l’époque, Simenon écrit, depuis plus de trente ans, environ cinq livres par an. Son style est devenu de plus en plus concis, ses développements de plus en plus brefs. Lorsqu’il se sent « en état de roman », c'est, en lui, comme une crise existentielle, une dépression de l'être qui conduirait certains chez le psychiatre et l’amène, lui, devant sa machine à écrire : il s’enferme alors pour une dizaine de jours, écrivant un chapitre par jour, fébrilement, directement à la machine, suivant un canevas au crayon rédigé la veille. Il explique que ses romans sont courts parce qu’il est lui serait impossible de rester plus longtemps « dans la peau d'un autre », et parce que ses oeuvres, exprimant avec force un instant de crise, doivent pouvoir être lues d’une traite. Entrer dans un roman de Simenon, c'est pousser une porte. C’est découvrir, dès les premières phrases, une ambiance, un style, un homme : « Comme dans beaucoup de vieilles maisons du quartier, les fenêtres, hautes et étroites, descendaient jusqu'à trente centimètres du plancher et des arabesques en fer forgé supportaient la barre d'appui. C’est à travers ces arabesques que Foy, de sa chaise, suivait plus ou moins consciemment les allées et venues de la rue. »
Tout est résumé dans ces deux phrases : le vieux quartier paisible et oppressant, l’enfermement du solitaire, son regard voyeur, et jusqu'à ce nom de Foy, signe de la foi qui le relie à Nelly comme un croyant à son dieu, une foi que la vie va se charger d'ébranler, de bousculer, d'anéantir, pour la détresse de cet homme, et pour notre plus grand frisson. Poussez donc La porte…
Encore un grand ! 9 étoiles

En 1940, une mine mutile le soldat Bernard Foy : il perd ses deux mains. Pour s’occuper au mieux, et arrondir ses fins de mois, il peint des abat-jours dans un appartement situé au troisième étage, rue de Turenne. Il a épousé Nelly qui travaille dans une passementerie. Nelly, sous la demande d’une collègue, rend régulièrement une courte visite au voisin du premier qui est dessinateur mais lui aussi handicapé. Le malheur, c’est que Bernard est d’une jalousie plus que maladive (si possible). Les neuf dixièmes de ce roman racontent la vie tourmentée de ce couple. Le huitième et dernier chapitre est saisissant et plus qu’inattendu…

Encore un tout grand Simenon (alors qu’il y en a déjà tant !) Quel talent !

Extraits :


- Je commence à m’apercevoir qu’en vieillissant une femme devient coquette. Il est vrai que c’est le moment où elle en a le plus besoin. Te rends-tu compte que, dans très peu de temps, je serai une vieille femme ?

- « - Je t’aime, Nelly ! «
« Moi aussi, Bernard … «
Cela revenait plus souvent que jadis, comme s’ils essayaient ainsi de faire jaillir une étincelle.

- Chaque jour, nous choisirons un quartier de Paris, comme cela nous arrivait le dimanche quand nous nous sommes installés ici et que tu ne savais jamais, une fois sur les Grands Boulevards, de quel côté était l’Etoile et de quel côté la Bastille … Nous partirons de bonne heure. Nous nous promènerons comme des touristes, en entrant dans les cours, et nous choisirons chaque midi un petit restaurant amusant …

- (Une de leurs promenades favorites dans Paris)
A partir de la Rue de Turenne, prendre à gauche pour rejoindre les arcades de la Place des Vosges – > puis un square entouré de grilles noires – le coin de la rue Birague- Traverser la rue Saint-Antoine non loin du cinéma Saint-Paul – la rue du petit Musc – tout de suite après c’est la Seine, le pont de Sully, l’Ile Saint-Louis – ils s’arrêtaient à l’éperon de l’Ile devant la masse assoupie de Notre-Dame – le pont Marie – la rue Saint Paul.

Catinus - Liège - 73 ans - 14 avril 2014


Ah, oui ! Simenon... 8 étoiles

Un grand écrivain selon moi ! Quelle capacité de suggérer, de faire sentir, de faire voir: les ambiances, comme les odeurs, les lumières, les haines, les travers, les hontes cachées... J'adore cet auteur et bien souvent, quand je suis fatigué, ou que j'ai de longs trajets d'avions à faire, j'emporte aussi du Simenon avec moi. Cela peut être des romans autre que les Maigret, mais je crois que j'ai déjà lu trois fois tous les Maigret. Parfois deux sur un seul trajet. A nouveau, connaître le coupable n'enlève rien au plaisir de l'écrit, à sa façon d'avancer dans l'histoire. Le rythme de Maigret est lent, parfois lourd, opiniâtre, mais régulier comme une machine que l'on n'arrivera pas à gripper: elle arrive toujours et logiquement. Un fin psychologue !

Jules - Bruxelles - 80 ans - 14 décembre 2001