Les fils d'Ariane
de Paul Desalmand

critiqué par Lucien, le 21 mai 2009
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Quoi de mieux que la littérature pour se laver des salissures de la vie.
Mon cher Paul,

Quelques jours après Seynod, je profite de ce jour de congé pour te faire un compte rendu des "fils d'Ariane", dont la lecture a enchanté mon voyage de retour.
D'abord, je ne crois pas que tu doives verser 50 € à quiconque à quiconque trouve une faute comme tu l’as promis : point de coquilles, bourdons ou autres bourdes.
Ensuite, j'estime ce roman bien supérieur au "Pilon" : tu y étais virtuose, ici, tu deviens musicien.
Pourrais-je ajouter que "Le Pilon" était un bon livre, alors que "Les fils d'Ariane" est un vrai roman?
La structure, tu le signales toi-même, évoque le "Decameron", ou encore les récits cadres de ce Maupassant que tu adores où, après une journée de chasse, chaque convive y va de sa narration. Comme s'il fallait éviter le silence qui nous renverrait trop durement à nous-mêmes. L'un des principaux personnages de ton livre est la conversation, qu'il faut entretenir en permanence comme un petit feu sous peine de le voir s'étioler, mourir, et nous envahir le froid des relations artificielles, précurseur craint du froid mortuaire. Car sous leurs dehors primesautiers voire égrillards, les propos échangés par les quatre convives, deux hommes, deux femmes, cachent les blessures d'enfance, l'angoisse du vieillissement, la terreur du caveau.
Autre clin d'œil à Maupassant, les prénoms des deux frères : Pierre et Jean. Amis / ennemis, rivaux se disputant l'amour de leur mère, un amour qui, chez Maupassant aussi, frôle l'inceste (cette scène tragi-comique où Jean reçoit les aveux de sa mère).
"Pierre et Jean", que précède la célèbre préface "Le Roman". Toi aussi, tu y vas de ton cours sur le roman (comme, également, l'Edouard des "Faux-Monnayeurs") : toi qui as si souvent dénoncé ces "auteurs" n'ayant d'autre sujet qu'eux-mêmes, tu sais combien il est périlleux de t'aventurer à ton tour sur cette voie de l'autobiographie. Mais là où la plupart échouent parce que : "Le plus souvent, ce n'est pas écrit", toi, tu écris juste ce qu'il faut (puis-je te dire que "le Pilon" était parfois trop écrit ?)
Et tes souvenirs d'enfance évoquent le Marcel du "château de ma mère" davantage sans doute que celui de la "Recherche". Oui, "quand on tire un fil de l'enfance, tout se met à revenir." Le Garlaban de l'un, l'Arve de l'autre... dans les deux cas, d'une motte de terre naît l'universel.
"Rendre ne serait-ce qu'une seule vie plus belle suffit peut-être à justifier la sienne." C'est sans doute la justification (certains diraient la rédemption) de l'écrivain. Et s'il est, comme tu l'indiques, "une terrible et inhumaine machine à engranger", alors, tu n'usurpes pas ce titre, ce beau nom d'écrivain. Et ton écrit n'est pas vain, cet écrit où tu donnes aux amis ce précieux conseil : dans un livre, "comme pour le vin, il faut veiller à ne pas redescendre". Tu ne redescends pas, Paul, tu emmènes ton lecteur exactement où tu veux aller, jusqu'à cet émouvant "champ à Morel" où se nouent tous les fils de ton livre. Ariane peut dormir en paix : "Quoi de mieux que la littérature pour se laver des salissures de la vie."
Merci pour ce livre, Paul. Merci et à bientôt!