Alfred et Emily
de Doris Lessing

critiqué par Miss teigne, le 19 mai 2009
( - 43 ans)


La note:  étoiles
Deux vies
Doris Lessing semble avoir écrit abondamment sur son enfance africaine et aussi sur la rivalité mère-fille. Les conflits permanents qui l’opposaient à sa mère et qui alimentent ses oeuvres semblent l'avoir beaucoup affectée alors que ceux qu’elle narre n’ont en réalité rien d’exceptionnels. Beaucoup de mères sont inconsciemment abusives. Toutefois, ce qui a fait toute la différence dans la maison de Doris Lessing est que cette mésentente aurait pu être bien moindre si sa mère n’avait pas connu l’état dépressif dans lequel elle se trouvait, ce que l’écrivain admet d’ailleurs volontiers.

Si certains enfants peuvent percevoir les émotions tacites de leurs parents, Doris Lessing a été de ceux-là. Traumatisés par la Première Guerre Mondiale, ses parents ont porté différemment le lourd fardeau d’un passé qui les a changé à jamais. Devenu unijambiste après avoir eu la jambe éclatée par un éclat d’obus, Alfred Tayler pleurait souvent de douleur mais aussi sur le sort de ses compagnons morts au front, regrettant parfois de ne pas les avoir accompagnés dans leur trépas. Lui-aussi avait sombré dans une profonde et accablante dépression. Quant à Emily McVeagh, son remède miracle contre le mal qui l’envahissait était d’apporter des soins. Elle fut d’abord infirmière au Royal Free Hospital durant la guerre, contre l’avis de son père bourgeois et influent qui l’a reniée suite à ce choix. De fil en aiguille, elle s’est retrouvée à s’occuper de ses deux enfants et de son mari dans une ferme en Rhodésie du Sud. Lourde charge d’autant que Alfred Tayler sera plus tard très gravement atteint de diabète.

Emily Mv Veagh. Une femme active et énergique qui réussissait pratiquement tout ce qu’elle décidait d’entreprendre. Une femme qui, dans sa jeunesse, a connu les bals et les salons de thé. Une femme qui a perdu brusquement son grand amour et dont les blessures n’étaient peut-être pas apparentes mais pourtant bien présentes. Une femme se trouvant à jamais prisonnière d’un passé qu’elle aurait voulu oublier mais que le handicap de son mari n’avait de cesse de lui rappeler. Cette dame brillante aurait probablement pu vivre autre chose qu’une vie de garde-malade affublée de deux mioches ingrats, dans la cambrousse.

Et c’est cette autre vie, parmi d’autres, qu’a imaginée Doris Lessing pour ses parents. Loin des fantômes de la guerre. Qu’aurait été leur vie si "la der des der" ne les avait pas arrêtés dans l’élan de la jeunesse ? Se seraient-ils mariés tout de même, eux qui étaient si différents l’un de l’autre ? Auraient-ils eu des enfants ? Auraient-ils émigré en Afrique ?

Doris Lessing a beau prétendre qu’elle détestait sa mère, par moments, on n’en sent pas moins poindre de l’admiration, de la compréhension même. Aujourd’hui, mère à son tour, elle a acquis cette conscience aigüe des souffrances passées mais à jamais gravées dans la chair même de ses parents. On perçoit d’ailleurs tout l’amour qu’elle vouait à ce père brisé par la guerre.

Deux vies sont ici narrées avec émotion. Deux vies au parfum d’un autre temps et néanmoins pas si lointaines. Une existence vécue et bien remplie ; une existence qui aurait pu l’être. Mais peut-être cette vie fictive ne l’est-elle pas tant que ça ? N’est-ce pas Stephen Hawking qui affirme qu’un individu vit plusieurs vies parallèles mais qu’il n’a conscience que d’une seule ? Nonobstant ces considérations scientifiques, Doris Lessing touche le lecteur avec cet hommage posthume à ses parents.
Une vie avec des " SI" et une autre sans 8 étoiles

" Alfred et Emily" de Doris Lessing ( 314p)
Ed. J'ai lu

Bonjour les fous de lectures….
Ce livre est composé d'une partie romancée et d'une autre partie qui est un récit de mémoire.
Doris Lessing commence donc ce récit en imaginant ce qu'auraient pu être ses parents SI … il n'y avait pas eu la première guerre mondiale… SI ils n'avaient pas émigré en Rhodésie… SI ...
Dans la seconde partie, retour avec la réalité..; plus de "si".
La guerre et l'émigration ont eu lieu.
Cette guerre qui a tout changé.
Le père qui en est revenu avec une jambe de bois et une santé fragilisée.
la mère qui a perdu le goût de vivre.
Doris Lessing en profite pour nous raconter, à travers la vie abîmée de ses parents, sa propre histoire africaine.
Son apprentissage au goût des livres, la découverte de la nature , ses premiers pas de féministe dans cet univers anglais rigide d'entre deux guerres, ses relations pas toujours aisées avec sa mère.
L'exhumation des souvenirs d'enfance explique la femme devenue, ses engagements , sa personnalité.
L'exercice est efficace, la lecture plaisante comme tout les livres de cette auteure.
Livre vivement conseillé.
Doris Lessing a reçu le prix Nobel de littérature en 2007 pour l'ensemble de son œuvre.

Faby de Caparica - - 62 ans - 1 février 2020


Nostalgie 8 étoiles

Au soir de sa vie Doris Lessing veut rendre hommage à ses parents qui ont vécu un destin assez exceptionnel marqué cruellement par la Grande Guerre. Elle commence par imaginer ce que cette vie aurait pu être si ce conflit n'avait pas eu lieu, exercice académique qui nous propose un court roman agréable à lire. Puis elle aborde leur vie réelle qui s'est déroulée en Rhodésie du Sud, dans la brousse entre les deux guerres. Elle procède par des "flashes" de souvenirs qui mélangent un peu toutes les époques, mais c'est facile à suivre et nous apprend bien des choses.

Peut-être le dernier ouvrage de ce Prix Nobel bien mérité !

Tanneguy - Paris - 85 ans - 28 mai 2014