Les Mots du voyage
de Jérôme Godeau, Madeleine Volcouve

critiqué par Glencoe, le 2 mars 2009
( - 60 ans)


La note:  étoiles
L'art de la fugue
Avec "Les Mots du voyage", publié chez Actes Sud dans la collection "Les Mots", Jérôme Godeau et Madeleine Volcouve signent là un ouvrage extrêmement plaisant qui satisfera tous ceux pour qui l'immobilité est une malédiction, quand elle n'est pas un vice. Mais encore? Le principe de cette collection repose sur une sorte de balade visuelle (un choix d'œuvres tirées des musées de la ville de Paris), un va et vient entre l'art et la pensée, mais sous sa forme fuguée pourrait-on dire. Il est donc surtout question d'instants volés à la beauté, à l'émotion, à la mémoire; instants qui surgissent au détour de la confrontation avec la dynamique du voyage et qui ne se posent qu'à regret sur la page (celle du livre ou celle du journal de bord). Ainsi, s'ouvrant sur l'A d'Arthur Rimbaud, le ton est donné par "l'homme aux semelles de vent" rêvant de "forger une langue acérée comme la flèche que l'on décoche dans la cible de l'Etre" (p.7). Erudit mais pas intellectuel, les mots de ce voyage offrent un panorama de vues qui appartiennent en partie au fond artistique et littéraire de l'Europe (je ne résiste pas à la comparaison avec le Grand Tour anglais du 18ème siècle), mais qui sont suffisamment belles ou simplement intrigantes pour susciter l'envie de voyager. Alors puisqu'il est question d'ailleurs (les vôtres et ceux évoqués dans cet ouvrage), on ne s'étonne pas du "pouvoir hallucinatoire de l'encre" (p.25), sa capacité à ressusciter les lieux et les formes aimés. Décidément oui, ici « l'oeil écoute » (p.25) et s'ouvre au grand devisement du monde. Il convient de souligner la qualité irréprochable des ouvrages publiés par les Editions Actes Sud, qui ne lésinent ni sur le beau papier ni sur l'iconographie. Ici, pas de fausse honte: on feuillette, on glane, on fugue d'une étape à l'autre, avec la joie presque chaotique que procure le voyage. A ce sujet, je confesse ma préférence pour les départs, mais je ne boude pas pour autant le plaisir de l'escale. Exemple? Celle offerte par l'O de l'Orient (p. 85), où l'on "voudrait se glisser dans de petits vergers qui tous prétendent avoir abriter l'Eden, échapper à la vie sédentaire et se fondre dans le grand corps d'une caravane, avec les montagnes du Kurdistan pour fil d'horizon". Résumons: avec "Les mots du voyage" déclinés de A à Y, passé l'appareillage et les adieux des mouchoirs, on s'embarque pour une errance qui signale tant le bris des habitudes que la salinité des embruns. Alors, embarquons, puisque de toute façon, nous sommes si peu d'ici.